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Le billet du Recteur (n°72) - De Kuala Lumpur à Paris : le minaret et la République


Sous le dôme vert jade qui surplombe la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, chaque pierre murmure l’histoire d’un islam venu enrichir l’esprit républicain. Lorsque le Premier ministre de Malaisie, Dato’ Seri Anwar Ibrahim, s’y avancera pour la prière de jumuaa ce vendredi 4 juillet 2025, il ne franchira pas seulement un seuil cultuel ; il traversera un seuil politique où se nouent trois fidélités : à Dieu, à la Cité et à ce vieux rêve d’un pont entre Occident et Orient.


La Grande Mosquée de Paris, édifiée en gratitude envers les soldats musulmans morts pour la France, est plus qu’un monument : c’est un rappel permanent que la citoyenneté se conjugue au pluriel. Quiconque s’y recueille confirme, sans bannière ni slogan, que la République française trouve en sa diversité la preuve la plus éclatante de son universalisme. Accueillir aujourd’hui un chef de gouvernement étranger, et qui plus est asiatique, revient à redire que Paris n’est capitale d’aucune étroitesse ; elle demeure un carrefour où dialoguent les cœurs et les idées.


Cette prosternation partagée aura donc la force tranquille d’un acte diplomatique. Dans la nef andalouse, M. Anwar Ibrahim rappellera, à genoux, que le pouvoir ne vaut que par l’humilité qui le fonde ; la France, quant à elle, rappellera que la laïcité, loin d’exiler la foi hors du périmètre public, garantit l’espace où chaque religion peut s’exprimer sans craindre l’autre. Le geste est discret, la charge symbolique immense : un hémicycle de tapis où se votent, en silence, des motions de fraternité.


La Malaisie : boussole du Sud-Est, étoile nouvelle du multilatéralisme


En 2025, Kuala Lumpur tient simultanément la présidence tournante de l’ASEAN et le statut de Partner Country au sein des BRICS. Forte de cette double tribune, la Malaisie parle pour 650 millions d’Asiatiques lorsque s’ouvrent les dossiers brûlants, climat, gouvernance de l’intelligence artificielle, santé globale. Le gouvernement « Malaysia Madani », fidèle à sa promesse de civilité, affiche une croissance de 5 % et mobilise 421 milliards de ringgits afin de faire de la justice sociale le jumeau siamois de la transition verte.


Or la Madaniyya n’est pas qu’une courbe de PIB : c’est une éthique publique où la foi irrigue l’action sans se raidir en bannière identitaire. Dans les rues de Penang comme dans les tours de Cyberjaya, le Coran dialogue avec la robotique, l’imam côtoie l’ingénieur, et l’archipel malaisien montre qu’orthodoxie et ouverture peuvent marcher d’un même pas. Ce modèle, les musulmans de France l’observent avec l’attention d’un jardinier cherchant la graine la plus apte à refleurir sur une terre laïque.

 

De Paris à Putrajaya : écrire l’avenir en calligraphie partagée


Qu’un Premier ministre étranger s’agenouille à la Mosquée de Paris revient, pour nous autres Parisiens, à joindre nos minarets intérieurs à la délicatesse des mosquées de bois de Terengganu. Deux histoires se font alors face.


L’une, française, née du sang des spahis et des tirailleurs de la Grande Guerre, et mûrie à l’ombre des débats sur la laïcité.


L’autre, malaisienne, qui conjugue piété et high-tech, câbles sous-marins et chants qasidah.


Entre ces deux rives, la prière devient passeport. Elle rappelle, à l’heure où l’Europe s’interroge sur son pluralisme, qu’il est possible de conjuguer rigueur morale et innovation, fidélité aux sources et mains tendues vers l’avant-garde.


Puisse ce vendredi inspirer nos jeunes : que la foi, loin d’être l’ombre portée du repli, se fasse lumière qui éclaire la mosaïque française. Qu’il encourage aussi nos décideurs à multiplier laboratoires communs, chaires universitaires, résidences d’artistes et co-entreprises vertes : bref, à traduire la fraternité en actes, non en formules.


Au nom de la Grande Mosquée de Paris, j’exprime ma gratitude au Premier ministre Anwar Ibrahim et à sa délégation. Que cette rencontre imprime dans les annales, à l’encre vive, la certitude qu’un islam de paix, de savoir et de bienfait peut servir de boussole à un monde qui vacille.



À Paris, le 1er juillet 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris






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