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Le billet du Recteur (n°28) - Entre les deux mondes qui sont les miens, qui sont les nôtres : la force d'un héritage partagé



J'ai reçu, il y a peu, deux invitations qui me plongent dans une réflexion sereine et porteuse d’avenir. Le 5 juillet, l'Algérie célèbre son indépendance, un moment chargé de souvenirs, de luttes et de victoires chèrement acquises. Le 14 juillet, la France, notre France, a fêté sa liberté, son égalité, sa fraternité. Portant en moi les deux nationalités, je ressens une double appartenance qui se révèle plus complexe dans le contexte actuel.


En ce jour d'été, où les cœurs vibrent au rythme des hymnes nationaux, je suis appelé à être le témoin d'une dualité qui m'habite. Les drapeaux flottent, l'un vert et blanc étoilé de rouge, l'autre bleu, blanc, rouge, témoignant de deux histoires entremêlées.


Mon cœur bat pour l'Algérie, cette terre chaude où les premiers cris de liberté ont retenti dans un fracas de fer et de feu. L'Algérie, ma mère, m'a vu naître et grandir, a forgé en moi une identité profonde, marquée par le soleil et le bleu du ciel algérois, par la sagesse des ancêtres et les espoirs de la jeunesse.


Mais il bat aussi pour la France, cette patrie des Lumières, berceau de la culture, dont la devise résonne comme une promesse universelle. La France, m'a offert un autre horizon, celui des droits de l'homme, de la culture et du savoir qui transcendent les frontières. Pourtant, en ces temps troublés où le spectre du nationalisme extrémiste gronde aux portes de l'Assemblée, la France semble vaciller sur ses fondements. 


Cette double appartenance, que je revendique avec fierté, m'oblige à une introspection honnête. Elle me pousse à m'interroger sur la nature même de l'identité, sur les passerelles à construire entre ces deux rives. Comment réconcilier en moi ces deux patries que tant de passions ont opposées ? Comment faire entendre une voix qui ne soit ni celle du reniement ni celle de la division ?


En ces jours de fête, je veux croire en la possibilité d'une harmonie. À Alger, parmi les miens, je célèbrerai la liberté arrachée au prix du sang et des larmes pour sortir le pays d’une longue nuit coloniale. À Paris, sous le ciel de France, je rendrai hommage à une nation aux multiples facettes et riche d'une longue histoire culturelle, sociale et économique.


Ce chemin de l'entre-deux n'est pas sans embûches. Mais il est le seul qui me permette d'être pleinement moi-même, de conjuguer au présent une histoire riche et complexe. En embrassant mes deux identités, je refuse de choisir entre elles. Je suis le fruit de ces deux cultures, et c'est en leur sein que je trouve ma force et mon équilibre.


Et voilà que s'élève une nouvelle polémique, une onde de choc qui traverse notre République. Dans le récit national promu par le Rassemblement National, la binationalité apparaît comme une anomalie, une entorse à l'unité rêvée d'une France monolithique. Les voix montent, s'élèvent pour contester cette double appartenance, la réduire à une traîtrise potentielle, une déloyauté inavouée.

Mais qu'est-ce donc que cette peur, sinon le reflet d'une ignorance ? La binationalité n'est pas une trahison. Elle est la richesse d'une vie tissée de multiples fils, chacun apportant sa couleur, sa texture, à la tapisserie de l'existence. Ce rejet, cette volonté de purification identitaire, n'est que le signe d'une fragilité, d'un manque de confiance en soi.


Jean Amrouche, poète de l'exil et de la réconciliation, aurait sans doute compris cette quête incessante de l'unité dans la diversité. À travers ses mots, je cherche une sagesse intemporelle, celle qui permet de nouer des liens malgré les cicatrices de l'histoire. Car c'est dans l'acceptation de cette double appartenance que réside, je le crois, l'avenir de notre humanité commune.


La binationalité est une passerelle, non une barrière. Elle est l'affirmation d'une identité qui refuse de se laisser enfermer dans des catégories simplistes. Elle est la preuve vivante que l'on peut aimer deux patries sans les trahir, que l'on peut être fidèle à deux histoires sans les renier.


Contrairement à ce que l'on a pu entendre durant cette période électorale par des hommes politiques aux petits pieds, forcer les binationaux à renier l'une de leurs identités est une source de problèmes et de tensions. Cela revient à déchirer une partie d'eux-mêmes, à semer la frustration et le reniement, à les rabaisser plutôt qu'à les élever. La reconnaissance de la valeur de l'identité plurielle est au contraire un chemin vers la paix intérieure. En permettant aux jeunes de connaître et d'aimer leurs racines, nous leur offrons la possibilité de vivre avec une mémoire apaisée, une fierté partagée entre deux pays. Encourager les jeunes binationaux, particulièrement ceux issus des anciennes colonies, à embrasser cette double culture forge des adultes construits et sereins. C'est dans cette connaissance et cet amour des origines que se trouve la clé de l'harmonie future, de l'enrichissement mutuel des nations et des individus.


C'est dans cet esprit d'ailleurs que la Grande Mosquée de Paris a tout de suite adhéré au programme, cet été 2024, pour la deuxième année consécutive, des colonies de vacances en Algérie, en envoyant des enfants de 10 à 14 ans découvrir plusieurs régions du pays. Ce programme, lancé par le Président Algérien à l'attention des enfants de la communauté à l’étranger, contribue à forger des adultes équilibrés, non amputés de la partie manquante de leur identité. En offrant à ces jeunes l'opportunité de découvrir leurs racines algériennes, de marcher sur les terres de leurs ancêtres, une lacune essentielle est comblée dans leur éducation. Cela prévient les fantasmes et les excès, tant d'un côté que de l'autre, en permettant une connaissance réelle et profonde de leurs deux cultures qu’ils s’approprient harmonieusement. En renouant avec leurs origines, ces enfants construisent une fierté et un équilibre qui les préservent des frustrations du reniement et de l'aliénation. Voilà pourquoi il est crucial de promouvoir de telles initiatives, car elles sont la garantie d'une génération future capable de naviguer sereinement entre ses deux patrimoines, riche de ses diversités et apaisée dans son identité.


Cela vaut pour l'Algérie, mais également pour l'ensemble des pays d'où sont venues des générations d'immigrés, ancêtres des Français que nous sommes aujourd'hui. Au lieu d'ériger des barrières et de museler une partie de ce qui nous compose, il est impératif d’imaginer des ponts. Faire de nous, binationaux de toutes origines, les ambassadeurs entre les pays de nos ancêtres et notre patrie, la France, est une mission noble et nécessaire. En reconnaissant et en célébrant la diversité de nos racines, nous enrichissons non seulement notre propre identité, mais aussi celle de notre nation. Nous devenons alors les artisans d'une France ouverte et inclusive, capable de dialoguer avec le monde et de se fortifier de ses multiples héritages. 


Nous, binationaux, citoyens du monde, sommes le nouveau visage de la nation française. Nous portons en nous la diversité et la richesse des histoires et des cultures qui ont fait la France moderne. Il nous incombe de jouer un rôle crucial dans la construction de la paix, alors que le monde vit au rythme des conflits. Nos identités plurielles nous rendent particulièrement aptes à comprendre les nuances et les complexités des relations internationales. Nous sommes les passerelles entre les civilisations, les messagers de la compréhension mutuelle et de la réconciliation. En embrassant notre double appartenance, nous pouvons être les artisans de la paix, en France et au-delà de ses frontières. Car c'est dans l'union de nos diversités que nous trouverons la force de bâtir un monde plus juste et plus humain, où chaque individu, riche de ses multiples legs, pourra contribuer à un avenir commun, empreint de tolérance et de respect mutuel.


En ces jours de célébration, des deux côtés de la Méditerranée, je tenais à rappeler ceci : l'unité véritable ne réside pas dans l'exclusion, mais dans l'acceptation de la diversité. Que l'amour de la patrie n’exclue pas l'ouverture à l'autre, mais au contraire, s'enrichit de cette rencontre. C'est ainsi que je vois mon double héritage : non comme une anomalie, mais comme une chance, une opportunité de construire des ponts là où d'autres voudraient ériger des murs.



À Paris, le 16 juillet 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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1 Comment


clara
Apr 14

Merci pour cet article inspirant qui explore avec profondeur la dualité des mondes spirituels et matériels. Cela m’a fait réfléchir à la façon dont la mode peut aussi être un pont entre ces deux univers, notamment à travers des pièces symboliques comme la robe violette de cérémonie, qui allie élégance et spiritualité.


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