Commémoration du 8 mai 1945 à la Grande Mosquée de Paris
- Guillaume Sauloup
- il y a 1 heure
- 4 min de lecture

À la mémoire des soldats musulmans morts pour la liberté de la France, une cérémonie de commémoration du 8 mai 1945 était organisée aujourd'hui à la Grande Mosquée de Paris, avec l’Aumônerie musulmane aux armées, en présence de la maire du 5e arrondissement de Paris, Florence Berthout, de représentants de l'armée, du corps diplomatique, des anciens combattants et des autres cultes.
Dans son discours, que vous pouvez lire ci-après, le recteur Chems-eddine Hafiz a tenu à souligner le besoin de considérer les « deux mémoires du 8 mai 1945 : la victoire contre la barbarie nazie et la répression coloniale contre un peuple qui aspirait, en Algérie, à plus de justice et de dignité ».
Commémoration du 8 mai 1945
DISCOURS DE CHEMS-EDDINE HAFIZ
RECTEUR DE LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Comme chaque année, nous nous rassemblons pour commémorer la fin de la Deuxième Guerre mondiale en France.
Le 8 mai 1945, par un acte de reddition signé la veille, à Reims, dans « le plus secret des lieux secrets d’Europe », l'Allemagne nazie capitulait sans condition.
Le combat acharné contre la barbarie, le totalitarisme, l’occupation et l’oppression prenait fin.
Nous célébrons ce jour en mémoire des millions de victimes des champs de bataille et des camps d’extermination, en hommage aux résistants, aux civils et aux soldats qui ont pris les armes de la Libération.
En ce moment solennel, il nous appartient de rappeler et de reconnaître l’apport considérable des soldats venus des colonies, et en particulier des soldats musulmans.
Cette victoire fut aussi leur victoire.
Je remercie l’Aumônerie militaire du culte musulman et son Aumônier en Chef, Monsieur Nadir Mehidi, avec qui nous organisons cet hommage et témoignons notre gratitude pour ces héros.
Dès le début de la guerre, des centaines de milliers de tirailleurs originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ont répondu à l’appel de la France.
Ces hommes sont venu défendre une terre qu’ils n’avaient jamais foulée, qui n’avait pas reconnu leurs droits civiques, mais qui demandait leur sacrifice.
Ces hommes ont combattu au Maghreb, dans les montagnes d’Italie, en Provence, dans les campagnes d’Alsace et jusqu’au cœur de l’Allemagne.
Combien d’entre eux sont tombés dans l’anonymat, sans sépulture connue, sans reconnaissance posthume ?
Combien ont vécu le paradoxe de défendre la liberté d’un pays qui ne leur accordait pas encore la leur ?
Leur engagement, leur courage, leurs prouesses ne doivent pas être minorés, ni oubliés.
Notre société a une dette à leur égard.
Leur histoire est inscrite à jamais dans notre histoire commune, dans l’histoire de France.
Elle est un socle de notre unité nationale et un symbole de la contribution des Français de confession musulmane, qui perdure aujourd’hui.
Elle nous rappelle une exigence : la citoyenneté égale de tous les enfants de la République.
C’est donc ici, à la Grande Mosquée de Paris, inaugurée en 1926 en hommage aux soldats musulmans morts pour la France durant la Première Guerre mondiale, que le devoir de mémoire est préservé.
C’est ici que le fondateur de la Grande Mosquée de Paris, Si Kaddour Benghabrit, protégea des juifs contre l’Holocauste, engageant certains de ses imams dans son humanisme : nous pensons notamment à l’imam et résistant Abdelkader Mesli, arrêté le 5 juillet 1944 et déporté en Allemagne par le « train fantôme ».
*
Mesdames, Messieurs,
C’est aussi en ce lieu que nous devons rendre justice à toute la mémoire du 8 mai 1945.
Je me dois d’évoquer, avec gravité, cet « autre » 8 mai 1945, survenu de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie.
Au moment où l’on célébrait la victoire à Paris, et partout en France, des manifestations pacifiques furent réprimées dans le sang et l’horreur.
À Sétif, Guelma, Kherrata, dans de nombreuses villes et villages, des milliers de civils Algériens furent tués lors de massacres et d’exécutions sommaires.
Le traumatisme fut majeur.
Il nous oblige à ne pas dissocier ces deux mémoires du 8 mai 1945 : la victoire contre la barbarie nazie et la répression coloniale contre un peuple qui aspirait à plus de justice et de dignité.
Le 8 mai 2025, lors de la dernière cérémonie de commémoration à l’Arc de Triomphe, j’ai entendu les mots du président de la République Emmanuel Macron. Je cite : « En mai 1945, des violences et des massacres venaient préfigurer l’histoire ».
Ce double visage du 8 mai n’est pas un fardeau : il est un chemin de conscience, de reconnaissance, d’apaisement, de réconciliation.
À notre époque où les tensions identitaires ressurgissent, où certains veulent opposer les mémoires, nous devons regarder les parts d’ombre de notre passé pour construire l’avenir.
Après 1945, la France est sortie plus grande en se confrontant aux crimes de la collaboration avec les nazis : elle sortira aussi plus forte en continuant à se confronter aux crimes de la colonisation.
Ainsi, que ce 8 mai soit un jour de mémoire totale.
Un jour pour dire merci aux héros de la liberté.
Un jour pour dire la vérité.
Un jour pour dire, comme il y a 80 ans : plus jamais ça.