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Le billet du Recteur (n°44) - Égalité des chances et cohésion nationale : le discours politique face aux défis républicains



Alors que l’année 2024 s’efface doucement pour laisser place à un nouveau chapitre, prenons un instant pour observer, avec lucidité et humilité, le chemin parcouru. Chaque fin d’année est une invitation à la réflexion : que sommes-nous devenus, en tant que société ? Que disent de nous les défis que nous avons affrontés, les épreuves qui nous ont secoués, et les réponses – ou parfois les silences – que nous leur avons opposés ?


Jamais la République n’a été aussi interpellée dans ses fondements. Jamais ses principes n’ont été autant invoqués, parfois pour éclairer, parfois pour diviser. Liberté, Égalité, Fraternité : ces mots résonnent avec force, mais combien parmi nous s’interrogent sur leur véritable signification dans notre quotidien ?


Il serait facile de ne voir dans cette année écoulée que le tumulte et les fractures. Les discours stigmatisants, les peurs exacerbées, les discriminations voilées ou frontales : tout cela existe, et nous inquiète. Mais dans les marges de ce chaos, là où les projecteurs ne se posent pas toujours, il y a eu des sursauts de dignité. Des femmes et des hommes, parfois dans l’anonymat, ont œuvré pour préserver ce qui nous unit. Ce sont eux, ces bâtisseurs silencieux de l’espoir, qui méritent aujourd’hui notre reconnaissance et notre soutien.


Dans ce contexte de tensions exacerbées, la Grande Mosquée de Paris s’est efforcée de jouer son rôle de boussole. Fidèle à un islam enraciné dans les valeurs de paix, de dialogue et de respect, elle a tenu bon face aux vents contraires. Il n’est pas aisé de défendre la cohésion nationale lorsque certains cherchent à alimenter la division. Mais nous avons continué de tendre la main, convaincus qu’il est toujours plus difficile – mais aussi plus noble – de bâtir des ponts que d’ériger des murs.


Les propos du Premier ministre Gabriel Attal, en début d’année, dénonçant un supposé « entrisme islamiste » dans nos écoles, ont été une épreuve pour notre cohésion nationale. Ces déclarations, imprécises et globalisantes, ont risqué de semer la défiance là où nous avions besoin de confiance. Comment ne pas s’inquiéter lorsque des mots, portés par des responsables politiques, viennent frapper une communauté déjà éprouvée par des années de suspicion ? Nous l’avons dit et redit : la lutte contre le radicalisme est une exigence. Mais elle ne peut et ne doit jamais se transformer en une suspicion généralisée, car alors elle fissure l’édifice même de la République.


L’année 2024 a aussi été marquée par des débats vifs sur la laïcité. Ce principe, si précieux et si fragile, a parfois été brandi comme une arme, au lieu d’être un socle de liberté et de respect. Oui, nous, musulmans, sommes attachés à la laïcité, profondément et sincèrement. Mais une laïcité qui exclut, qui pointe du doigt, qui oppresse plutôt qu’elle n’émancipe, n’est plus fidèle à son essence. La grandeur de la laïcité réside dans sa capacité à protéger, à permettre à chacun de vivre ses convictions en harmonie avec celles des autres. Faisons en sorte qu’elle reste un outil d’inclusion, et non un instrument de division.


Critiquer les orientations politiques ou les dérives administratives ne signifie pas s’opposer à la République. Bien au contraire, c’est une manière d’en préserver l’esprit. Les discours de haine et des discriminations anti-musulmanes – qu’elles soient manifestes ou insidieuses – doivent être combattues sans relâche, non par calcul, mais par fidélité à ce que nous sommes. Comme toute forme de racisme, elles n’ont pas leur place dans une société qui se veut égalitaire. Nous appelons avec force les responsables politiques à ne pas céder à la facilité des discours populistes. Il faut du courage pour défendre la dignité de tous, mais c’est là le rôle de ceux qui portent l’idéal républicain.

Alors que le climat général demeure marqué par les dissensions et la recherche de boucs émissaires, un moment d’apaisement et d’espoir a émergé. Comme beaucoup de Français, j’ai écouté avec attention la première prise de parole de François Bayrou à Matignon. Dans ses mots, il y avait une clarté, une sincérité, et surtout une vision. En dénonçant l’injustice d’un destin trop souvent figé par des origines, des croyances ou le manque d’accès aux « codes » nécessaires pour évoluer dans notre société, il a posé un diagnostic lucide, mais surtout ouvert la voie à un dialogue constructif.


En écoutant François Bayrou rappeler que l’éducation doit cesser d’être un privilège pour redevenir une promesse tenue à chacun des enfants de la République, j’ai perçu une étincelle d’espoir. Un rappel que, malgré les murs invisibles qui cloisonnent encore trop de vies, le changement est possible si nous choisissons de donner à l’éducation sa juste place : celle d’un levier puissant pour l’égalité des chances.


En tant que Recteur de la Grande Mosquée de Paris, ce lieu de rencontres et d’échanges, je suis chaque jour témoin des aspirations vibrantes mais souvent frustrées d’une jeunesse dont les rêves se heurtent à des barrières insidieuses. Ces barrières ne sont pas toujours matérielles : elles résident dans les préjugés, le déterminisme social et l’inégalité structurelle. Que l’on soit né dans un quartier populaire ou dans un village isolé, trop de destins sont encore bridés par un « capital initial » que certains possèdent par héritage, et dont d’autres sont cruellement privés.


Le Premier ministre a su pointer une réalité douloureuse : celle d’une méritocratie promise qui peine à tenir ses engagements. Mais il ne s’est pas arrêté là. Il a aussi tendu une main, rappelant que le changement est à portée si nous mobilisons les outils à notre disposition, en premier lieu l’éducation. Ses mots résonnent comme un appel à transformer ce constat en action concrète.


Le prophète Mohammed (paix et salut sur lui) disait : « Aucun Arabe n’est supérieur à un non-Arabe, et aucun non-Arabe n’est supérieur à un Arabe, si ce n’est par la piété et la vertu. » Ces paroles, universelles par leur essence, nous rappellent que la valeur d’une vie humaine transcende les contingences de naissance, d’origine ou de croyance. La justice sociale, l’égalité des chances, et le respect de l’autre doivent être les piliers sur lesquels repose notre société. Existe-t-il chose plus vertueuse que d’œuvrer pour le bien de sa nation, le développement de son pays et la préparation d’une génération capable de guider son futur vers le meilleur…


À la Grande Mosquée de Paris, nous nous engageons à faire de l’éducation une priorité. Elle doit être, pour reprendre les mots justes de François Bayrou, cette « carte et cette boussole » qui permettent à chaque enfant d’orienter sa vie selon ses aspirations, sans distinction ni entrave. Nous sommes résolus à travailler aux côtés de tous les acteurs de la société pour que nul ne soit laissé au bord du chemin, et que chaque enfant, quel que soit son point de départ, puisse tracer sa route sous la lumière du savoir.


Notre rôle dépasse la simple dénonciation des injustices. Nous aspirons à être des artisans du dialogue, des bâtisseurs de ponts entre les identités multiples qui composent notre société. Une société où l’on ne craint pas les différences, mais où l’on en reconnaît la richesse. Une société qui s’appuie sur une laïcité inclusive, respectueuse des diversités, et fidèle à son idéal républicain de fraternité.


Le premier ministre a, dans sa prise de parole, allumé une flamme. Il appartient maintenant à chacun de nous de veiller à ce qu’elle ne vacille pas face aux vents contraires. L’avenir de la France repose sur notre capacité à conjuguer nos différences pour en faire une force commune. Cela nécessite un engagement sincère, une vigilance constante et une foi inébranlable dans les principes de Liberté, d’Égalité et de Fraternité.


En ce moment de transition, ne cédons ni à la résignation ni au désespoir. Indignons-nous face aux injustices, mais surtout, engageons-nous pour les surmonter.


Nous sommes à un tournant. Le choix est devant nous : continuer sur la voie de la défiance, des peurs attisées, des divisions fabriquées ; ou bien se tourner résolument vers ce qui fait notre force en tant que peuple. Regarder l’autre, non comme une menace, mais comme une richesse. Affirmer que l’égalité des chances, loin d’être une utopie, est un impératif moral et politique. Agir pour que chaque enfant, quelle que soit son origine ou sa foi, puisse grandir avec la même dignité et les mêmes opportunités.


Il ne suffit pas d’espérer un monde meilleur, il faut le bâtir. C’est ainsi que nous rendrons justice à ces mots gravés au fronton de nos institutions : Liberté, Égalité, Fraternité.


Alors, en ce moment de transition, faisons le serment de ne pas céder au découragement. Indignez-vous, mais surtout, engagez-vous. Car c’est dans l’action que l’espoir prend vie, et que l’humanité révèle toute sa lumière.



À Paris, le 17 décembre 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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