Parmi les choses entendues cette semaine qui m'ont écorché les oreilles – un supplice qui s'accentue de jour en jour ces derniers mois – deux déclarations se distinguent particulièrement. Il me semble, en vérité, que le mal s'étend, que les voix se font plus viles, et que le poison des mots imprègne chaque recoin de notre société, la corrompant dans sa chair vive.
Premièrement, il y a la proclamation alarmiste du Premier Ministre israélien concernant le danger que représenteraient les musulmans pour la « civilisation judéo-chrétienne ». Une idée fallacieuse, largement promue par son conseiller et néanmoins député de notre nation, Meyer Habib. Dans cette déclaration, Benyamin Netanyahou se drape dans un manteau de défenseur de cette civilisation menacée, un rôle qu'il s'attribue avec une assurance déconcertante. Mais ce qui choque plus encore que l’assertion elle-même, c’est le silence assourdissant des pouvoirs publics. Pas une voix ne s'est élevée parmi les responsables politiques, pas une parole officielle pour contrer cette allégation perfide, comme si elle était une vérité indiscutable gravée dans le marbre de notre époque troublée. Ce mutisme est non seulement erroné, mais aussi pernicieux, car il cherche à exclure une partie significative de l’humanité, les musulmans, en les qualifiant de « barbares ». Il laisse entrevoir les sombres desseins que pourrait nourrir un tel dirigeant s'il était laissé libre de concrétiser ses fantasmes, et dévoile une vision du monde marquée par la peur et la haine.
Cet argumentaire repose sur la théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, un concept simpliste et manichéen qui suggère que les conflits futurs seront déterminés par des différences culturelles et religieuses. Cette vision, qui prétend éclairer notre avenir, n'est en réalité qu'un voile sombre jeté sur notre présent, un poison distillé dans les esprits pour les diviser. En semant la peur et la division, ce discours cherche à redéfinir le monde en termes d’affrontements civilisationnels, transformant notre planète en un champ de bataille perpétuel. Il faut le dire sans détour : cette vision du monde est un poison, un venin qui vise à dresser les communautés les unes contre les autres, à fragmenter une société qui, au contraire, doit trouver sa force dans la diversité et le dialogue.
La deuxième déclaration provient de Rachel Khan, autoproclamée « spécialiste », qui, sur une chaîne d’information en continu, a affirmé avoir entendu des sourates dans un taxi incitant à la disparition d’Israël. Une déclaration qui défie non seulement la raison mais aussi le cours de l'histoire. Un simple examen chronologique aurait dû la dissuader de propager une telle ineptie : le Coran a été révélé entre 610 et 632, alors qu’Israël a été créé en 1948. Cette déclaration démontre une ignorance flagrante des faits historiques et religieux, une méconnaissance que l'on espère plus due à l'ignorance qu'à une volonté délibérée de manipuler. Pourtant, dans un monde où l'information est à la portée de tous, cette excuse semble bien mince.
Ces deux déclarations, l’une nourrie par la peur et l’autre par l’ignorance, sont le reflet de notre époque troublée, où la vérité est souvent sacrifiée sur l'autel de l'émotion et de la manipulation. Nous devons rester vigilants, garder notre esprit critique et défendre sans relâche les valeurs de vérité et de justice qui seules peuvent garantir un avenir pacifique et harmonieux.
Face à ces déclarations pernicieuses, la Grande Mosquée de Paris, avec dignité et sagesse, n’a pas cessé de dénoncer les risques immenses qu’encourt la France. Vouloir opposer les juifs aux musulmans fait partie d’un plan machiavélique, s’inscrivant dans un concept insidieusement lancé en 1993 par l'essayiste américain Samuel Huntington. Ce concept, le fameux “choc des civilisations”, prétendait que les conflits à venir seraient déterminés par des différences culturelles et religieuses plutôt que par des intérêts économiques ou idéologiques. Un concept simpliste et sans nuance, dépourvu de la richesse et de la complexité des relations humaines, et qui ne saurait prospérer aujourd’hui en France, cette terre riche de diversité et d'histoire.
Certes, le conflit israélo-palestinien est souvent perçu comme un facteur de tensions. Cette guerre, j’insiste, n’est pas une guerre de religion. Certains musulmans français soutiennent la cause palestinienne, tandis que certains juifs français sont attachés à l'État d'Israël. Mais même dans ce cas, on ne peut généraliser. De nombreuses personnalités publiques, de culture ou de foi musulmane, se sont exprimées pour soutenir Israël, tout comme plusieurs personnalités juives ont fait entendre leur voix pour la création d’un État palestinien libre et indépendant, même si ces dernières ont parfois eu moins accès aux grands médias.
Il faut savoir raison garder et reconnaître que les relations entre les communautés juive et musulmane en France peuvent parfois être médiatiquement exacerbées par des événements géopolitiques au Proche-Orient, notamment depuis le 7 octobre. Mais il est impératif de voir que la majorité des juifs et des musulmans en France vivent en bonne entente au quotidien. Dans les rues de nos villes, dans nos écoles et nos lieux de travail, cette coexistence pacifique est la norme, bien loin des caricatures alarmistes.
Les communautés juive et musulmane, deux des plus importantes minorités religieuses en France, se trouvent souvent au cœur de débats passionnés. Leurs relations, tissées de fils complexes, ne sont pas plus difficiles que celles entre autres religions, fluctuant au gré des divergences qui surgissent, alternant entre périodes de coexistence pacifique et moments de tension. La France, nation laïque et terre de diversité, reste une société où coexistent diverses communautés religieuses et culturelles, chacune apportant sa richesse, malgré quelques frictions ponctuelles. Il est donc essentiel de ne pas généraliser ni exagérer les tensions.
Avant cette date tragique, les représentants des communautés juive et musulmane en France se sont toujours efforcés à promouvoir le dialogue et la compréhension mutuelle. Ils condamnent fermement les actes antisémites et antimusulmans, et malgré un contexte souvent difficile, ils continuent, à l’image de la Grande Mosquée de Paris, de maintenir ce lien précieux, cette main tendue vers l’autre. C’est dans cette fraternité, dans ce respect réciproque, que réside la véritable force de notre nation.
La Grande Mosquée de Paris, par la voix de ses imams et par la mienne, a toujours rappelé et affirmé qu’aucun Français n’est responsable des crimes commis au nom de sa religion, ni sur notre territoire, ni ailleurs dans le monde. De même que les Français musulmans ne sont pas comptables des actes de terrorisme commis en leur nom, ici ou ailleurs, les Français juifs ne sont pas responsables des crimes de l’extrême droite israélienne au pouvoir actuellement.
Cependant, l’indignation qu’expriment les citoyens français, musulmans ou non, face aux atrocités rapportées quotidiennement de Gaza, est légitime et ne doit pas être interprétée comme un ressentiment nourri à l’encontre des juifs, motivé par une supposée foi musulmane porteuse de haine et de destruction. Ce procès est faux et pernicieux. Dois-je rappeler que l’un des plus grands défenseurs de la cause palestinienne en France n’était pas musulman, mais un déporté, Stéphane Hessel ? Ce rappel éclaire d’une lumière crue l’absurdité des amalgames et souligne l’importance de distinguer les actes politiques des identités religieuses.
Non et non et non, je ne saurais me résoudre à accepter ces accusations ignobles. Je réitère, avec une force inlassable, ce que je clame depuis toujours : la communauté musulmane est pacifique, respectueuse des lois, engagée dans son travail, et contribue activement à la vie de notre société en dispensant des services, participant aux événements, et apportant son aide aux autres. Notre Prophète, que la Paix et les Bénédictions d’Allah soient sur lui, les a exhortés en disant : « Les gens les plus aimés par Allah, sont ceux qui sont les plus utiles aux autres ». Cette intégration exemplaire dans la société découle de leur attachement profond à l’islam, une foi qui rejette l'isolement, privilégiant l'interaction et le service à autrui. Chaque musulman incarne ainsi le vers du poète :
« Face à tous les destins, je suis l'âme en soutien,
Jusqu'à l’infime plante, répandant le bien. »
Les musulmans de France ne portent aucune animosité envers notre société, car ils en sont l’une des composantes vitales. En bons Français, nous râlons quand nous ne sommes pas contents, mais en bons Français, nous aimons ce pays et souhaitons qu’il prospère dans la paix, offrant à chacun de nous une place digne et équitable.
Ceci étant dit, j’affirme avec la même ardeur que dans une société moderne, ce sont les pouvoirs publics qui doivent veiller à ce que chacun puisse trouver sa place, préserver la cohésion sociale et combattre la discorde par une parole publique forte, par des campagnes de sensibilisation et autres initiatives. Il est urgent que les pouvoirs publics assument pleinement leur rôle pour maintenir cette cohésion sociale et lutter contre toute forme de communautarisme ou d'instrumentalisation des différences religieuses. Le silence assourdissant des autorités face à la diabolisation des musulmans est insupportable.
Nos médias, puissants vecteurs de perception, jouent un rôle crucial dans la manière dont les Français perçoivent les prétendues tensions entre les communautés juive et musulmane. Certains médias ont été critiqués pour leur traitement partial ou sensationnaliste des événements manipulés parfois de l’étranger, comme rapporté par les conclusions d’enquêtes, amplifiant ainsi les stéréotypes et les préjugés.
Pour aborder objectivement ce sujet complexe et sensible, il est indispensable de se lancer dans un travail de longue haleine, impliquant tous les acteurs de la société civile. Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer, mais ils ne peuvent pas résoudre seuls ces questions qui touchent aux identités, aux croyances et aux histoires de chacun.
Cette situation est pour moi l’une des plus tragiques, car elle révèle les fractures profondes qui menacent notre société. Elle nous appelle à une vigilance accrue, à une solidarité renouvelée, et à une détermination inflexible pour bâtir ensemble un avenir de paix et de compréhension mutuelle. Je le dis avec une responsabilité pleinement assumée : les pouvoirs publics doivent impérativement relever ce défi majeur de veiller à la cohésion nationale, car cela nécessite des efforts constants de la part de tous. Il est temps d'agir avec courage et clairvoyance pour préserver l'unité et la fraternité de notre nation.
À Paris, le 4 juin 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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