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Le billet du Recteur (n°83) - Le souffle de New York : le phénomène Zohran Mamdani et le miroir français

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Hier, New York s’est offert un nouveau visage. Non pas seulement celui d’un homme élu, mais celui d’une idée : celle que la foi, la justice et la raison sociale peuvent encore s’unir pour reconstruire un destin commun. Zohran Mamdani, 34 ans, fils de l’Ouganda et de l’Inde, musulman par la foi, américain par la citoyenneté, new-yorkais par la conviction, est devenu le maire de la plus grande ville des États-Unis. L’histoire retiendra moins le résultat que le symbole : l’ascension d’un homme dont le nom, l’origine, la croyance et le verbe auraient suffi, ailleurs, à le marginaliser.

 

Une victoire qui dépasse les urnes

 

Ce que New York a célébré, ce n’est pas seulement une alternance politique.

 

C’est une mutation culturelle, un déplacement du centre de gravité moral du pays.

 

Car Mamdani, en refusant les langages de la peur et du calcul, a imposé le vocabulaire de la dignité : logement pour tous, école publique émancipatrice, désobéissance au cynisme, foi sans ostentation.

 

Ce jeune homme, qui rappait jadis dans le métro sous le nom de Mr. Cardamom, a transformé la culture de la marge en pédagogie du pouvoir.

 

Il n’a pas trahi ses origines ; il les a transfigurées.

 

Il n’a pas caché sa foi ; il l’a élevée au rang de conscience éthique.

 

Il n’a pas rejeté la République américaine ; il l’a convoquée dans sa vérité fondatrice : E pluribus unum, de la pluralité naît l’unité.

 

Cette élection ne s’est pas jouée sur le terrain des slogans, mais sur celui, plus subtil, de la réconciliation entre deux modernités : celle des droits et celle des mémoires.

 

En cela, Mamdani a fait ce que peu de leaders osent : politiser la décence.

 

Le visage d’un Islam civil

 

Il est tentant, dans le tumulte des réseaux et des éditoriaux pressés, de réduire Mamdani à son islam. Mais ce serait commettre la même faute que celle dont une part de la France s’est rendue complice à l’égard de ses propres enfants. Car l’islam de Mamdani n’est pas celui des barricades ou des anathèmes : c’est un islam de service, de parole donnée, de justice vécue.

 

Il n’a pas cherché à imposer la loi du Coran dans la cité, mais à rappeler que la cité sans morale devient un désert.


Cette distinction, la France peine encore à la faire. Chez nous, le mot musulman réveille trop vite les réflexes d’exclusion. L’espace public s’est figé dans une laïcité défensive, où le croyant est suspect et le silence religieux une condition de respectabilité.

 

Or, en élisant Mamdani, l’Amérique montre qu’une société peut accepter que la foi serve d’horizon sans devenir bannière, qu’elle inspire sans dominer. Cette maturité, la France ne l’a pas encore atteinte. Elle continue d’interroger le croyant sur sa loyauté au lieu d’écouter ce qu’il propose au monde.

 

De la marge à la matrice

 

L’histoire de Mamdani est celle de ces enfants de la diaspora qui, n’ayant reçu aucun héritage politique, inventent leur propre légitimité. Il n’est pas le produit d’un appareil ni d’un clan ; il est le fils d’un exil.

 

Et cet exil, au lieu de l’éloigner du pouvoir, lui a appris le pouvoir de l’éloignement : savoir se tenir à distance des dominations pour mieux les comprendre. C’est cela qui fascine chez lui : cette manière d’articuler la mémoire de la décolonisation à la modernité urbaine, le combat pour la justice raciale au combat pour la justice sociale.

 

New York, hier, a élu un maire ; mais le monde, sans le savoir, a élu une métaphore.

 

Mamdani est le prototype d’une génération cosmopolite qui ne veut plus choisir entre le Sud et l’Occident, entre la foi et la raison, entre l’enracinement et l’ouverture.

 

Il incarne cette humanité en traduction, faite de langues croisées et d’héritages mêlés, qui redonne au politique son sens premier : la gestion du commun.

 

Un miroir tendu à la France

 

Que verrions-nous, nous, Français, si nous acceptions de regarder dans ce miroir new-yorkais ? Nous verrions que notre République a peur de ses enfants.

 

Qu’elle célèbre la diversité quand elle est décorative, mais qu’elle la redoute quand elle devient décisionnelle. Que nos plateaux de télévision font profession d’hystérie chaque fois qu’un prénom arabe franchit une investiture. Que la religion, loin d’être une ressource éthique, demeure un soupçon permanent.

 

La victoire de Mamdani révèle par contraste l’appauvrissement de notre imagination démocratique. Nous avons fait de la laïcité non pas une liberté, mais une clôture. Nous avons confondu neutralité et négation. Et nous persistons à traiter la foi comme un vice caché au lieu d’en reconnaître la valeur politique : celle d’une discipline intérieure tournée vers la justice.

 

Mamdani ne menace pas la République américaine, il l’élargit. En France, un tel homme serait accusé d’« islamo-wokisme ». Là-bas, il devient maire. La différence n’est pas de culture, mais de courage.

 

L’avenir : une politique du sens


Il y a, dans l’élection de Zohran Mamdani, quelque chose d’inattendu : la réhabilitation du sens dans la politique.

 

Dans une époque saturée de cynisme et de communication, il a réintroduit le souffle de la conviction.

 

Son islam n’est pas un étendard, mais une éthique du service.

 

Son socialisme n’est pas une revanche, mais une promesse de lien.

 

Il rend à la politique ce que la technique lui a volé : la ferveur.

 

Le grand islamologue Mohammed Arkoun aurait dit de lui qu’il réveille la dimension « pensante » de la foi : celle qui interroge sans cesse les frontières du possible, qui refuse les certitudes et cherche la cohérence entre la transcendance et l’action.

 

C’est en cela qu’il est plus qu’un maire : il est un signe. Un signe que la politique peut redevenir un humanisme.

 

Le temps des passerelles

 

Au fond, Mamdani n’a pas conquis New York ; il a convaincu les consciences que le XXIᵉ siècle n’appartiendra ni aux nationalismes ni aux technocrates, mais aux passeurs.

 

Et son visage, ce matin, nous invite à méditer : combien d’âmes semblables, en France, se taisent par crainte d’être mal nommées ? Combien d’intelligences religieuses ou métissées sont tenues hors du débat public ?

 

L’élection de Zohran Mamdani n’est pas une anecdote américaine ; elle est une épreuve française. Car elle nous pose cette question simple et brûlante : quand cesserons-nous de demander aux croyants d’être invisibles pour être crédibles ?

 

« La modernité, disait Mohamed Arkoun, n’est pas de rejeter la foi, mais d’oser la repenser ». Zohran Mamdani, sans le dire, vient de la réincarner.



À Paris, le 5 novembre 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris

 

NOTA BENE

Je vous le dis, à ceux qui voudraient tordre ces lignes à la mesure de leurs peurs : non, je ne prêche aucun entrisme ; oui, j’appartiens sans réserve à la République ; non, je ne pactise pas avec l’islamisme ; oui, je plaide pour une citoyenneté pleine et entière, lucide, spirituelle, fraternelle. Que l’on comprenne enfin : l’enjeu n’est pas d’introduire la foi dans la cité, mais d’y rappeler la lumière de la conscience. C’est cette flamme que Zohran Mamdani, à sa manière, a rallumée et que la France, peut-être, redoute encore de regarder droit dans les yeux.




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