La loi Debré, un trait d'union entre la liberté d'enseignement et les impératifs de l'État, a inauguré en 1959 une ère où les écoles confessionnelles ont éclos, sous l'égide d'une tutelle publique conditionnelle. À travers cette législation, la France a ouvert les portes de l'éducation privée aux différentes confessions, garantissant un financement sous réserve de la conformité aux normes éducatives nationales. Les écoles, soucieuses de cette reconnaissance, ont noué des contrats d'association avec l'État, s'engageant ainsi à respecter le principe de la laïcité et à s'ouvrir à une inspection régulière.
Au cœur de ce dialogue entre l'État et les confessions religieuses réside la nécessité d'une neutralité religieuse, où la transmission du savoir ne se confond pas avec la propagation d'une foi spécifique. Cette exigence vise à préserver l'intégrité intellectuelle de l'enseignement, protégeant les élèves de toute pression confessionnelle, et ce, malgré le cadre religieux au sein duquel ils évoluent. Cette dualité, entre enseignement confessionnel et impératifs laïques, soulève une réflexion profonde sur la nature même de l'éducation et son rôle dans la construction de l'identité individuelle et collective.
En France, le paysage éducatif comporte un éventail d'écoles privées, parmi lesquelles figurent celles de confession catholique, juive et protestante. Cependant, l'évolution démographique de la population française, marquée par une croissance significative de la communauté musulmane, a naturellement engendré une demande croissante en établissements scolaires musulmans.
Conformément au principe fondateur d'égalité de traitement, inhérent à la démocratie française, il est incontestable que les musulmans ont le droit absolu d'établir des institutions éducatives fondées sur leur foi. Ces écoles musulmanes, émergeant de cette dynamique sociale, aspirent à offrir un environnement pédagogique singulièrement adapté aux besoins spécifiques des élèves de confession musulmane. Elles ambitionnent ainsi de répondre à des exigences particulières telles que l'apprentissage de la langue arabe ou encore l'approfondissement des études islamiques, inscrivant ainsi leur action dans une perspective à la fois identitaire et académique.
Il convient d'affirmer sans ambages que je ne souscris pas, à titre personnel, à l'édification de telles institutions éducatives. Mes réserves émanent de la profonde crainte que ces écoles ne contribuent à instaurer une ségrégation et un isolement préjudiciables aux élèves musulmans, les reléguant ainsi à l'écart du tissu social français. Il est impératif d'expliciter que la problématique en question ne réside nullement dans l'essence même de l'enseignement musulman. Je soutiens fermement, avec une conviction étayée par des preuves irréfutables, que l'islam constitue intrinsèquement la quintessence du vivre-ensemble, ses valeurs d'ouverture et de fraternité étant indéniables. Cependant, tel que toute religion, l'islam recèle en son sein des tendances extrémistes. Dans le contexte français, dépourvu d'un organe central de référence de l'islam, à l'instar des pays musulmans où le ministère du culte édicte les normes, cette lacune peut agir comme un catalyseur pour l'essor de la radicalisation.
Dans cette circonstance particulière, à mon sens, l'école républicaine, celle qui symbolise de façon tangible les principes fondamentaux de la laïcité, demeure le moyen le plus pertinent pour contrer efficacement la radicalisation. En effet, c'est au sein de cet environnement où chaque élève côtoie ses pairs issus de divers horizons, aux traditions culturelles et religieuses hétérogènes, que se matérialise véritablement la laïcité. Ce brassage, cette communion d'expériences, constituent un rempart contre les idéologies extrémistes, forgeant ainsi l'identité du citoyen de demain au sein d'une société plurielle et inclusive.
Effectivement, au sein de l'école républicaine, les élèves sont confrontés quotidiennement à une multitude de croyances et de cultures, ce qui favorise l'épanouissement d'une tolérance et d'un respect mutuel, propices à un enrichissement par l'échange interculturel. Cette expérience permet aux élèves de développer une profonde compréhension et une réelle appréciation de la diversité qui caractérise notre société.
Je suis fermement convaincu que l'école publique représente un bastion essentiel de notre société, offrant une éducation à la fois laïque et pluraliste. En son sein, des élèves issus de différentes confessions et de diverses origines peuvent cohabiter harmonieusement, favorisant ainsi l'unité et la cohésion sociales. En revanche, les écoles confessionnelles tendent à entretenir des divisions religieuses et ethniques au sein de la société, plutôt que de promouvoir une réelle unité et solidarité entre les individus.
En ma qualité de Recteur de la Grande Mosquée de Paris, ma mission primordiale réside dans la promotion de la paix, de la compréhension mutuelle et du respect entre les diverses communautés. Je m'attache ardemment à ce que les élèves de confession musulmane bénéficient d'une éducation inclusive, où l'apprentissage collectif et le développement de la pensée critique sont encouragés de manière intransigeante. Cette approche, propice à la diversité des idées et à l'épanouissement de l'apprentissage interreligieux, offre à chacun la possibilité d'enrichir sa compréhension des croyances et des traditions de l'autre.
Je réaffirme avec conviction que c'est exclusivement à travers l'école publique que s'incarne de manière suprême la promotion de la citoyenneté et des valeurs républicaines fondamentales, telles que la liberté, l'égalité et la fraternité. En effet, elle façonne les élèves en des citoyens responsables, imprégnés du devoir de contribuer activement au bien-être de la société dans son ensemble.
Cependant, en ma qualité de démocrate, je suis profondément imprégné des valeurs de liberté individuelle, les considérant comme les piliers fondateurs de toute société juste et éclairée. Chaque individu, dans sa quête de réalisation personnelle et de transmission des valeurs qui lui sont chères, devrait jouir du droit inaliénable de choisir le modèle éducatif le plus conforme à ses convictions, dans le respect rigoureux des lois et réglementations qui régissent notre communauté nationale.
Cette liberté éducative, bien plus qu'une simple prérogative légale, revêt une dimension ontologique, une manifestation concrète de notre essence humaine. Elle incarne la capacité inhérente de l'individu à modeler son propre destin, à insuffler à sa progéniture les valeurs et les connaissances qui forgeront leur avenir.
Le moment est donc venu d’imaginer de nouveaux moyens pour enseigner la religion musulmane à nos enfants, car le déficit est grand et les risques causés par ce déficit sont plus élevés encore. Il en va de même pour l’apprentissage académique de la langue arabe, pour lequel l’État est devenu défaillant, tant cette langue merveilleuse offre un enrichissement intellectuel et une ouverture d’esprit à celui qui s’y aventure.
En scrutant avec une acuité rigoureuse la controverse suscitée par le retrait de la subvention étatique au lycée Averroès, un constat s'impose à ma conscience exigeante. Abstenons-nous de plonger dans les abysses du débat, préférons plutôt observer avec discernement les faits qui se sont déroulés. À la suite d'un rapport établi par une commission consultative académique, révélant plusieurs manquements, le préfet du Nord a, en décembre dernier, pris la décision de mettre un terme au contrat qui liait le lycée à l'État, mettant ainsi fin à sa subvention à partir de la rentrée 2024.
Certaines divergences d’opinion existent entre la Grande Mosquée de Paris et l’association Musulmans de France quant au modèle éducatif adopté par l’établissement privé en question, cependant je demeure inébranlablement attaché à la sacro-sainte vertu de justice impartiale. Il m'apparaît comme un devoir sacré de veiller à la préservation de l'intégrité du droit, même lorsqu'il s'agit d'aborder des sujets d'une sensibilité extrême.
Toutefois, je ne puis ignorer les discours récemment prononcés, qui tendent à essentialiser la communauté musulmane, semant le germe de la suspicion et de la méfiance dans notre société. Ces discours, propagés tant par certaines figures politiques que par les médias, constituent une atteinte insidieuse à la cohésion sociale et à la paix civile. En cette époque troublée, il devient impérieux de faire preuve de tempérance et de discernement, refusant catégoriquement les amalgames et les stigmatisations injustifiées.
Lorsque l'État se laisse entraîner dans le jeu de l'inégalité en traitant différemment les écoles confessionnelles, il se retrouve confronté à une contradiction fondamentale, une faille béante dans l'édifice même de la justice et de l'équité. En effet, l'idéal démocratique exige que chaque individu, chaque institution, soit soumis aux mêmes règles et bénéficie des mêmes droits, indépendamment de ses croyances religieuses ou de son appartenance communautaire.
Lorsque l'État se détourne de ce principe fondamental, il trahit les valeurs qui sont censées le guider, compromettant ainsi la confiance de ses citoyens dans l'équité de son administration. Il se trouve alors dans une position inacceptable, où l'injustice est tolérée, voire légitimée, au nom de considérations politiques ou idéologiques.
Il est donc impératif que l'État renoue avec les principes fondateurs de la démocratie, réaffirmant son engagement envers l'égalité devant la loi et la non-discrimination. Ce n'est qu'en respectant ces valeurs essentielles qu'il pourra espérer restaurer sa légitimité et sa crédibilité aux yeux de ses citoyens, et ainsi préserver l'intégrité de son autorité.
À Paris, le 8 avril 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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