À Londres, le recteur Chems-eddine Hafiz a participé au workshop de la Ligue islamique mondiale dédié à la Charte de La Mecque.
Il a, à cette occasion, eu un entretien privé avec Son Excellence Mohammed Al-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale.
Il a tenu à rappeler, dans les deux discours qu'il a prononcé, la prééminence des valeurs de paix et de fraternité en islam, et la nécessité qu’elles s’expriment en Europe.
LE DISCOURS DU RECTEUR CHEMS-EDDINE HAFIZ
PRONONCE LE DIMANCHE 12 MARS 2023
Monsieur Mohammad bin Abdulkarim Al-Issa, Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale,
Mesdames, Messieurs,
Chers sœurs, chers frères,
As-Salam Alaykum,
C’est avec un réel plaisir que je me suis déplacé à Londres pour participer au workshop de la Ligue islamique mondiale.
Je tiens à vous témoigner de l’honneur que vous m’avez fait en m’invitant au sein de cette assemblée composée de personnalités remarquables.
Je vous remercie de me donner, à cette occasion, l’opportunité de m’exprimer.
Mon plaisir d’être parmi vous est encore renforcé par l’élément central qui nous réunit et nous relie : je veux bien sûr parler de la Charte de La Mecque.
La Charte de La Mecque, signée en mai 2019, est un document de première importance.
Il incarne la nécessité, pour notre religion, d’être au rendez-vous des défis de notre époque.
Il y a peu, le 15 janvier 2023, à La Mecque, j’ai eu l’honneur d’être reçu par Cheikh Mohammad bin Abdulkarim Al-Issa, Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale.
Lors de notre rencontre, je lui ai fait part de ma reconnaissance pour la publication de cette Charte si nécessaire.
Je lui ai dit que je faisais miens chacun des 31 points de la Charte et que celle-ci pourrait très bien représenter, au mot près, la Charte de la Grande Mosquée de Paris.
Depuis l’inauguration la Grande Mosquée de Paris en 1926, le discours des différents recteurs qui se sont succédés a toujours eu la même volonté : la diffusion de l’islam de la fraternité, de l’humanité, de la solidarité, du dialogue entre les religions.
Ce dernier point est crucial : le Prophète, que la paix et le salut soient sur lui, n’a-t-il pas dit : « Ne me préférez pas à Jésus et à Moïse, ce sont mes frères » ?
Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, l’imam Abdelkader Mesli, de la Grande Mosquée de Paris, a été déporté à Auschwitz car il établissait des actes de confession musulmane pour des juifs persécutés par les nazis.
En juin 1967, durant la guerre des Six Jours, le recteur Hamza Boubakeur déclarait que le conflit ne reposait pas sur l’opposition entre deux religions, l’islam et le judaïsme, mais qu’il s’agissait d’une guerre de territoires.
Il décida alors de réunir, à la Grande Mosquée de Paris, les dignitaires des grandes religions pour créer ensemble une association nommée « La Fraternité d’Abraham ».
Depuis mon élection à la tête de la Grande Mosquée de Paris, en janvier 2020, je m’inscris dans cette lignée.
Je n’ai eu de cesse de défendre l’islam et les musulmans contre les discours de haine qui se propagent à leur détriment, mais également contre les dérives dans lesquels ils peuvent, eux-aussi, tomber.
Mon travail, notre travail à tous, notre responsabilité, est de détacher l’islam de toutes les mauvaises interprétations, de toutes les manipulations politiques, de tous les fanatismes aveugles, qui contribuent à donner une image désastreuse de notre belle et grande religion, et à mettre à l’écart les musulmans du reste de leurs concitoyens européens.
Il nous faut renouer avec l’essence de l’islam, remettre en lumière ses valeurs les plus fondamentales.
Il nous faut enseigner que l’islam nous oblige, en tout et partout, à la paix.
Il nous faut enseigner que l’islam n’enferme pas mais libère, ouvre au monde, éveille à l’autre, qu’il met à l’épreuve notre foi par les actes de bonté, de justice et d’équilibre qu’Allah Azawajel nous demande d’accomplir sur terre.
Oui, l’islam nous invite à approfondir notre foi intérieure, à parfaire notre « extérieur », à faire œuvre d’exemplarité et à chercher le but et la vérité qu’Allah a donné à chaque chose de l’Univers.
Nous devons ainsi mettre en avant, avec et pour nos coreligionnaires, les valeurs spirituelles, éthiques et humanistes de l’islam.
Cette recherche s’accomplit nécessairement par le dialogue avec nos frères et sœurs non musulmans, dans l’effort de les connaître, de les considérer, de se découvrir des mêmes valeurs et des mêmes espérances.
La fraternité interreligieuse et, plus largement, la fraternité humaine, sont notre avenir.
Il y a un an, j’ai eu l’extrême honneur d’échanger avec le pape François, au Vatican, sur ce défi qu’il porte au plus haut.
Cette rencontre, comme tant d’autres au quotidien, a renforcé ma conviction que les peuples d’Occident et d’Europe ont, au plus profond d’eux-mêmes, un respect et une bienveillance pour l’islam en mesure de surpasser les malaises et les peurs nées des terribles actes de violence commis au nom de notre religion.
Mes fonctions m’amènent à rencontrer beaucoup d’ambassadeurs d’États européens.
Ils font part des mêmes inquiétudes sur l’augmentation des incompréhensions et des clivages entre leurs citoyens de confession musulmane et les autres.
Je suis certain qu’un document comme la Charte de La Mecque, que son adoption et sa mise en œuvre concrète par les organisations islamiques de leurs pays respectifs, seraient de nature à les rassurer.
La situation de la France n’échappe pas à la spirale négative que je décris et de laquelle nous devons nous extirper.
Cette situation en France, certes particulière en raison de son histoire, parfois douloureuse, avec certaines régions du monde musulman, est cruciale, car elle concerne la population musulmane la plus importante du continent.
La France est encore un cas particulier avec son principe de laïcité, qui est souvent compris, à tort, comme la négation des religions ou la prévalence de l’athéisme : il est au contraire un moyen de mettre en équilibre toutes les religions, sur un même pied d’égalité, et de protéger les convictions personnelles de chacun.
En janvier 2021, devant le président de la République Emmanuel Macron, nous avons signé une autre charte intitulée la Charte des principes pour un islam de France.
Beaucoup de critiques, et surtout beaucoup de fausses informations, ont ciblé cette publication, alors que celle-ci avaient, foncièrement, le même but que la Charte de La Mecque.
Son but était d’affronter le péril de l’ignorance et de l’amalgame qui règne autour de l’islam et pousse à le concevoir comme une religion incompatible, si ce n’est dangereuse, pour la France.
Toujours résolue à lutter contre ce péril, la Grande Mosquée de Paris va lancer, dans deux jours, un think-tank sur l’adaptation du discours islamique en France.
Ce groupe de réflexion inédit et exceptionnel alliera l’apport des sachants musulmans de France, d’Europe et de plusieurs institutions universitaires islamiques internationales, à l’apport de personnalités de premier plan du monde intellectuel.
Sa mission sera de mettre en avant l’islam du savoir et de la spiritualité, de diffuser une exégèse éclairée, accessible et adaptée aux réalités d’aujourd’hui.
Il veillera à préserver le dogme immuable et universel de l’islam, tout en démontrant que ses grands principes s’accordent avec les évolutions scientifiques, philosophiques et sociétales de notre époque, et qu’ils sont compatibles à ceux de la société française et des sociétés occidentales en général.
Mesdames, Messieurs,
Je suis donc venu parmi vous pour, humblement, partager un constat et un espoir.
Oui, des forces sont à l’œuvre contre l’islam, contre les musulmans, et elles sont dangereuses.
Oui, une part du problème, et donc de la solution, nous revient.
Les responsables du culte, les sachants, les penseurs, comme vous ici réunis en toutes vos qualités, les imams, doivent être les ambassadeurs irréprochables de l’islam et des passeurs exemplaires aux nouvelles générations.
Les 150 imams de la Grande Mosquée de Paris, sur qui je compte beaucoup, les 400 mosquées qui lui sont affiliées, ses six centres de formation des imams répartis sur le territoire français, ainsi que ses délégations en Europe, dont celle récemment créée, ici, à Londres, sont prêts à être vos partenaires.
Notre futur est notre union, respectueuse de toutes nos diversités, et investie coûte que coûte pour la fraternité universelle entre les religions, les cultures et les peuples.
Pour terminer, je souhaite vous parler d’un point qui nourrira, je l’espère, notre réflexion.
Toutes nos propositions doivent être pensées selon les schèmes occidentaux, selon les idées et les valeurs des sociétés occidentales, en montrant que celles de l’islam ne leur sont en rien opposées ou contradictoires.
Nos propositions, sur tous les défis que nous identifions, ne peuvent pas ignorer les manières dont l’Occident pensent les résoudre.
C’est ainsi que l’on fera comprendre, admettre et respecter les principes fondamentaux de l’islam, et sa pratique, à nos frères non-musulmans, croyants ou non croyants.
Je vous remercie.
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