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Le billet du Recteur (n°6) - "La langue arabe : une richesse à enseigner"



Le Coran, édifice sacré de l'Islam, est considéré comme la parole transcendante de Dieu, acheminée à travers les éthers par l'ange Gabriel au noble Prophète Mohammed (Que le salut et la paix d’Allah soient sur lui). Cette révélation, inscrite en langue arabe, confère à cette dernière un statut d'exception parmi les croyants musulmans. Préservé scrupuleusement dans sa forme originelle depuis des temps immémoriaux, le Coran demeure le pivot spirituel et intellectuel pour des millions d'âmes, qui, à travers le monde, le récitent et le méditent dans la langue de ses premiers versets.


Cette union indéfectible entre l'arabe et le Coran a élevé cette langue au rang de sacralité, engendrant une ferveur sans égale pour son étude au sein des communautés musulmanes à travers l'ensemble de la planète. Considérée comme un vecteur inestimable pour appréhender et interpréter les enseignements du Coran, la langue arabe s'érige ainsi en un pont vers la compréhension profonde des vérités spirituelles.


L'arabe, langage vivant porté par des centaines de millions d'individus, transcende les frontières géographiques, s'imposant comme la langue maternelle de nombreuses nations. Enrichie d'une histoire millénaire et d'une littérature florissante, en plus des préceptes coraniques, cette langue sémitique a orné les cieux de la poésie, de la philosophie, de la science et de divers autres domaines intellectuels et culturels bien avant l'aube de l'Islam. De la brillante érudition d'Averroès à la critique incisive d'Edward Said, d’Al-Jahiz, le « Molière arabe » à Taha Hussein, honoré du Prix Nobel de Littérature en 1947, de l'ardent Imrou'l Qays à la poignante Nazik al-Mala’ika, l'apport des penseurs arabes résonne à travers les siècles.


Aujourd'hui, l'arabe s'affirme comme la langue officielle dans maints pays et s'étend dans des sphères aussi variées que la politique, l'éducation, les médias, la littérature et le commerce international. En parallèle à l'arabe littéraire, une myriade de dialectes enflamme les conversations à travers le monde arabe, chacun portant en lui les nuances et les couleurs d'une riche diversité culturelle.


Mais quelle est la place de cette langue vénérée au sein de l'hexagone ? Son enseignement, bien que présent, reste regrettablement marginalisé. Si l'année 1905 a vu naître l'agrégation d'arabe, le démantèlement en 2010 du Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Second degré (CAPES) constitue un recul préoccupant. Malgré son importance socioculturelle, l'arabe demeure sous-représenté dans les établissements scolaires français.


La suppression du CAPES conjuguée à la fermeture progressive de classes d'arabe et à la diminution draconienne du nombre d'enseignants dédiés à cette langue, contraint aujourd'hui les jeunes à une difficulté croissante pour s'inscrire à des cours d'arabe, alors que d'autres langues comme le chinois ou le coréen semblent plus accessibles.


Si le ministère de l'Éducation nationale semble avoir réduit son engagement envers l'apprentissage de l'arabe, de nombreuses associations s'efforcent de combler cette lacune, soulevant ainsi un débat crucial.


Heureusement, des voix éclairées se font entendre pour dénoncer ce manque inquiétant. Jack Lang, éminent Président de l’Institut du Monde Arabe (IMA), dans son ouvrage intitulé La Langue arabe, trésor de France, exhorte à libérer cette langue des contraintes religieuses et du fléau du communautarisme. De même, en septembre 2018, à la suite de la publication d'un rapport de l'Institut Montaigne, l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, soulignait l'urgence de développer l'enseignement de l'arabe et de lui redonner son lustre, loin des dérives communautaristes observées dans certains milieux d'apprentissage. Le Président Emmanuel Macron, lors de son discours sur le séparatisme aux Mureaux, plaidait également pour une plus grande présence de la langue arabe dans les programmes scolaires, reconnaissant ainsi la richesse culturelle qu'elle porte. En décembre dernier, à l'occasion de la journée mondiale de célébration de la langue arabe, l'UNESCO mettait en lumière son essence sous l'angle de « L’arabe, la langue de la poésie et des arts », soulignant ainsi sa place capitale dans le paysage culturel international. Des personnalités et des organisations s’engagent ainsi pour rétablir pleinement cette langue dans l'enseignement public, afin de préserver son héritage précieux et d'enrichir l'éducation de nos jeunes générations.


Il est primordial de réattribuer à cette langue la place qu'elle mérite au sein de l'enseignement public. Avec plus de 400 millions de locuteurs à travers le monde, la langue arabe, loin d'être une simple discipline académique, offre un accès privilégié à la compréhension des cultures, de l'histoire et des valeurs des pays arabophones. Elle est, pour l’apprenant, un enrichissement de son bagage intellectuel et son ouverture d'esprit. Son acquisition ouvre également les portes vers des opportunités professionnelles diversifiées, dans des domaines tels que l'économie, le commerce international, la diplomatie, le tourisme et l'éducation.


Par-delà son utilité pragmatique, l'apprentissage de l'arabe élargit les horizons mentaux en introduisant de nouvelles perspectives et en favorisant le dialogue interculturel. Il favorise ainsi la cohésion sociale en France, notamment en facilitant la compréhension entre les différentes communautés religieuses.


Faut-il rappeler que François Ier s’est distingué comme l'un des premiers défenseurs de la langue arabe, établissant le Collège Royal, prédécesseur du prestigieux Collège de France, afin de promouvoir notamment l'enseignement de l'arabe et de l'hébreu. Des figures emblématiques telles que Rabelais, qui louait l'importance de son enseignement, ou encore Louis Massignon, fervent défenseur du dialogue interreligieux et grand arabisant du XXe siècle, ont contribué à magnifier la grandeur de cette langue. De même, Jacques Berque, éminent orientaliste, a consacré sa vie à explorer les subtilités de la langue arabe, mettant en lumière sa profondeur et sa poésie. Ces personnalités, par leur dévotion à la langue arabe, ont érigé un monument à sa gloire, témoignant de sa valeur inestimable dans le patrimoine culturel et intellectuel de l'humanité.


En conclusion, la beauté de la langue arabe réside dans son alphabet esthétique, sa musicalité enchanteresse, sa richesse lexicale et son expressivité poétique. Elle fut une source inépuisable d'inspiration pour d'innombrables poètes, écrivains, artistes et scientifiques à travers les âges, et mérite ainsi une place de choix dans l'enseignement public français, pour le bienfait de la jeunesse et la prospérité de la société tout entière.


À Paris, le 12 février 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 

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