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Le billet du Recteur (n°21) - Tolérance, solidarité et médiation : le rôle sociétal des institutions religieuses



En ce jour, je prends la parole avec la volonté de survoler, avec sagesse et discernement, les débats qui agitent notre société contemporaine. Nous traversons une époque où les tensions et les incompréhensions se multiplient, dégénérant trop souvent en conflits stériles et infructueux. Mon intention aujourd'hui est de rappeler à chacun de nous quelques principes essentiels qui, je l'espère, permettront d'éclaircir notre position commune et de nourrir une réflexion constructive.

 

Il est d'une importance capitale de reconnaître que l'incapacité à s'écouter les uns les autres constitue un obstacle majeur à notre cohésion sociale. Trop souvent, les discours se heurtent, marqués par une absence flagrante de volonté de dialogue. Chaque camp, enfermé dans ses certitudes, refuse de tendre la main à l'autre, accentuant ainsi les divisions et alimentant les malentendus. Cette situation ne peut perdurer. Il est urgent de réapprendre l'art de l'écoute, non pas pour simplement répondre, mais pour véritablement comprendre l'autre. Cette écoute attentive et sincère, dépourvue de préjugés et de condescendance, est le fondement même de toute démocratie vivante. Elle est le ciment qui, solidement appliqué, peut combler les fissures de notre société et nous permettre de bâtir ensemble un avenir harmonieux. Que chacun de nous prenne le temps de s'arrêter, de tendre l'oreille. Ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons espérer transcender nos différends et retrouver le chemin d'un dialogue apaisé et fructueux.

 

La justice, pilier du pacte républicain

 

En bon républicain, il est fondamental de rappeler que la justice a toujours été le refuge de notre institution, veillant avec une égale dignité sur tous les Français, musulmans ou autres. Chaque citoyen doit savoir que la justice est la solution idoine dans notre République. C'est ce que nous nous efforçons d'inculquer à nos enfants : la justice est le recours, sans haine ni violence, garantissant l'État de droit. Elle a le pouvoir de nous rendre justice, de rétablir nos droits lorsqu'ils sont bafoués, mais aussi de nous débouter, nous enseignant ainsi pourquoi notre plainte ou notre ressenti peuvent être infondés. C'est cela qui caractérise un pays démocratique digne de ce nom.

 

Dans notre quête d'une société plus juste et équitable, la Grande Mosquée de Paris a toujours affirmé notre engagement envers ces principes fondamentaux. Elle a engagé des actions en justice, ou soutenue celles de simples citoyens qui se sentaient discriminés en raison de leurs appartenances, en comptant sur la sagesse et l’impartialité de nos tribunaux. En faisant appel à eux, nous affirmons notre adhésion à la République avant toute autre considération, y compris religieuse.

 

La représentation des Français musulmans

 

Un autre point crucial mérite notre attention, celui du double standard dans l'attribution des qualificatifs de "bon" et de "mauvais" musulman, que certains manipulent pour remettre en cause la citoyenneté de nos compatriotes. Je suis personnellement convaincu qu’être musulman fait de soi un bon citoyen, mais la République, en sa qualité de garante de l'égalité, ne saurait reconnaitre ses enfants en fonction de leurs convictions religieuses. Il est impératif que tous les citoyens soient jugés sur la base de leurs actes et de leurs paroles, et non sur des préjugés ou des appartenances supposées.

 

La Grande Mosquée de Paris représente légitimement les musulmans de France, indépendamment des positions que certains peuvent juger convenues ou controversées. Bien que la religion et la politique doivent rester séparées, cela n'enlève rien au rôle vital que jouent les institutions religieuses dans la vie de nos concitoyens. Ces institutions sont des piliers de notre société, offrant guidance spirituelle et soutien moral à de nombreux Français. Il est important de rappeler que la séparation de la religion et de l'État ne signifie pas l'exclusion des institutions religieuses de la sphère publique. Au contraire, elles contribuent à l'enrichissement de notre vie collective, tout en respectant les principes de laïcité qui sont au cœur de notre République.

 

Le rôle sociétal des institutions religieuses

 

Les portes de la Grande Mosquée de Paris ont toujours été grandes ouvertes à tous : membres du gouvernement, représentants de divers partis politiques, figures de l'opposition, religieux de tous les cultes, intellectuels de tous bords, et même des personnalités médiatiques ayant pris l'islam pour cible, au risque de recevoir des critiques acerbes des uns ou des autres. Ce lieu emblématique de paix et de spiritualité a su accueillir cette diversité d'interlocuteurs, animé par une volonté de dialogue et de compréhension mutuelle. Cette ouverture généreuse, cependant, connaît une seule exception : l'extrême droite, dont les valeurs de division et d'exclusion sont radicalement incompatibles avec notre vision de la paix et de la coexistence harmonieuse.

 

J’affirme qu’être un médiateur pour la paix est un rôle que toutes les institutions religieuses devraient s'approprier pleinement. Le fondement même de ces institutions est le bien-être collectif, une aspiration partagée par toutes les religions monothéistes. Ces religions, en effet, sont unies par des valeurs communes de justice, de solidarité et de respect de la dignité humaine. Elles doivent se faire les vecteurs de ces principes, en œuvrant sans relâche pour le rapprochement des cœurs et des esprits. En ces temps de divisions et de tensions, ces sanctuaires doivent être des espaces où se rencontrent et se comprennent des voix diverses, où chaque individu, quelle que soit sa croyance ou son origine, trouve une oreille attentive et un cœur ouvert. C'est dans cet esprit que nous devons avancer, en faisant de chaque institution religieuse un phare de tolérance et de réconciliation. Que les valeurs de justice et de solidarité qui nous unissent trouvent leur expression la plus noble dans nos actions et nos engagements quotidiens. Ainsi, nous pourrons construire ensemble une société où la paix et l'harmonie ne sont pas de vains mots, mais une réalité vécue et partagée par tous.

 

La liberté d'expression

 

La liberté d'expression est un droit précieux, une conquête que nous devons chérir et renforcer inlassablement. Cette liberté, cependant, doit être universelle, sans distinction ni discrimination, s'appliquant à tous les sujets et à toutes les voix. Aucun individu, aucune composante de notre société, ne devrait être contraint de prouver sa légitimité pour en bénéficier, tandis que d'autres jouissent de cette prérogative sans entrave. Il en va de notre cohérence républicaine, de notre fidélité aux principes fondateurs de notre nation.

 

La diversité des opinions et des sensibilités, loin de l’invective et de la sommation, loin de nous diviser, doit nous enrichir et nous rapprocher. Dans cette multiplicité de perspectives, nous trouvons la force de notre démocratie, la richesse de notre société. Il nous appartient de cultiver cette liberté d'expression, de la protéger contre les tentations de la censure et de l'exclusion, toutes les censures et toutes les exclusions. Chaque voix, chaque opinion, mérite d'être entendue, pour peu qu'elle respecte les principes de dignité et de respect mutuel, et qu’elle ne discrimine pas ou n’incite pas à la violence.

 

J’affirme que notre engagement envers ces valeurs républicaines doit se traduire en faisant de la liberté d'expression un vecteur de rapprochement et de compréhension, non de haine ou de suspicion. Je milite pour que la diversité de nos opinions devienne le ciment de notre unité nationale, renforçant ainsi notre cohésion et notre détermination à vivre ensemble dans le respect, la solidarité et la paix.

 

En France, la question de l'humour et de ses limites a été résolue il y a déjà plusieurs années. Il est crucial de rappeler que les règles qui encadrent l'humour, une fois établies pour certains cas, doivent être appliquées de manière uniforme à tous. Il ne peut y avoir de traitement différencié : ce qui est toléré ou sanctionné dans une situation doit l'être de la même manière pour tous, sans distinction. La cohérence républicaine exige que les mêmes normes et limites s'appliquent à chacun, quelle que soit la nature des critiques ou la cible de l'humour. Tout écart à cette égalité contribue à nourrir un sentiment de stigmatisation et d'injustice, qui ne peut être dissipé que par un recours équitable à la justice dans un pays de droit comme le nôtre.

 

En définitive, il est vital de reconnaître les multiples défis auxquels la République est confrontée, nécessitant une attention soutenue et une action collective. Plutôt que de nous perdre dans des débats sur l'identité des musulmans loyaux à la France, concentrons-nous sur les menaces bien réelles qui pèsent sur notre cohésion sociale et notre démocratie.



À Paris, le 27 mai 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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