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Le billet du Recteur (n°10) - "Le Ramadan : fusion de l'esprit et de l'action"



Dans le crépuscule, école d'âme et de conscience, le Ramadan dévoile sa magie : fusion du tangible et du spirituel, de l'action extérieure et de la contemplation intérieure. Un éveil, où les prières se mêlent aux parfums des repas partagés, mais aussi un acte qui porte en lui une dualité insaisissable, une réalité à la fois manifeste et cachée, tels les deux visages d'une même pièce.


Ainsi, le jeûne, cet acte d'abstention et de dévotion, se révèle être la fusion intime entre le geste extérieur et l'intention intérieure, une danse subtile entre les membres et le cœur, entre l'action et le sentiment.


En parcourant les saisons, le mois de Ramadan traverse tous les cycles de la nature une fois tous les trente-trois ans, offrant une variété d'expériences aux croyants. Que ce soit en été, en hiver, en automne ou au printemps, aux journées longues ou plus courtes, le Ramadan demeure une période d'intensité spirituelle, où les jeûneurs ressentent plus que jamais la soif de proximité avec Dieu.


De tous les âges, les poètes, tels que l’Abbasside Ibn al-Rumi, ont exprimé cette expérience avec une impulsion poétique forte, soulignant l'importance de ce mois béni dans la vie des croyants. Plus de onze siècles plus tard, l’immense poète palestinien, Mohammed Darwish célèbre l'arrivée du Ramadan dans un poème vibrant d'émotion. Il décrit avec une plume enchanteresse comment la lumière de ce mois béni dissipe les ténèbres, répandant la béatitude et l'élévation spirituelle à travers l'univers. Avec son style particulier Darwish évoque la pureté éclatante qui illumine les âmes désespérées, révélant la vérité aux cœurs purs et élevant les espoirs au-dessus des bas désirs. Ses vers sont une ode à la magie du Ramadan, à sa capacité à transformer les âmes et à éclairer les esprits.


Au centre de cette philosophie du Ramadan se niche l'essence même de cette période bénie : une école où chaque instant est une leçon, chaque souffle une méditation. Car le Ramadan ne se limite pas à une simple privation alimentaire, mais se déploie comme une symphonie spirituelle, une invitation à la contemplation et à l'introspection. C'est une session complémentaire dans le curriculum de l'âme humaine, une opportunité de combler les lacunes de l'existence, de purifier les âmes des scories accumulées durant les onze mois écoulés.


Mais cette période bénie, est aussi le temps où les barrières sociales s'estompent, où le riche s'incline devant le pauvre, où l'amour et la compassion guident chaque geste. Car le jeûne, loin d'être une simple pratique ascétique, incarne une profonde équité entre les êtres, une communion dans la faim et dans la compassion.


Dans la sagesse des enseignements prophétiques, se révèle la raison ultime de ce jeûne : une invitation à l'empathie, à la communion avec les plus démunis, une humble reconnaissance de la fragilité de l'existence humaine. Car en se privant temporairement des plaisirs terrestres, l'homme purifie son âme des souillures du péché, érigeant un pont de lumière entre lui et son Créateur.


Dans les méandres de la pensée éclairée, le jeûne se dresse tel un pilier de purification et de réforme spirituelle. Ainsi, Al-Ghazali, éminent penseur et juriste musulman, en souligne la vertu en le décrivant comme un moyen de détourner l'âme du superflu nuisible, pour la recentrer sur l'essentiel, vers Dieu. Cette privation, loin d'être un simple abandon, est un retour vers l'essentiel, une recherche de la transcendance divine au-delà des contingences terrestres.


Parmi les échos de l'histoire, nous entendons la voix du Calife Omar ibn al-Khattab, que Dieu soit satisfait de lui, réunissant les fidèles pour la première prière des Tarawih derrière un seul imam, la deuxième année de son califat bien guidé. Ces moments historiques soulignent l'importance de l'unité de la communauté dans la pratique du Ramadan, renforçant les liens spirituels qui unissent les croyants pendant ce mois béni.


Cette communion d'âmes, cette unité de sentiment, trouvait son expression la plus pure dans l'acte symbolique de scruter le croissant lunaire, de reconnaître ensemble l'obligation du jeûne. Car dans ce geste simple se cachait un symbole puissant, celui de la volonté collective de tendre vers la miséricorde, l'humanité et la bonté. Tous devenaient alors égaux dans leur engagement, unis par la conscience commune des obligations morales.


Ainsi, dans l'essence même du jeûne se reflète la dualité de l'homme, entre le privé et le public, le spirituel et le matériel. C'est dans cette dualité que réside la véritable profondeur de l'humanité, dans le libre arbitre de choisir l'obéissance divine, dans l'équilibre subtil entre la liberté et la responsabilité. Le jeûne devient alors l'expression ultime de la volonté humaine, un acte de liberté qui élève l'homme au-dessus des contraintes du monde matériel, pour le placer dans une position distinguée parmi les créatures divines.


Dans cette exploration érudite du mois sacré, plusieurs éminents penseurs occidentaux ont su saisir l'essence profonde du Ramadan. Jonathan A.C. Brown, érudit américain spécialisé dans l'islam et l'histoire musulmane, percevait le jeûne non seulement comme un acte individuel de dévotion, mais également comme un engagement social transcendant les frontières de la foi personnelle. De même, John L. Esposito, éminent universitaire en études islamiques et en relations internationales, reconnaissait dans la pratique du jeûne un moyen de lutte contre la pauvreté et la cupidité, une voie de purification tant des âmes que des sociétés. Carl W. Ernst, professeur d'études religieuses à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, apportait son expertise en soulignant le caractère ascétique du Ramadan et son impact sur la vie sociale. Quant à Karen Armstrong, éminente auteure britannique et spécialiste de l'islam, elle explorait les profondeurs de cette tradition millénaire, mettant en lumière son rôle dans la transformation individuelle et collective. Ensemble, ces penseurs ont contribué à éclairer le monde occidental sur la richesse et la signification du mois béni de Ramadan.


Ainsi, le jeûne de Ramadan résonnait comme une symphonie spirituelle, une harmonie entre le corps et l'esprit, entre l'individu et la société. Dans cet équilibre subtil, l'âme s'élevait, guidée par la volonté du corps, nourrie par la force de l'esprit. Dans cette symphonie de pensées, le jeûne se présente comme un acte à la fois individuel et social, une pratique ascétique qui transcende les frontières de la foi personnelle pour devenir un engagement collectif envers l'humanité. À travers la pratique du jeûne et de la zakat el-Fitr, le mois de Ramadan forme un acte de générosité sociale, une lutte contre la pauvreté et la cupidité, un moyen de purifier les âmes autant que les sociétés.


Enfin, dans un monde où les sentiers de la foi se croisent et s'entrelacent, le mois de Ramadan se dresse tel un phare éclatant, illuminant les âmes de sa lueur spirituelle. Au-delà des frontières confessionnelles, le jeûne incarne un rite de passage, un pont vers la transcendance qui unit les cœurs et les esprits. Dans cet élan de dévotion, nous trouvons une mélodie commune, une symphonie de renoncement et de quête intérieure, chantée par les fidèles de diverses traditions. Du Carême chrétien à Yom Kippour dans le judaïsme, le jeûne témoigne d'une aspiration partagée à la purification de l'âme, à la communion avec le divin. Ainsi, alors que le soleil se couche sur le mois sacré du Ramadan, il nous rappelle non seulement l'essence profonde de la foi islamique, mais aussi la beauté universelle de la recherche spirituelle, tissée dans la trame des croyances et des pratiques religieuses à travers les âges.



À Paris, le 11 mars 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 




 

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