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Le billet du Recteur (n°62) - Voyage à Tunis : au cœur de l’héritage et de l’avenir



Il est des voyages qui, bien plus que des déplacements diplomatiques ou institutionnels, sont des immersions dans une mémoire vivante, une tradition féconde, un souffle spirituel. Mon séjour en Tunisie, à la tête d’une délégation de la Grande Mosquée de Paris, fut de ceux-là. Un pèlerinage intellectuel et fraternel, placé sous le signe de l’ouverture, de l’authenticité et de la modernité.

 

Ez-Zitouna, phare de l’islam du savoir


Nous avons débuté notre visite par la mosquée Zitouna, en plein cœur de la médina de Tunis. Cet édifice millénaire, haut lieu du savoir islamique, est plus qu’une mosquée : c’est un symbole, un socle. Elle a donné naissance à l’une des plus anciennes universités du monde musulman, formant depuis des siècles des générations d’oulémas, de penseurs, de juristes. Face à ses colonnes ancestrales et à ses dalles usées par le temps, j’ai ressenti l’humilité de celui qui s’inscrit dans une lignée, et le devoir de transmettre un islam fidèle à son essence : celui de la science, de la sagesse, de la miséricorde, de la solidarité et de la fraternité.


C’est avec gratitude et respect que nous avons été reçus par le président de l’université Ez-Zitouna, le Professeur Abdelatif Bouazizi. Ensemble, nous avons posé les bases d’un partenariat pour la formation des imams, conscients que nos institutions doivent aujourd’hui se tendre la main pour faire face aux défis contemporains, dans le respect de nos racines communes et de notre souveraineté respective. L’université Ez-Zitouna soutient depuis le début notre démarche de refondation du discours religieux musulman en Occident, dans le cadre de la future « Charte de Paris ». Ce soutien nous honore.

 

Kairouan, la permanence du sacré


Notre périple nous mena ensuite à Kairouan, cette ville-mère, berceau de l’islam en Afrique du Nord. Fondée au VIIe siècle, sa grande mosquée se dresse comme un appel à la transcendance. Chaque pierre y murmure l’histoire, chaque silence y est prière. Elle incarne la permanence de la spiritualité, de l’érudition et de la beauté architecturale islamique.


C’était pour moi un moment de profonde émotion. Marcher sur les traces des premiers bâtisseurs de la civilisation musulmane maghrébine, c’est se reconnecter à l’élan premier, à l’intention pure. C’est aussi mesurer à quel point la modernisation de la pensée islamique ne peut se concevoir sans mémoire ni racines. Elle doit puiser dans ces sources claires, sans nostalgie mais avec fidélité.


Tunis, laïque et croyante


Ce voyage m’a rappelé avec force combien la Tunisie est un pays singulier dans le monde musulman : profondément attachée à la laïcité dans son modèle politique, elle n’a pourtant jamais renié sa foi, ni ses références religieuses. J’ai dédicacé quelques-uns de mon dernier livre sur les héroïnes de l’islam à des amies tunisiennes en me disant que le droit des femmes en Tunisie devait être l’exemple. Loin  de toute contradiction, elle incarne une forme de sagesse et d’équilibre : un État séculier, mais un peuple ancré, héritier d’une culture islamique raffinée, généreuse et tolérante.


C’est cet esprit d’hospitalité et de respect de l’altérité que j’ai voulu saluer en visitant la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul à Tunis. Ce geste symbolique illustre la diversité de la vie religieuse au Maghreb et notre conviction profonde que l’islam que nous portons est celui du dialogue, non du repli. La synagogue située loin de là n’était pas ouverte, mais j’ai eu une pensée aux juifs qui venaient se recueillir à Djerba.


Un message pour la France et ses musulmans


Ce voyage n’est pas sans résonance pour notre mission en France. Il conforte notre vision d’un islam enraciné et éclairé, capable de s’adapter sans se diluer, de dialoguer sans se renier. À la Grande Mosquée de Paris, nous croyons à un islam de paix, de transmission, de fraternité, ancré dans la République.


La formation des imams, des aumôniers, des cadres religieux doit être une priorité absolue. C’est un enjeu civilisationnel. C’est pourquoi nous avons modifié nos cursus, élargi les enseignements, ouvert des annexes en région et lancé une véritable réflexion sur l’adaptation du discours musulman à la société française. Mais nous ne pouvons avancer seuls. C’est avec des partenaires historiques comme l’université Ez-Zitouna que nous devons construire ces ponts du savoir et de la foi.


Ce voyage en Tunisie fut un voyage de cœur et de conscience. Un retour aux sources, mais aussi un regard vers l’horizon. L’avenir de l’islam en France se bâtira avec discernement, enracinement et ouverture — dans la fidélité à l’esprit de nos maîtres, et à la lumière de notre temps.



À Paris, le 22 avril 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris







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