Leurs visages se confondent avec la douleur, leurs corps portent les marques d’une violence infligée par ceux qui auraient dû les protéger, et leurs voix, souvent étouffées, crient dans un silence que l’on ose rarement briser. Elles sont mères, filles, sœurs ou simples passantes, chacune marquée par le poids d’un système qui les blesse, les trahit, les dévore. Rebecca Cheptegei, une femme pleine de promesses, a vu sa vie éteinte dans les flammes allumées par celui qui partageait son quotidien ; des femmes à Mazan, brisées par l’horreur des agressions et des viols, ont été réduites à de simples corps outragés par la brutalité humaine ; et, à travers le monde, des milliers d'autres femmes sont prises au piège des conflits qui transforment leurs existences en une suite de supplices.
Comment pouvons-nous, en tant qu’êtres humains, détourner le regard face à ces souffrances ? Comment, en tant que croyants, rester silencieux quand tant de dignités sont piétinées, quand tant d’esprits et de cœurs sont brisés ? Il est temps de répondre à leur appel, d'entendre ces voix que l’on tait et de proclamer, haut et fort, que les femmes méritent sécurité, respect et justice.
Les tragédies dont nous sommes témoins sont autant de rappels douloureux de la vulnérabilité des femmes face à une violence systémique. Mais dans la noirceur de ces récits, en tant que recteur d’une institution religieuse, il est pour moi crucial de rappeler que les enseignements musulmans, loin d’autoriser de telles brutalités, appellent à l’amour, à la bienveillance et à la protection des femmes. Ce plaidoyer, enraciné dans la tradition prophétique et le message du Coran, est un appel à réaffirmer que la dignité et la protection des femmes sont des obligations morales que chaque croyant, chaque membre de la société, doit porter en son sein.
La dignité inaliénable des femmes en Islam
Les récits que nous lisons aujourd'hui, qu'ils soient ceux de Rebecca ou de Dominique Pélicot, sont les échos d'une tragédie commune qui transcende le temps et l'espace. Ces histoires résonnent dans nos cœurs, non seulement parce qu’elles nous rappellent la fragilité de l'existence humaine, mais aussi parce qu’elles soulèvent la question fondamentale de la dignité. Chaque femme, chaque être humain, est porteur d’une dignité que nul ne peut ôter. Le Coran, dans sa clarté divine, nous enseigne : « Nous avons certes honoré les fils d'Adam » (Coran 17:70). Cette dignité est inhérente, inaltérable, un don que Dieu a fait à l'humanité entière.
Dans cette vision sacrée de l'être humain, les femmes ne sont pas simplement des objets de protection passive. Elles sont des partenaires dans la quête de justice, des piliers de droiture. Notre bien-aimé Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui) a dit lors de son sermon d'adieu : « Ô gens ! Vos femmes ont des droits sur vous, et vous avez des droits sur elles ». Cette parole n'est pas une simple déclaration, mais un rappel puissant de l’équilibre nécessaire dans les relations entre les hommes et les femmes. Un équilibre fondé sur le respect mutuel, l’équité et la dignité.
La protection des femmes : un devoir moral et spirituel
La mort de Rebecca Cheptegei, victime de la cruauté de celui qui devait être son protecteur, est une tragédie qui trouve écho dans bien trop de foyers à travers le monde. Dans la chaleur étouffante des murs domestiques, des femmes vivent dans la terreur de l’abus, trahies par ceux qui devraient les aimer. Le Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui) nous a enseigné : « Les meilleurs d’entre vous sont ceux qui sont les meilleurs avec leurs femmes » (Sunan al-Tirmidhi). Que nous reste-t-il à dire, sinon que tout homme qui lève la main sur une femme a renié les principes mêmes de sa foi ?
La violence domestique, cette plaie silencieuse qui déchire tant de vies, est un fléau que l’Islam condamne fermement. Il n’y a pas de place pour la brutalité dans un cœur soumis à Dieu. Chaque coup porté à une femme, chaque insulte, chaque geste de mépris est une trahison envers l’essence même de notre foi.
La responsabilité collective face aux violences sexuelles
Dans les rues de Mazan, des cris ont résonné dans la nuit, mais ce silence qui les a suivis est encore plus assourdissant. Les viols, ces actes de barbarie innommables, révèlent non seulement la cruauté de quelques-uns, mais aussi l'échec d'une société à protéger ses membres les plus vulnérables. Le Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui) a dit : « Celui d’entre vous qui voit un mal, qu’il le change de sa main ; s’il ne peut pas, qu’il le fasse de sa langue ; et s’il ne peut pas, alors qu’il le réprouve dans son cœur » (Sahih Muslim).
Le silence face à ces crimes n’est pas une option. Il est de notre devoir de dénoncer, de nous opposer, de lutter contre l’injustice. Le Coran nous rappelle : « Soyez fermes pour la justice, témoins équitables pour Allah » (Coran 4:135). Chaque fois qu’une femme est agressée, chaque fois qu’un acte de violence est commis et que nous ne disons rien, c’est notre humanité même qui est remise en cause.
La guerre et les violences faites aux femmes : une ignominie que l'Islam rejette
Les conflits modernes transforment les femmes en cibles de guerre. Leurs corps deviennent des champs de bataille, où les soldats laissent derrière eux des plaies que nul ne pourra jamais guérir. Pourtant, notre bien-aimé Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui), même dans les moments les plus sombres de l’histoire, a interdit tout acte de violence envers les femmes, les enfants et les personnes vulnérables.
L’utilisation des femmes comme armes de guerre, comme cela a été dénoncé par l'ONU, est une abomination que l’Islam rejette avec force. Les viols, les mutilations, les humiliations perpétrées contre les femmes en temps de guerre sont des crimes graves. Ces actes sont non seulement des crimes contre les femmes, mais des crimes contre l’humanité tout entière.
Le combat féministe musulman : une lutte pour la justice
Si l’Islam offre un cadre spirituel et moral pour la protection des femmes, le combat féministe musulman vient renforcer cette lutte. Depuis des siècles, des femmes comme Huda Sha’arawi, Fatima Mernissi, Leila Ahmed et Asma Lamrabet ont pris les armes du savoir et de la parole pour dénoncer les injustices que subissent leurs sœurs.
Le féminisme musulman est enraciné dans cette quête de justice, cette volonté de rétablir l’équilibre et de rendre aux femmes la place qui leur revient dans la société. Fatima Mernissi, par exemple, a dénoncé les interprétations patriarcales des textes religieux qui, pendant des siècles, ont servi à maintenir les femmes dans une position de vulnérabilité. Elle affirmait : « Quand une femme se rebelle contre un destin dicté par la tradition, elle brise ses chaînes ».
Ces femmes ont montré, avec courage et détermination, que le féminisme n’est pas une idéologie étrangère à l’Islam, mais qu’il peut s’inscrire pleinement dans la tradition musulmane de lutte contre l’injustice et pour l’égalité.
L’heure est à la solidarité entre croyance et action
Les souffrances des femmes ne doivent plus être tolérées. Nous ne pouvons plus détourner les yeux ni prétendre que nous ne savons pas. L'Islam, par ses enseignements clairs, et le féminisme musulman, par son engagement indéfectible, nous montrent la voie à suivre.
Il est de notre devoir, en tant que croyants, d'agir avec détermination pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence. Il s'agit d'un devoir spirituel, moral et humain. Le Prophète Mohammed (paix et salut soient sur lui) nous a rappelé que « Celui qui ne fait pas miséricorde aux autres, ne recevra pas la miséricorde d’Allah » (Sahih Muslim).
Que notre foi, notre humanité et notre sens de la justice nous guident dans ce combat noble. Que chaque femme, où qu'elle soit, puisse enfin vivre libre, respectée et protégée. Que cette lutte devienne la nôtre, aujourd’hui et pour toujours.
À Paris, le 16 septembre 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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