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À la Grande Mosquée de Paris, dernier hommage à Aboubakar Cissé



Dans le recueillement et la paix, la Grande Mosquée de Paris organisait ce matin une prière de Janaza et une dernière cérémonie d’hommage à Aboubakar Cissé, Allah y rahmo, fauché par la haine islamophobe le 25 avril 2025.


Retrouvez ci-dessous le discours prononcé par Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris.


Entourant les membres de sa famille, de nombreux fidèles et personnalités ont voulu témoigner leur solidarité, dont des représentants des autres cultes, les sénateurs Rachid Temal et Rémi Féraud, des représentants de l’ambassade du Mali en France, le directeur de cabinet de la maire de Paris et la cheffe du Bureau central des cultes.


Le dépouille d’Aboubakar Cissé va à présent prendre le chemin du Mali, où elle sera inhumée.


Puisse Allah accueillir notre frère dans Son vaste Paradis.



DISCOURS DE CHEMS-EDDINE HAFIZ

RECTEUR DE LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS

Dernière cérémonie d’hommage à Aboubakar Cissé – Grande Mosquée de Paris

Lundi 5 mai 2025



Bismillāh ar-Raḥmān ar-Raḥīm

Innā liLlāhi wa innā ilayhi rājiʿūn

Nous appartenons à Allah et c’est vers Lui que nous retournerons

 

Mesdames et Messieurs,

Chers frères, Chères sœurs,

Messieurs les Représentants des cultes, de la République et de la société civile,

Chère famille éprouvée d’Aboubakar Cissé,

 

En ce lieu de prière et de mémoire, dans cette maison de Dieu qu’est la Grande Mosquée de Paris, nous sommes réunis aujourd’hui, debout par devoir, mais le cœur profondément à terre.

 

Nous entourons une dernière fois le corps purifié de notre frère Aboubakar Cissé – jeune homme de foi, fils du Mali, accueilli par la France, chéri de sa communauté – assassiné alors qu’il se prosternait devant son Seigneur, dans l’acte le plus pur de la dévotion.

 

Il ne détenait pas la nationalité française, mais il vivait parmi nous, enraciné dans ce pays aux côtés de sa famille, de cœur et d’âme française.


Et c’est bien la France tout entière qui pleure aujourd’hui son départ.

 

À vous, sa famille, à vous, ses proches venus des quatre coins de la terre, j’adresse, au nom de tous, notre compassion sincère, notre fraternité indéfectible, et cette promesse : nous ne l’oublierons pas.

 

Nous n’oublierons pas qu’il n’avait que 22 ans.

 

Nous n’oublierons pas qu’il était bénévole dans la mosquée qu’il fréquentait, humble, au service des autres.

 

Et surtout, nous n’oublierons pas la manière dont il a quitté ce monde : en prière, dans un sanctuaire, fauché par la haine et par une extrême violence.

 

Je salue les paroles de Monsieur le Président de la République, qui a voulu réaffirmer, au nom de la Nation, que « le racisme et la haine en raison de la religion n’auront jamais leur place en France », et que « la liberté de culte est intangible ».

 

Mais les musulmans de France attendent davantage que des mots.


Ce crime n’est pas un fait divers.


Ce n’est pas un "drame isolé".

 

C’est un acte de haine et d’une extrême violence, d’une grande cruauté, longuement prémédité, filmé avec froideur, ponctué d’invectives contre l’islam, et diffusé avec un cynisme effrayant.

 

C’est un attentat islamophobe.


C’est un crime terroriste.


Et il doit être désigné comme tel.

 

Je rends hommage ici à la présence des représentants religieux –

- le Grand Rabbin Moche Lewin,

- le vice-président de la Conférence des Évêques, Monseigneur Dominique Blanchet,  

- Le Très Révérend Père Anton Gelyasov, Aumônier National Orthodoxe des Hôpitaux qui représente l’Eglise Orthodoxe,

- le moine zen, aumônier national hospitalier, Luc Charles qui représente l'UBF,

- les représentants de la FFAIACA, dont la délégation est conduite par son Président, le frère El-Hadj Moro Dramé

- ainsi qu’à celle des personnalités civiles engagées, tel le président de SOS Racisme, Dominique SOPO qui s’est déplacé à la mosquée de la Grand-Combe.

- Messieurs les Sénateurs Rachid Temal et Rémi Fréaud,

- Madame Lacombe, Cheffe du Bureau Central des Cultes au ministère de l’intérieur,

- Issam Abdouli, Directeur de Cabinet de Madame Anne Hidalgo, Maire de Paris.

Et enfin nos frères maliens – Monsieur Bakari Dembélé, Chargé d’affaires à l’intérim de l’ambassade du Mali à Paris, le Délégué Malien auprès de l’UNESCO, les consuls généraux du Mali à Paris et à Lyon.


Je voudrais enfin transmettre à la famille Cissé un message personnel du Grand Rabin Haim Korsia qui vous assure de sa solidarité.


Il n’a pas pu être parmi nous étant encore retenu à l’étranger.

 

Votre présence incarne cette République spirituelle que nous voulons vivante et agissante.


Mais je dois le dire, avec la sincérité d’un cœur blessé : certaines absences, certaines hésitations, ont laissé des traces.


Quand l’Assemblée nationale et le Sénat tardent à observer une minute de silence, ce n’est pas seulement un homme qu’ils oublient ; ce sont des millions de Français qui se reconnaissaient en lui qu’ils oublient.


Quand le mot "islamophobie" devient l’objet d’un débat stérile, comme s’il s’agissait d’un caprice lexical, on en nie la violence réelle.


Et lorsque certains osent déclarer, sans honte :

— « Oui, je suis islamophobe »,

— ou que « dénoncer l’islamophobie, c’est promouvoir l’antisémitisme », — ou pire encore, que « l’islamophobie est la défense du droit au blasphème », ils participent à la construction d’une inhumanité rampante.


Je pose cette question à notre Nation, dans sa diversité et avec lucidité :


Cela ne vous choque-t-il pas ?


Remplacez "islam" dans "islamophobie" par le nom de toute autre religion, quelle serait votre réaction ?


Je crois que vous seriez choqués. Alors pourquoi l’accepter ici ?


Oui, nous vivons dans un climat d’islamophobie.


Et ce crime en est la manifestation la plus glaçante :

• la victime est musulmane,

• l’acte se déroule dans une mosquée,

• au moment où la victime se prosterne,

• avec l’intention déclarée d’humilier, de terroriser, de propager la haine et de terroriser une population.


Que faut-il de plus pour ouvrir enfin les yeux ?


Je rends hommage à la parole droite du Premier ministre, Monsieur François Bayrou, qui a eu le courage de dire sans détour : « Ce crime est une ignominie islamophobe. »


Et d’ajouter :

« Si ce n’est pas de la haine contre l’islam, alors qu’est-ce que c’est ? »


Nous le répétons ici :


On ne peut combattre une haine que l’on refuse de nommer.


On ne peut protéger les citoyens musulmans si leur souffrance est sans cesse relativisée, niée ou minimisée.


On nous oppose des chiffres : 173 actes antimusulmans en 2024.


Mais qui peut honnêtement y croire ?


L’ADDAM, que nous avons fondée au sein du FORIF, affirme que ces données sont dramatiquement sous-évaluées.


Peut-on raisonnablement penser que, dans un pays comptant plus de cinq millions de musulmans, cette haine ne serait qu’un épiphénomène ?


Non. La réalité est là, et elle appelle un sursaut.


Mais qu’on ne se méprenne pas :


Nous, musulmans de France, ne réclamons aucun privilège.


Nous ne quémandons ni faveur ni pitié.


Nous demandons l’égalité.


Nous exigeons la justice.


Rien de plus. Mais surtout, rien de moins.


Et nous assumons nos responsabilités.


Le Prophète Mohammed (Que la paix et le salut soient sur lui)a dit : « Le croyant est le miroir du croyant. »


À nous, ici et maintenant, d’être les miroirs vivants d’un islam de droiture, de sagesse, et de paix.


Je salue la création d’une plateforme nationale de signalement des actes antimusulmans, impulsée par l’ADDAM et soutenue par le FORIF.


Mais cette mesure, aussi nécessaire soit-elle, ne saurait suffire.


Il nous faut aller plus loin :

• Protéger davantage nos lieux de culte,

• Doter la justice d’outils juridiques efficaces pour qualifier les discours de haine,

• Réformer l’audiovisuel afin d’en finir avec la banalisation de l’injure,

• Et, surtout, réparer la confiance blessée entre la République et ses citoyens musulmans.

 

Enfin, permettez-moi une parole venue du cœur.

 

Ce que nous attendons de l’État, nous devons d’abord l’exiger de nous-mêmes.


Le Prophète de l’islam (Que la paix et le salut soient sur lui a dit : « Le musulman est celui dont la langue et la main ne nuisent à personne. »


Soyons les porteurs d’une foi qui apaise, d’une parole qui élève, d’un comportement qui répare.


Mais avant de clore cet hommage, permettez-moi d’adresser une dernière parole à toutes celles et ceux qui forment notre Nation.


Ce drame ne doit pas devenir le ferment d’une division supplémentaire.


Il doit être une secousse salutaire, une prise de conscience.


Une conscience aiguë du lien précieux qui nous unit au-delà de nos différences.


Une conscience du devoir partagé de faire vivre la promesse républicaine : liberté, égalité, fraternité – pour tous, sans distinction.


La cohésion nationale est notre bien commun le plus précieux.


Elle ne se décrète pas : elle se bâtit, jour après jour.


Elle se nourrit de justice, de reconnaissance mutuelle, de respect, de solidarité vraie.


Aboubakar ne doit pas incarner une fracture.


Il doit devenir un ferment d’unité.


Sa mémoire nous enjoint de rejeter la haine, de repousser les amalgames, de tenir bon dans le refus du repli et de la peur.


Nous sommes une seule et même nation, forte de ses convergences, riche de ses diversités.


Et c’est unis, unis seulement, que nous saurons relever les défis de notre époque.


Qu’Aboubakar Cissé, par la dignité silencieuse de son dernier geste, nous rappelle l’essentiel :


Ce qui nous lie est plus grand que ce qui nous oppose.


Et qu’en face de la haine, notre réponse doit être la République – une et indivisible – et l’amour du bien commun.


Avant que le corps d’Aboubakar ne rejoigne la terre de ses ancêtres, nous élevons ici une prière et un vœu :

• Que sa mémoire entrouvre une brèche dans la conscience nationale,

• Que sa mort ne marque pas la fin d’un combat, mais l’aube d’un engagement,

• Que notre adieu soit un acte de foi, une promesse de

justice.

 

« Ô Allah, pardonne lui, accorde-lui Ta miséricorde, affermis-le lors de l’interrogatoire, purifie-le de ses fautes comme on purifie le vêtement blanc de toute souillure, et accorde-lui une place dans l’immensité de Ton Paradis ».

 

Qu’Allah illumine sa tombe,

Qu’Il accorde à sa famille la patience et la consolation, Qu’Il éclaire la France de Sa justice,

Et qu’Il nous guide tous vers la vérité et la paix.

 




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