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Le billet du Recteur (n°49) - Entre tradition et modernité : une quête spirituelle au cœur de La Mecque



Sous les auspices d’une lueur fébrile, la nuit était tombée sur La Mecque, enveloppant la ville d’un halo mystique. Je venais de clore ma rencontre avec Cheikh Abdul Rahman Ibn Abdul Aziz Al-Sudais, une âme lumineuse dont les paroles évoquaient la paix comme une promesse universelle. Plus tard, au cœur du Musée de la Sîrah du Prophète, je m’étais perdu dans les échos d’une histoire magnétique, aux côtés du Dr Nasser bin Misfir Al-Zahrani. Pourtant, avant tout cela, avant que les mots ne prennent forme, il y avait eu l’Omra.


L’ Omra. Ce mot, comme une clé, ouvrait une porte vers un sanctuaire intime. J’avais déposé les lourdeurs du monde à l’entrée de cette quête spirituelle, pour me retrouver seul face à la Kaaba, dans une étendue d’ébène et d’or. Tout ce qui, ailleurs, s’imposait avec la brutalité d’une tempête — les guerres, les conflits, les crises économiques et écologiques, la montée des extrêmes — semblait s’éclipser. Ici, seul régnait un silence habillé d’éternité.


Je marchais, les pieds effleurant les pavés frais du Masjid al-Haram, un mouvement lent et répétitif, presque hypnotique. Le tawaaf, cette ronde autour de la Kaaba, me ramenait à une vérité oubliée : nous ne sommes qu’un souffle parmi d’autres, perdus dans l’infinitude du Divin. Chaque pas était une parole muette, une demande discrète à Celui qui voit tout. Combien de prières, combien de larmes avaient été versées ici, à travers les âges ? Je sentais leur énergie, une vibration douce et constante, une sorte de filin reliant les âmes au ciel.


Dans cette foule innombrable, je n’étais plus qu’un point insignifiant, mais paradoxalement, je me sentais entier. Un homme devant moi était ému aux larmes ; une femme levait les mains, ses doigts tremblants dans une supplique silencieuse. Tout autour, les visages se fondaient dans une mosaïque d’humanité. Africain, européen, asiatique, arabe, riche ou pauvre : ici, toutes les distinctions étaient abolies. Il n’y avait que des cœurs battants, alignés dans une même direction.


Les crises qui tenaillaient le monde — les climats en fureur, les idéologies divisantes, les économies vacillantes — restaient au-dehors, comme un grondement lointain. Dans cette enceinte sacrée, je me souvenais que le temps pouvait suspendre son vol. La Mecque devenait une métaphore du refuge, un lieu où se retirer pour réévaluer le poids des jours et leur contenu. Ce sanctuaire offrait une pause salutaire dans le tumulte incessant des inquiétudes planétaires. Les désastres climatiques qui bouleversent des vies entières, les tensions idéologiques qui fragmentent des sociétés, les incertitudes économiques qui plongent des familles dans l’angoisse quotidienne : tout cela semblait appartenir à une autre dimension, distante et irréelle. Ici, le regard se détournait de l’angoisse pour embrasser une réalité plus vaste, celle de l’éternité divine. La Kaaba, au centre de cette introspection universelle, incarnait un point fixe, un repère immuable dans un monde en perpétuelle agitation. Le rythme des prières, le chuchotement des âmes en quête de réconfort, tout invitait à se reconnecter à l’essentiel, à redéfinir les priorités avec une clarté nouvelle et apaisante.


Lors de ce séjour, j’ai eu l’occasion de partager des moments riches en échanges intellectuels et spirituels. Un dialogue avec des universitaires saoudiens m’a permis d’explorer les enjeux contemporains de la foi et de la connaissance. Au sein d’une institution religieuse, j’ai assisté à une présentation sur les progrès technologiques appliqués à l’organisation du Hajj, un effort impressionnant pour allier modernité et tradition. Enfin, dans un cadre plus administratif, j’ai rencontré des représentants d’organismes de coopération culturelle, avec lesquels nous avons discuté de projets destinés à promouvoir les valeurs universelles de l’Islam.


Ce fut également une source d’émerveillement de constater comment le cadre religieux en Arabie Saoudite s’adapte aux transformations culturelles, sociales et technologiques que connaît le pays depuis quelques années. Ces évolutions reflètent une dynamique fascinante où la tradition s’entrelace avec la modernité, permettant à l’Islam de démontrer sa capacité d’adaptation sans perdre son essence spirituelle. La construction de nouveaux espaces culturels et éducatifs, l’intégration des technologies numériques dans la gestion des pèlerinages ou encore les initiatives pour inclure davantage de femmes dans des rôles clés témoignent de cette évolution. Cela ouvre un champ de réflexion sur la manière dont l’Islam, en tant que foi universelle, peut répondre aux défis de chaque époque et s’incarner dans des contextes toujours changeants. Cette harmonie entre enracinement et progrès offre un modèle inspirant, suggérant que la spiritualité peut non seulement survivre aux mutations rapides du monde moderne, mais aussi y apporter des réponses éclairantes.


Alors que je quittais La Mecque, mon cœur restait empreint de ce silence à la fois lourd et apaisant.


Dans le tumulte du monde, il est des oasis où la présence divine nous rappelle que le chaos n’est jamais définitif. Il suffit parfois de marcher, un pas après l’autre, pour renouer avec l’éclat intact de l’espoir.


À Paris, le 21 janvier 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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