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Hommage spirituel au pape François, par le recteur Chems-eddine Hafiz

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.

Paix sur les hommes de bonne volonté.


Ce 21 avril 2025, l’humanité entière perd un pontife, mais les musulmans, eux, perdent un frère. Le pape François s’est éteint dans la lumière pâle du matin romain, et c’est une aube endeuillée qui se lève sur l’Orient comme sur l’Occident. Son départ n’est pas celui d’un chef d’Église seulement ; il est celui d’un homme de Dieu, d’un artisan de paix, d’un cœur immense ayant battu au rythme des douleurs du monde.


Un souffle fraternel pour notre siècle


Le pape François n’aura cessé, tout au long de son pontificat, de tendre la main aux croyants de l’islam, comme on tend la main à son frère, non par calcul mais par amour. Dans ses voyages les plus symboliques – d’Abou Dabi à Bagdad, de Bahreïn à Djakarta – il a semé inlassablement les graines d’un dialogue sincère, enraciné dans la foi, irrigué par la prière, nourri par le respect. Là où beaucoup dressaient des murs, lui construisait des ponts.


À Ur des Chaldéens, ville de notre père Abraham – Ibrahim al-Khalil, que la paix soit sur lui – il rappela que la véritable religiosité est celle qui pousse à aimer, non à condamner ; à écouter, non à exclure. Le dialogue interreligieux, disait-il, n’est pas une option mais un devoir sacré pour ceux qui veulent « obéir à la volonté de Dieu ». Ces mots résonnent aujourd’hui avec l’intensité d’un testament spirituel.


D’Abou Dabi à Djakarta, un chemin de lumière


En février 2019, la Déclaration d’Abou Dabi sur la Fraternité humaine signée avec le grand imam d’al-Azhar, cheikh Ahmed al-Tayeb, a marqué une étape historique. Plus qu’un geste symbolique, ce fut une inspiration pour des millions de croyants, appelés à reconnaître l’autre comme un reflet de soi. 


Puis, en septembre 2024, en Indonésie, terre de l’islam tolérant et pays musulman le plus peuplé du monde, le Saint-Père inaugura aux côtés de l’imam Nasaruddin Umar le « tunnel de la fraternité » reliant la cathédrale Sainte-Marie et la grande mosquée Istiqlal. Ce geste, puissant dans sa simplicité, disait mieux que tout traité : nos lieux de prière peuvent se répondre sans jamais s’annuler.


Dans le document signé ce jour-là, il dénonçait fermement « l’instrumentalisation religieuse des conflits », affirmant avec force que toute foi authentique est ennemie de la haine. En cela, il était notre allié, notre frère dans le combat contre la barbarie, notre compagnon de route dans la quête de la paix.


Un homme du Sud, au cœur tourné vers l’Orient


À Marseille, au Bahreïn, à Jérusalem, le pape François parlait en pèlerin. Il disait : « Je viens comme un frère et un croyant ». Et c’est ainsi que nous l’avons perçu. Sa parole touchait les cœurs parce qu’elle ne se contentait pas de prêcher : elle pleurait avec ceux qui souffrent, elle embrassait ceux que l’on rejette, elle élevait l’espérance à la hauteur de l’épreuve.


Lorsque je l’ai rencontré au Vatican en février 2025, avec les membres du Conseil européen AMMALE, il nous a accueillis avec cette douceur ferme qui appartient aux justes. Il ne voulait pas seulement écouter nos doléances, il souhaitait bâtir. Il nous a encouragés à proposer une rencontre interreligieuse d’envergure à Paris, à l’image des rassemblements d’Assise. Et il chargea le Dicastère pour le dialogue interreligieux de rendre cela possible.


Ce jour-là, j’ai vu en lui l’écho du saint François d’Assise rencontrant le sultan Malik al-Kamil, mais aussi l’âme méditerranéenne d’un fils d’Argentine qui parlait au monde avec la langue du cœur.


La fraternité : son dernier sermon au monde


Son encyclique Fratelli Tutti fut l’un de ses plus grands legs. On y lit une vérité essentielle, partagée par le Coran et les Évangiles : « Nous sommes tous frères. » Une fraternité qui ne se dit pas seulement avec les mots, mais qui se construit avec courage, humilité, dialogue, refus du fanatisme. Cette fraternité-là est aujourd’hui orpheline, mais elle reste vivante dans les œuvres et les âmes de ceux qu’il a éveillés.


C’est pourquoi je dis, au nom des imams de la Grande Mosquée de Paris, du Conseil européen AMMALE, et de tant de fidèles musulmans : l’islam pleure un frère. Un frère qui n’a pas cherché à convertir, mais à comprendre. Un frère qui n’a jamais confondu conviction et domination. Un frère qui voyait dans chaque croyant un partenaire de la paix, non un adversaire à combattre.


Un testament d’action pour l’Europe et le monde


À l’heure où l’Europe s’interroge sur son identité, où le monde tangue sous les vents contraires du repli, du fanatisme et de l’indifférence, l’exemple du pape François reste une boussole. Il nous a appris que le dialogue n’est pas une faiblesse. Il nous a montré que l’on peut rester fidèle à sa foi tout en s’ouvrant à l’autre.


Quiconque prie sincèrement doit aujourd’hui faire silence et méditer sur cette phrase qu’il répétait avec insistance : « Personne ne se sauve tout seul. »


Nous ne devons pas trahir cette vérité


C’est pourquoi nous poursuivrons, à Paris et ailleurs, l’œuvre qu’il a commencée. Nous ferons en sorte que la rencontre annoncée de 2025 soit non un hommage mortuaire, mais une naissance. Un acte de foi dans la fraternité, la seule capable de panser les blessures de notre humanité.


Ô Seigneur des mondes, accueille ton serviteur François dans Ta lumière.

Donne-lui le repos, comme il a donné au monde un espoir.

Fais de son œuvre un arbre dont les fruits nourriront les générations à venir.

Et fais de nous, croyants en Toi, des porteurs de paix, des bâtisseurs d’espérance, des frères en vérité.



À Paris, le 21 avril 2025


 Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



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