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Le billet du Recteur (n°35) - La lumière du savoir contre les ombres du fanatisme : mon soutien aux enseignants



D’aussi loin que je me souvienne, les échos du respect voué à l’instituteur résonnent dans ma mémoire, comme une prière murmurée à l’aube. Mes parents, bien que privés de l’instruction des livres, s’accrochaient avec ferveur à cette idée tirée de nos racines religieuses : la connaissance est une lumière, et celui qui la dispense est un guide sur le chemin de la vérité. Cette conviction profonde, presque sacrée, m’a toujours accompagnée, et c’est à travers le prisme de la pensée de Malek Bennabi que j’ai appris à en sonder les profondeurs. Ses mots, comme des éclats de vérité, éclairaient cette relation intime entre l’apprentissage et la quête spirituelle.

 

Pour Malek Bennabi, l’éducation n’était pas simplement un outil d’émancipation individuelle, mais le pilier même de la résurrection des sociétés musulmanes. Elle n’était ni un privilège ni un luxe réservé à quelques privilégiés, mais bien une obligation, un devoir auquel nul n’échappait, homme ou femme, riche ou pauvre. À l’aune de cette vision, il devient urgent de rappeler que l’éducation est un droit inhérent à chaque croyant, car elle est, dans l’Islam, un chemin vers l’épanouissement de l’esprit et l’élévation de la communauté toute entière. Les ténèbres du fanatisme, nourries par l’ignorance, ne peuvent prospérer que là où la lumière du savoir vacille. Comment, dès lors, comprendre que certains, sous le couvert d’un pseudo islam déformé, puissent s’en prendre aux institutions de l’apprentissage, mutilant ainsi l’avenir de générations entières ?


Dans la tradition islamique, l’éducation trouve ses racines dans les premières paroles révélées au Prophète Mohammed (que la paix et la bénédiction soient sur lui) : « Iqra » — « Lis ». Cet appel divin, adressé à l’humanité entière, élève la quête de savoir au rang de commandement sacré. L’éducation, qu’elle soit religieuse ou profane, est le moyen par lequel l’homme comprend non seulement le monde qui l’entoure, mais aussi son propre être et son Créateur. Le savoir libère l’âme, épanouit l’esprit et forge la conscience. Abdelhamid Ibn Badis a en son temps tenu à ce que les filles aillent dans la même école que les petits garçons. C’était au début du vingtième siècle, au début des années trente.


Pourtant, malgré cette vérité inscrite dans le cœur même de l’Islam, certains, mus par une ignorance brutale, interdisent aux filles l’accès aux écoles, trahissant ainsi l’essence même de notre foi.


Le fanatisme, telle une gangrène, ronge l’âme de ceux qui détournent les textes sacrés pour justifier la régression. Al-Farabi, Ibn Sina, Al-Ghazali, et tant d’autres savants musulmans, ont bâti les fondations de la grandeur intellectuelle de la civilisation islamique, liant foi et raison, science et spiritualité. Ces hommes, lumières de leur temps, comprirent que seule l’instruction peut empêcher le déclin et que, sans elle, une société se condamne à l’obscurité. Leurs œuvres, témoins de cette alliance précieuse, sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais.


Malek Bennabi, avec son regard perçant sur les maux de notre époque, n’a cessé de rappeler que la décadence des sociétés musulmanes ne peut être vaincue que par une réhabilitation de l’éducation. Les extrémistes, comme Boko Haram, sont les porteurs de cette perversion tragique, utilisant la terreur et la destruction des écoles comme armes pour asseoir leur règne d’obscurité. Ces groupes volent l’avenir des enfants, les condamnant à la misère et à l’exil intérieur. Cette rentrée 2024/2025 aussi, des milliers d’écoles étaient fermées, des millions d’enfants déracinés dans le Sahel, privés de la possibilité d’apprendre, de comprendre, de rêver.


La fermeture des écoles est une plaie béante dans le corps de nos sociétés, une tentative désespérée des extrémistes de maintenir les peuples dans la soumission. Ils savent que seule l’éducation peut libérer les esprits et briser les chaînes de l’oppression. Dans un monde où la complexité ne cesse de croître, l’apprentissage est la clé pour naviguer à travers les défis contemporains, et c’est cette clé que ces fanatiques cherchent à détruire.


Ces imposteurs de la foi, eux, distillent leur ignorance dans les esprits vulnérables, manipulant les textes sacrés pour semer la haine et le désespoir. Ils ont nourri leur fanatisme de l’ignorance des plus faibles, et cette folie a culminé dans des actes abjects, comme l’assassinat de Samuel Paty, un homme qui n’a fait que remplir son devoir d’enseignant en encourageant ses élèves à réfléchir. Et comme celui de Dominique Bernard. Dans cette ambiance de peur, les demandes de protection des enseignants se multiplient, car chaque jour, ils se sentent menacés pour avoir fait ce qui est juste : enseigner.


En tant que Recteur de la Grande Mosquée de Paris, je veux aujourd’hui réaffirmer notre soutien indéfectible aux enseignants de France. Nos enfants, eux, continuent d’apprendre dans ces écoles, aux côtés de leurs camarades, grandissant dans un esprit de respect mutuel et de fraternité. Je fais appel à chaque musulman de France pour entourer ces enseignants de reconnaissance et de gratitude, car en s’en prenant à eux, c’est notre lumière commune qu’ils tentent d’éteindre.


Je m’adresse également aux médias et aux politiques : il est de notre devoir de faire la distinction entre les actes isolés de quelques extrémistes et la réalité des millions de musulmans qui vivent dans la paix et le respect des lois de la République. N’abandonnons pas cette majorité silencieuse à la stigmatisation.


Enfin, je le redis et ne cesserai de le répéter : l’Islam véritable se dresse contre toute forme de barbarie. Le Prophète Mohammed (que la paix et la bénédiction soient sur lui) nous a enseigné que celui qui recherche le savoir emprunte le chemin qui mène au Paradis. Chaque attaque contre une école est une rébellion contre ces enseignements fondamentaux. Défendre nos écoles, promouvoir l’apprentissage, c’est honorer notre héritage, c’est résister à l’obscurité, et c’est préparer un avenir empli de lumière pour nos enfants.

 


À Paris, le 14 octobre 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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