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Le billet du Recteur (n°13) - "Enseigner, inspirer, guider : le noble rôle de l’éducateur selon l’islam"



Permettez-moi de débuter cette réflexion en mettant en lumière des vérités avérées, bien que parfois occultées dans certains contextes à des fins inavouées : dans l'islam, le savoir est vénéré et considéré comme sacré, imprégnant chaque facette de la vie spirituelle et intellectuelle des croyants.


Au cœur de cette sacralité réside le Coran, la parole divine révélée au Prophète Mohammed, que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui. Ce Livre saint exhorte les croyants à chercher le savoir et à méditer sur les signes divins qui parsèment l'univers. Le Prophète lui-même a encouragé l'apprentissage et la recherche de la vérité, affirmant que la quête du savoir est un devoir pour chaque membre de la communauté musulmane. Ainsi, l'islam accorde une valeur éminente à la connaissance, tant religieuse que profane, englobant la science, la philosophie, les arts et les lettres.

Cette sacralité du savoir a donné naissance à une tradition intellectuelle riche et diversifiée au sein de la civilisation musulmane, favorisant l'épanouissement d'œuvres majeures dans des domaines aussi variés que la médecine, les mathématiques, la philosophie et la littérature. En somme, la sacralité du savoir dans l'islam inspire les croyants à s'engager dans une quête perpétuelle de compréhension et de sagesse, érigeant ainsi l'éducation et la recherche en devoirs sacrés.


De ces faits bien connus découle un constat moins souvent mis en avant : celui de la place éminente des passeurs de savoir. La sacralisation du savoir engendre une réalité palpable dans la civilisation musulmane : les érudits, ou oulémas, ont traditionnellement occupé des positions de prestige au sein des conseils des dirigeants musulmans à travers les âges et les dynasties ayant régné sur les terres d'islam. Cette tradition s'est perpétuée de siècle en siècle, se manifestant dans les institutions de savoir post-indépendances, à savoir les écoles et les politiques publiques en matière d'enseignement.


Dans l'islam, l'instruction, l'éducation et la quête du savoir sont considérées comme des actes vertueux. L'illustre Imam Ghazali avait coutume de dire : "Traitez votre connaissance comme vous traiteriez votre richesse." Ce principe est également reflété dans un hadith prophétique, qui affirme que "l'encre de l'érudit est plus sacrée que le sang du martyr". En effet, tandis que le martyr sacrifie sa vie pour défendre sa foi, l'enseignant assure par la transmission du savoir le développement et l'épanouissement de la société.


Des générations entières dans le monde musulman récitaient quotidiennement les célèbres vers du prince des poètes, Ahmed Chawki : "Lève-toi à ton maître, pour l’égard que tu lui dois. Il est presque l’égal d’un prophète ma foi !". Ces lignes illustrent magnifiquement la profonde reconnaissance envers la profession enseignante. En quelques vers sublimes, Chawki saisit la grandeur de l'enseignant, le présentant comme un guide sacré, une lumière éclairant le chemin de la connaissance. L'ensemble des récits et écrits de la civilisation musulmane exaltent l'importance de l'éducation dans la société et célèbrent la dévotion et le sacrifice des enseignants, invitant à les saluer avec respect et gratitude.


En résumé, ces œuvres magnifient le noble rôle de l'enseignant, rappelant que leur influence va bien au-delà des salles de classe, façonnant les esprits et les destins avec une grâce intemporelle.

Ainsi, les enseignants, en tant que transmetteurs de connaissances, sont respectés en leur qualité de détenteurs du savoir, occupant une place de premier plan dans la société. Ils incarnent un symbole d'altruisme et de sacrifice, participant activement à la construction et au développement du bien commun. Comme le dit un hadith, "le savoir est lumière", une lumière qui nous guide sur le chemin de l'amélioration et qui enrichit notre humanité.

 

Permettez-moi à présent de traiter de cette question de façon concrète. À travers ce rappel humble mais important des faits établis, je m'adresse à mes concitoyens, quelle que soit leur religion ou leur athéisme.

 

Tout d'abord, à mes concitoyens de différentes confessions, à titre informatif, afin d'éclairer leur réflexion et de les aider à dépasser les préjugés et à ne pas succomber à la facilité des raccourcis qui ternissent l'image de l'islam. Trop souvent, l'islam se retrouve accusé de manière injuste, endossant la responsabilité d'actes répréhensibles perpétrés par des individus se revendiquant de cette religion, alors qu'ils sont en contradiction flagrante avec ses principes fondamentaux évoqués précédemment.


J'entends fréquemment, à travers les médias, des discours du type : "On ne peut pas nier que chaque fois que le mal est commis, l'auteur est musulman". Ce constat m'inquiète profondément et me pousse à m'interroger sur l'efficacité de nos politiques en tant qu'institutions religieuses dans la transmission des véritables valeurs de l'islam à ceux qui se revendiquent de notre belle religion sans en comprendre la véritable essence et en écorchant sa noblesse.

 

Je serais disposé à présenter des excuses publiques si la situation était aussi simple, mais quelles sont les marges de manœuvre et les moyens dont disposent les institutions musulmanes pour remplir cette mission, quand on constate que même l'ouverture d'un simple compte bancaire pour la gestion des finances d'une mosquée relève du parcours du combattant ? Malgré cela, je reste convaincu que nous devons tous assumer cette responsabilité collectivement en harmonisant nos approches des services aux fidèles dans toutes les mosquées de France.


En ce qui concerne mes coreligionnaires, il est clair qu'ils se divisent en plusieurs "catégories" bien distinctes : ceux qui connaissent véritablement l'islam et qui ont consacré un effort personnel pour en explorer les profondeurs, comprendre ses préceptes et embrasser sa grandeur, notamment en termes de comportement, ceux qui forment la majorité silencieuse, et qui subissent les conséquences néfastes d'une minorité nuisible. À cette majorité silencieuse, je souhaite adresser mes plus sincères remerciements et exprimer ma fierté devant leur retenue exemplaire face aux provocations incessantes des agitateurs politiques ou médiatiques, qui ne cessent de propager un discours de haine à l'encontre de notre religion. Je les encourage vivement à redoubler d'efforts pour préserver ensemble l'image éclatante de notre foi et à s'élever fermement contre tout acte susceptible de la ternir. Dans le contexte actuel, je les exhorte à entourer la communauté des enseignants de la plus grande bienveillance, à les protéger, les encourager, et à rappeler en particulier aux adolescents la place sacrée de l'enseignant dans notre religion.

 

Je suis profondément convaincu que les atrocités subies par le corps enseignant ces dernières années, de manière fallacieuse au nom de l'islam, vous révoltent autant que moi et que l'ensemble de notre nation. Cette révolte doit se traduire par des actions concrètes, allant d'un simple mot de compassion à une manifestation musulmane de soutien au corps enseignant. Il est crucial de rappeler que l'enseignant n'est pas une figure dogmatique, mais bien une fonction qui exige le respect d'un programme établi, et la laïcité en fait partie intégrante. Certes, nous pouvons débattre sur la place publique de l'application de la laïcité et sur le sentiment qu'elle soit dirigée contre une religion plutôt que dans un esprit d'égalité entre les religions, mais en aucun cas nous ne pouvons incriminer les enseignants et l'encadrement des établissements scolaires dans l'exercice de leur métier. Ceci s'applique également à d'autres professions, y compris celle des caricaturistes, quel que soit le degré d'efficacité de leur humour.


Rappelons-nous qu’il incombe à l'enseignant d'assumer la responsabilité d'enseigner et de promouvoir les principes essentiels de la laïcité. Il lui revient d'expliquer aux élèves les valeurs fondamentales de cette laïcité, telles que la liberté de conscience, la neutralité de l'État, la séparation entre les religions et l'État, ainsi que le respect de toutes les convictions. Il encourage l'harmonie et le respect mutuel, tout en veillant à préserver la liberté de pensée et d'expression de chacun

Je suis fermement convaincu que ce message est à la fois compris, entendu et partagé par vous.

 

En ce qui concerne la minorité nuisible, bien que particulièrement visible, elle ne constitue pas un groupe homogène. Toutefois, les conséquences de leurs actes demeurent désastreuses et abjectes.

 

À ceux qui s'agitent, croyant servir l'islam et se conformer à ses préceptes alors qu'ils baignent dans l'ignorance, je les invite à considérer la sacralité des savants et des transmetteurs du savoir, non pas comme exclusive aux savants musulmans, mais comme universelle. À cet égard, je les exhorte à lire, comprendre, puis méditer sur le hadith du Prophète Mohammed, que le salut et la bénédiction soient sur lui : "Cherchez le savoir même en Chine". À l'époque, l'islam n'avait pas encore franchi ces frontières, ce qui signifie que le Prophète nous encourageait à chercher le savoir chez des non-musulmans. En islam, la valeur du savoir n'est pas conditionnée par la foi de l'enseignant, mais par sa maîtrise du fait scientifique, philosophique, voire culturel. Ainsi, je les implore de se réveiller et de laisser la lumière de notre belle foi dissiper leur rejet de la différence. Qu'ils se rappellent également que Dieu nous exhorte à ne pas faire de surenchère dans notre religiosité, comme mentionné dans le verset 171 de la Sourate An-Nisa : "Ne dépassez pas la mesure dans votre religion ; ne dites, sur Dieu, que la vérité".

 

Quant à ceux que la radicalisation guide dans leur parcours et leurs actions, je réaffirme que vous n'êtes pas des nôtres. L'islam est innocent de votre haine, et nous nous appuierons sur notre foi et l'unité de notre nation pour vous faire barrage. Nous sommes dans la voie de la raison et de la Sunna, comme illustré dans le hadith : "La religion est facile à pratiquer. Quiconque cherche à la rendre difficile, elle le terrassera et viendra à bout de lui."

 

Enfin, je ne saurais conclure ce message sans exprimer une fois de plus ma solidarité, ainsi que celle de la Fédération de la GMP, avec le corps enseignant, à la suite à ce qui est devenu l'affaire du lycée Maurice-Ravel, et de tous les drames passés qui l'ont affecté. Je tends également la main aux rectorats et à l'éducation nationale, affirmant notre disponibilité à apporter notre contribution pour apaiser les situations de conflit, dans le strict respect des règles de la laïcité et de la séparation du fait religieux de la gestion des affaires de l'État. Que notre main tendue ne soit pas rejetée pour des raisons dogmatiques. Que nous soyons des hommes de foi ou pas, nous demeurons tous, avant tout, des citoyens sociaux et soucieux du bien-être collectif. Puissent Dieu veiller sur notre belle nation et exaucer nos prières de paix et d'amour pour tous.



À Paris, le 1er avril 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 




 

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