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Le billet du Recteur (n°5) - "La haine et les discriminations antimusulmanes"



En tant que Recteur de la Grande Mosquée de Paris, ma dénonciation et ma condamnation des actes illégaux et immoraux commis à l'encontre des musulmans de France demeurent inflexibles. Les instances politiques, l'ARCOM et, le cas échéant, les tribunaux, ont été sollicités conformément à l'exigence de mes responsabilités. Je suis et resterai intransigeant, car telle est la rigueur inhérente à ma charge.


Je fais délibérément le choix de l’expression « Haine et discriminations antimusulmanes », en rejetant d'autres alternatives jugées inopportunes. Elle s'avère la plus appropriée et elle offre, de surcroît, la possibilité de condamner non point une simple opinion critique, mais bel et bien une infraction clairement circonscrite par la loi. Ma position, soulignons-le, n'entame en rien la légitimité de la critique à l'égard de ma religion, laquelle demeure une prérogative essentielle d’une société démocratique. Je m’érige cependant contre toute forme de discrimination et de marginalisation des musulmans fondées sur leur appartenance religieuse.


Au cours des dernières années, la recrudescence malencontreuse de la haine et des discriminations antimusulmanes a pris corps. À la suite de ce constat, il s'avère nécessaire de rappeler que la grande majorité des citoyens français ne témoigne pas d'hostilité envers nos concitoyens de confession musulmane. La haine antimusulmane se profile comme l'apanage d'une infime minorité. Les actes émanant de cette dernière engendrent toutefois des conséquences lourdes, tant pour les individus victimes que pour la cohésion sociale nationale.


J’ai essayé de comprendre les raisons d’une telle haine.


Une perception erronée de l'islam et des musulmans, des stéréotypes péjoratifs, des préjugés tenaces et une profonde ignorance semblent en constituer les facteurs prédominants. Les attentats terroristes postérieurs au 11 septembre 2001, revendiqués par des groupuscules se réclamant de l'islam, ont incontestablement contribué à l'amplification de cette distorsion.


La situation actuelle résulte également d'une trame historique où l'islam et ses adeptes ont été l'objet de diffamations, de rejets et d'attaques en Europe depuis le 7ème siècle, malgré les nombreux ponts intellectuels, scientifiques et humains qui ont pu être érigés au cours du temps. L'image de l'islam a souvent été réduite à celle infamante d'une secte par certaines autorités et certains courants politico-religieux d'Europe.


Les polémiques révolues ont laissé des cicatrices persistantes. Bien que l'Église ait exprimé son estime envers les musulmans depuis le 28 octobre 1965, à travers Nostra Aetate, les préjugés perdurent. Certains mouvements s'évertuent malheureusement à ressusciter les stigmates du passé, proclamant à tort l'incompatibilité des musulmans et de leur foi avec la France et l'Europe.


Enfin, un glissement sémantique survenu dans l'histoire récente a eu des répercussions regrettables pour les musulmans de France.


Au début du siècle dernier, les immigrés algériens, victimes de « ratonnades », étaient l'objet de termes dévalorisants, relatifs à leur origine algérienne. Avec l'arrivée de populations issues du Maroc et de Tunisie, le terme « maghrébin », associé à des quolibets racistes, a été employé. Puis, dans les années soixante, de nouveaux termes humiliants et offensants ont visé les personnes en raison de leur origine étrangère.


À partir des années 1980, cette même population, stigmatisée en raison de ses origines, a été soumise à de nouvelles discriminations liées à son appartenance musulmane. Les « musulmans » se sont graduellement transformés en une catégorie essentialisée, que certains pouvaient alors accuser, injustement, de tous les maux.


Désormais, des extrémistes s'emploient à raviver le contexte historique de tension et à réarmer les termes les plus abjects contre les musulmans de France. Face à eux, je réitère sans la moindre hésitation que notre société ne fléchira pas devant leurs funestes desseins.


Les autorités publiques sont investies dans la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination, mettant en place des politiques visant à promouvoir l'égalité, à protéger les droits fondamentaux et à combattre toutes les formes de discrimination. Le cadre légal français contre la discrimination fondée sur la race, l'origine ethnique, la religion, le genre et l'orientation sexuelle est solidement établi et doit être renforcé afin de combattre efficacement la haine et les discriminations antimusulmanes. L'impression persistante de « deux poids, deux mesures » doit être corrigée, qu'elle soit fondée ou non.


Du côté des organisations musulmanes, il convient de promouvoir avec plus de vigueur la tolérance et l'inclusion. La diversité se révèle être une richesse, et il est impératif de reconnaître pleinement la contribution des musulmans à tous les aspects de la vie nationale. Les musulmans de France mettront l'accent sur les principes préconisés par le Coran et les enseignements du Prophète Mohammed (Que la paix et les bénédictions soient sur lui), notamment sur la fraternité et la reconnaissance de l'altérité, c'est-à-dire la reconnaissance et le respect de tout être. L'islam encourage le dialogue interreligieux et le partage pacifique d'idées entre les différentes communautés religieuses. Le Coran reconnaît l'existence de différentes religions et incite à la recherche de points communs et à la compréhension mutuelle.


Notre société, plurielle du fait de sa diversité culturelle et religieuse, doit veiller à ce que la laïcité, pilier du modèle républicain, demeure un espace public neutre et égalitaire où les citoyens coexistent indépendamment de leurs convictions religieuses. Il est impérieux de prévenir toute instrumentalisation de cet idéal contre les musulmans. L'égalité des citoyens devant la loi, qu’importe leur appartenance religieuse, doit leur garantir un traitement équitable et neutre.


Le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » constitue le socle de la République française. Il préserve nos droits fondamentaux et assure l'égalité au sein de l'union des citoyens. Chacune des composantes de ce triptyque est considérée comme cruciale pour l'édification d'une société juste. Les musulmans de France, à l'instar de tous les citoyens, professent, chérissent et défendront ces principes face à tous ceux qui sèment la haine.


À Paris, le 6 février 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 

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