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“C'est grâce à toutes ces personnes qui ont prié pour ma fille” - Notre entretien avec la maman de la jeune Samara, agressée à Montpellier

Dernière mise à jour : 10 avr.



Le 2 avril dernier, l’adolescente Samara a été agressée à la sortie de son collège, Arthur Rimbaud, à Montpellier. L'incident, qui a plongé la jeune fille dans le coma, a suscité de nombreuses interrogations sur les circonstances de l'agression et les raisons qui ont conduit à cette violence. Contactée par notre magazine Iqra, la maman de la jeune fille, Hassiba, nous livre un témoignage poignant de ce qui s'est passé ce jour-là, mettant en lumière les lacunes qui ont conduit au drame et les violences auxquelles sont confrontés les adolescents victimes d’harcèlement scolaire.


 

Iqra - Pourriez-vous nous dire avec précision ce qui s'est passé le 2 avril, jour de l'agression de votre fille Samara à la sortie de son collège Artur Rimbaud ?

Hassiba Radjoul - Tout a commencé lorsque le professeur de ma fille m'a appelée vers midi et demi pour discuter de son bilan trimestriel. Il m'a alors informée de la présence de plusieurs garçons, environ six, devant le collège, qui semblaient attendre ma fille et la provoquer. Il exprimait ses craintes pour sa sécurité. J’ai proposé de venir la chercher immédiatement, mais il me l’a déconseillé parce qu'elle avait au programme des matières importantes dans l'après-midi. Après cette conversation, j'ai pris la décision de récupérer ma fille à la fin de sa journée scolaire tout en précisant au professeur de faire passer le message à ma fille, il m'a assuré qu'il le fera. J'ai également essayé d’informer « la vie scolaire » et à la CPE (Conseillère Principale d'Éducation), mais elle ne répondait pas au téléphone. J’ai quand même réussi à joindre un surveillant, je l’ai alerté de la situation, je l'ai informé que je viendrais chercher ma fille à la fin de sa journée scolaire afin de m'assurer qu’elle ne quitterait pas l'établissement avant mon arrivée.

Malheureusement, malgré mes efforts et mes multiples appels pour transmettre cette instruction, personne n'a correctement informé ma fille. L'information n'a pas été transmise à temps, et ma fille est sortie de l'école comme d'habitude, sans se douter du danger qui l'attendait à l'extérieur. Cela a été une défaillance grave de la part de l'école, et cela a contribué à mettre ma fille en danger.

De mon côté, j’ai pris soin de partir en avance pour aller la chercher, mais un contrôle de gendarmerie sur le chemin a retardé mon arrivée. J'étais convaincue que ma fille était en sécurité dans l'enceinte de l'école, donc je ne me suis pas précipitée. Pendant le trajet, j'ai tenté de la joindre au téléphone, mais en vain. Au final, c’est l’une des camarades de ma fille qui a décroché le téléphone et m’a informé qu'elle était en train de se faire agresser par un groupe de personnes.

J'ai immédiatement accéléré pour atteindre l'école. À mon arrivée, j'ai constaté un attroupement d'une vingtaine à une trentaine de personnes, qui se sont dispersées dès qu'elles m'ont vue. Les agresseurs ont pris la fuite. La camarade de ma fille m'a informée que le groupe s'était dirigé vers l'arrêt du tramway de Selle-Neuve.

J'avais retrouvé ma fille au côté d'une dame qui passant par là avec une poussette s'était précipitée vers le groupe pour se frayer un chemin et protéger ma fille des agresseurs. Cette personne a ensuite veillé sur ma fille jusqu'à mon arrivée, lui offrant une protection immédiate. Quand je suis arrivée sur les lieux, j'ai immédiatement pris ma fille dans la voiture pour la mettre en sécurité. Ensuite, je me suis dirigée vers les rails du tramway pour tenter d'identifier les agresseurs et j'ai appelé la police en même temps. J'ai pu fournir aux autorités des descriptions détaillées des individus impliqués dans l'agression.

Cependant, alors que j'attendais la police, la situation a pris un tournant dramatique lorsque ma fille a subitement fait une crise d'épilepsie. Cela a ajouté une urgence supplémentaire à la situation déjà critique. J'ai immédiatement sollicité l'aide des passants pour appeler les pompiers, et une équipe médicale est rapidement intervenue pour prodiguer les premiers soins à ma fille. C'était un moment extrêmement stressant et difficile pour nous.


I. - Comment va-t-elle aujourd'hui ?

H. R. - Le diagnostic établi par les médecins est presque miraculeux : ma fille était plongée dans le coma, mais, hamdoulillah, elle en est sortie, ce qui est un véritable miracle.

Elle a échappé de justesse à la mort, et je suis reconnaissante pour cela. Actuellement, elle ne semble pas présenter de séquelles, mais il est encore trop tôt pour le confirmer définitivement. Les résultats de l'IRM montrent que l'hématome et l'hémorragie cérébrale se sont partiellement résorbés, ce qui est encourageant. Mais, les médecins restent vigilants car il existe un risque que ma fille fasse des crises d'épilepsie à l'avenir. C'est donc une situation délicate, mais nous restons optimistes quant à sa guérison complète.


I. - Qu’est ce qui explique ce déchainement contre Samara ?

H. R. - Selon ce que j'ai pu comprendre de la situation, le déchaînement de violence contre ma fille Samara semble découler d'une confusion autour d'un compte Snapchat. Il semblerait qu'un groupe de jeunes pensait que Samara avait créé ce compte et avait publié une photo d'un garçon avec des oreilles de lapin. Il s'est avéré que ce compte avait été créé par une autre fille, une camarade de classe de Samara, celle-là même qui l’a agressée et qui s’est avérée la harceler depuis un certain temps.

Cette fille avait déjà créé un compte Snapchat l'année précédente, avec une photo de Samara accompagnée d'un message incitant à la violence : « Si vous la voyez, faites la tournée dans les caves de la Payade » tout en précisant le nom de son école et notre adresse.

Moi, j’ignorais tout de cette affaire, j’ai été alertée par une dame que je connaissais.

J’ai évidemment tout de suite alerté la gendarmerie qui m’a dirigée vers une plateforme pour essayer de supprimer la publication alors qu’elle a tourné pendant 3 jours.

Et ce n’est qu’après que je pouvais déposer plainte. Parallèlement, le CPE, après avoir entendu la fille m'a informée qu’elle avait avoué et qu’elle était désolée. Je me suis alors retrouvée dans une situation difficile, partagée entre le désir de protéger ma fille et la peur de compromettre l'avenir de son harceleuse en déposant plainte. Alors, j’ai pardonné. Mais malgré les mesures prises par l'école, à savoir une exclusion temporaire de deux jours, les hostilités ont continué.

Quant aux raisons de cette animosité, il semble y avoir des éléments de jalousie ou de simple antipathie. Les témoignages des camarades de Samara suggèrent que cette fille n’aimait simplement pas ma fille, qu’elle ne supportait pas certains aspects de la personnalité ou de l'apparence de Samara, comme le fait qu'elle se maquille ou qu'elle ait un style vestimentaire différent ou sa couleur de cheveux. Elle inventait des histoires pour ternir sa réputation à l’école et l'a traitée de « kofar ». J’avais déjà alerté avant le drame la CPE de ces accusations à répétition pour qu’ils convoquent les parents... c’était à eux de régler le problème avec leur fille, en vain. Sa mère savait pourtant que sa fille embêtait la mienne mais rien n'y faisait.

En fin de compte, cette situation de harcèlement semble être le résultat d'une fixation malsaine de la part de cette fille, alimentée par des sentiments de jalousie et de ressentiments adolescents. Malgré mes tentatives pour résoudre le problème et malgré les avertissements de la CPE, le harcèlement persistait, avec des insultes récurrentes et même des actes de violence physique… elle lui a donné des coups de pieds dans le dos la semaine dernière d’après les témoignages de ses camarades. Jusqu'à là je n’avais pas déposé plainte mais là je vais le faire.

 

I. - Ce harcèlement semble avoir pour origine la religion, cette jeune fille traitait donc votre fille de Koufar, vous en pensez quoi ?

H. R. - Eh bien, je vais être honnête, nous n'avons pas besoin de réfléchir longtemps. La jeune fille... d'après ce que l'on m'a rapporté a un passé quelque peu préoccupant. Comme je l'ai appris plus tard elle vit avec son père, sa mère semble avoir pris ses distances. Elle souffre d’instabilité, un jour elle porte le voile, le lendemain, elle décide de l'enlever, puis elle le remet. Pour ma part, elle est voilée. En revanche, Samara, ma fille, ne l'est pas, mais je ne l'envoie pas à l'école vêtue d'une mini-jupe non plus. Elle est habillée de manière tout à fait ordinaire. Le problème semble résider dans le fait que cette fille n'accepte pas que Samara s'habille ainsi. C'est le cœur du problème, en fait. Ce qui est encore plus préoccupant, c'est qu'elle a réalisé que Samara ne réagissait pas et limite, elle s'excusait. En fait, elle a trouvé en Samara une cible facile. Oui, une proie. J'ai essayé de comprendre pourquoi elle harcelait ma fille, j’en ai parlé à Samara pour savoir si elle même l'avait insultée ou dit des méchancetés à son propos, ma fille m'a assurée que non. Elle avait décidé dans sa tête que ma fille manquait de pudeur, elle l'a même affirmé devant la police. Et pourtant, Samara a des amies voilées, qui ne lui ont jamais fait aucune remarque, ce n'est pas parce que Samara n'est pas voilée que, comme je l'ai expliqué, sur les plateaux TV, ma fille est une mécréante. Le jour où elle a été attaquée, elle jeûnait. Elle jeûnait. Pendant le Ramadan, elle pratique ses prières. C'est une enfant qui ne profère jamais de grossièreté. Je ne lui ai pas appris à être violente. Enfin, voilà, pour expliquer que ce n'est pas parce qu'elle n'était pas voilée qu'elle n'est pas une bonne musulmane, et dans tous les cas, cela ne lui donne pas le droit de la frapper. Mais c'est ce que pense cette jeune fille. J’ai précisé que cette jeune fille traitait ma fille de « mécréante », par parce que c’est le terme avec lequel elle qualifiait ma fille et pas un autre. C'est simplement cela.

Ma fille a toujours été acceptée par les autres. Elle est appréciée. En fait, le problème, c'est que cette jeune fille, a manipulé tous ses camarades. En fait, sur les réseaux sociaux, elle a créé plusieurs comptes pour dénigrer la moralité de ma fille avec des termes « sales ».

Elle créait des faux comptes ou elle diffusait des messages abjects contre tous les camarades laissant croire que c'était Samara qui en était à l'origine. Elle s’interposait sur le chemin de Samara régulièrement pour l’agresser physiquement. Des faits qu’elle a elle-même avoué et pour lesquels elle a été sanctionnée par le collège. Mais voilà aujourd'hui, malheureusement, c’est ma fille qui est hospitalisé. Son cas est un cas de harcèlement avéré.


I. - Comprenez-vous la polémique autour de la responsabilité de l’islam dans l’agression de votre fille ?

H. R. - Je veux juste clarifier quelque chose : ce que j'ai partagé lors de mon interview à BFM, c'était une expérience personnelle, un incident impliquant ma fille et une autre fille qui se trouve avoir reçu des enseignements biaisés de l’islam. Les journalistes ont fait des montages orientés en ne retenant que des « mots clés ». À aucun moment je n'ai généralisé ou désigné toute une communauté. Je suis moi-même musulmane, ma fille aussi. Pourquoi voudrais-je cracher sur ma propre identité ?

Ce qui m'attriste, c'est de voir comment mes paroles ont été détournées, coupées et utilisées pour propager la haine et servir des agendas politiques comme le tweet de Marine Lepen. C’est pour cela que j’ai décidé d’accepter l’invitation de Cyril Hanouna. Je me suis dit, en intervenant en direct, personne ne déformerait mes propos, et je voulais tellement être précise dans mes propos que j’ai décidé dans l’avion d’écrire un texte qui soit clair, mais même là, sur les réseaux sociaux on a prétendu qu’on m’avait mis la pression pour l’écrire. Face à ces manipulations de mes propos, j'ai ressenti quelques remords d'avoir précisé que la petite portait le voile, mais au final, même si je n'avais pas précisé que l'agresseuse était voilée, ces gens-là auraient dit de l'agression que « 30 arabes ont frappé une jeune fille ». En fait, ils auraient toujours trouvé le moyen de faire passer les musulmans pour « des méchants ».

Mais j’étais aussi perturbée, ma fille se trouvait dans une situation critique, en réanimation, et j'étais désemparée. J'essayais juste de protéger son honneur et le mien. Je veux que les gens comprennent que ma fille est une pratiquante, une personne respectueuse de sa foi, et cela n'a rien à voir avec la manière dont certains veulent dépeindre les musulmans. Moi, j'ai ma belle-mère qui est voilée, j'ai ma sœur qui est voilée, jamais je n’ai incriminé tout une communauté à laquelle en plus j’appartiens. Il s’agit encore une fois d’un cas d’agression par une individue qui puise sa haine dans un islam fantasmé, mais certains médias ont choisi de prendre mes mots, de les déformer pour alimenter leurs propres narratives.


I. - Certains ont même parlé d'une attaque contre la communauté harki au prétexte que votre grand père appartenait à cette communauté.

H. R. - Je suis écœurée qu'ils utilisent l'histoire de ma fille pour aller, on va dire, prôner leur haine sur la souffrance d'un enfant. Comme je l'ai expliqué, j'incrimine une personne. Je n'ai pas incriminé une communauté. J'ai dit, voilà, cette jeune fille, elle a fait du mal à ma fille et sa mère est aussi responsable parce qu’elle a mal élevé sa fille. Qu’on manipule mes propos de la sorte m’écœure. Mon histoire famille n’a rien à voir avec l’agression de ma fille. Moi j’accepte et remercie tout le monde pour leurs soutiens mais pas en déformant mes propos pour les mettre à leur sauce, pour leur propre combat. Cela m'écœure parce qu'on ne fait pas ça depuis la souffrance d'une enfant. Pour moi c'est inadmissible.


I. - Avez-vous avez reçu du soutien de la mosquée de Montpellier ou de la communauté musulmane de Montpellier ?

H. R. - Oui en effet, ils ont observé une prière pour ma fille. Ils ont beaucoup prié pour elle. C'était le plus important, en fait. C’est mon papa qui fréquente la mosquée de Plancabane qui me l’a rapporté. Et ce n'était pas qu’à la mosquée Plancabane, mais dans toutes les mosquées de Montpellier. Mon frère qui va dans une autre mosquée, à Montpellier, m’a également raconté qu’ils ont aussi relaté ce qu’a subi Samara. Ils ont prié pour elle. Cela m'a vraiment touchée ... Vraiment. Je pense que c'est grâce à toutes ces personnes qui ont prié pour ma fille, que Samara est vivante aujourd’hui. Je suis très croyante, cela a été d’un grand réconfort pour moi. Vous savez, quand les médecins m’ont annoncé qu’ils avaient fait tout leur possible mais qu’elle pouvait rester dans le coma un jour, une semaine, un mois, des années .. C’était limite comme s’ils me disaient qu'elle était entre les mains de Dieu... Aujourd’hui je me dis que c’est grâce à toutes ces prières qu’elle s’en est sortie.


I. - Je comprends, si vous aviez un message, aujourd'hui, à transmettre aux adolescents, de façon générale, sur le harcèlement scolaire et aussi en direction de l'éducation nationale, ça serait lequel ?

H. R. - Je pense qu'il est essentiel pour les adolescents de parler du harcèlement scolaire s'ils en sont victimes. Il ne faut pas hésiter à en parler, même si cela peut sembler difficile. En ce qui concerne l'éducation nationale, je pense qu'il est nécessaire pour eux de prendre des mesures concrètes dès qu'ils ont connaissance de situations de harcèlement. Il ne suffit pas de savoir, il faut agir. Par exemple, j'ai recueilli de nombreux témoignages d'autres enfants devant le collège pendant des heures, mais malgré cela, aucune action n'a été entreprise. Il est donc crucial que l'éducation nationale prenne ce problème au sérieux et mette en place des mesures efficaces pour protéger les élèves contre le harcèlement.


I. - Qu'est-ce qu'une institution comme la Grande Mosquée de Paris pourrait faire, d'après vous, pour vous apporter son soutien, et plus largement dans ce genre de situation ?

H. R. - Je pense qu'il serait bénéfique que les responsables religieux au sein des mosquées sensibilisent les parents sur l'importance de la communication avec leurs enfants et sur le fait de ne pas tolérer le harcèlement. Les parents doivent être présents et soutenir leurs enfants, et les mosquées pourraient jouer un rôle en rappelant cette responsabilité aux fidèles lors de leurs discours. Cela aiderait à renforcer le soutien familial nécessaire pour lutter contre le harcèlement.


*À paraître dans le n°14 du magazine Iqra.



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