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Le billet du Recteur (n°34) - Quand la France se libère du mythe judéo-chrétien : l’avenir dans la diversité



Il est des instants où le silence devient coupable, où il est nécessaire de s'exprimer non pour aviver la controverse, mais pour restaurer une vérité. Les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur sur l'immigration, relayées à grand bruit par les médias, nous rappellent à quel point la question migratoire demeure une source de tensions, trop souvent exploitée et réduite à des considérations simplistes. Dans un monde en perpétuelle mutation, où les frontières physiques se dissolvent face aux crises et aux conflits, il est impératif de repenser notre rapport à l'altérité, sans céder à la peur de l'autre.

 

Les discours tenus sur l'immigration s'ancrent dans une vision réductrice et dangereuse, nourrie par le spectre du « choc des civilisations ». Cette approche manichéenne érige des frontières artificielles entre les peuples, comme si le destin de la France se limitait à un affrontement inéluctable avec l'altérité. Opposer l'immigration à notre identité, présenter la diversité comme une menace, c’est travestir notre histoire et nier l’essence même de notre pays, terre d’accueil et de métissage. Ces discours ne sont pas seulement erronés ; ils distillent le poison de la division, insinuant insidieusement la méfiance et l’animosité. Le mutisme des autorités face à ces propos laisse prospérer l’idée fallacieuse d’une civilisation menacée, attisant peurs et fantasmes.

 

Cette stratégie est perverse car elle divise, cherchant à dresser les communautés les unes contre les autres, et instille l’idée que la coexistence est une chimère. Pourtant, la réalité est tout autre : la majorité des migrants vivent en harmonie avec tous les citoyens, participant activement à la vie économique et sociale du pays. Il en va de même pour les musulmans. 

 

La France n’est pas un champ clos de conflits, mais un espace de rencontres et d’échanges. Face à ces discours alarmistes, il nous faut revendiquer la vérité et rejeter l’instrumentalisation des différences culturelles et cultuelles à des fins politiques. La force de notre nation réside dans son unité, dans sa capacité à s’enrichir de sa diversité, non dans la division et l’exclusion.

 

Quant aux théories consolidées à coups de sondages, leur imprécision est troublante, notamment lorsque l'échantillonnage regroupe indistinctement Français de confession musulmane et musulmans résidant en France. Cette approche crée des amalgames et des interprétations biaisées, renforçant les stéréotypes et les préjugés. Elle alimente l'illusion d'une homogénéité des opinions et comportements au sein de la communauté musulmane, facilitant la diffusion de clichés trompeurs.

 

Il est crucial de distinguer : d'une part, les Français musulmans, citoyens à part entière, souvent nés en France et imprégnés des valeurs républicaines ; d'autre part, les résidents musulmans, nouveaux arrivants ou de passage, dont les parcours et l'intégration diffèrent. Négliger cette distinction, c'est risquer de masquer les enjeux liés à l'intégration et à la citoyenneté. En réduisant ces vies à de simples statistiques, ces sondages ignorent l'humain et obscurcissent inutilement le débat public.

 

Dans ce contexte, la prise de position du Président, appelant à la responsabilité collective et à l’unité, est salutaire. Il a rappelé que notre pays ne saurait se retrancher derrière une forteresse érigée contre l'autre, mais qu’il doit rester fidèle à ses valeurs républicaines – l’égalité, la fraternité et le respect de la dignité humaine. Son appel à dépasser les discours de peur pour construire des politiques migratoires justes, tenant compte des défis tout en préservant l’humanité, est un rappel de ce que doit être l’esprit républicain.

 

Il ne s'agit pas de nier les défis que posent l’immigration et l’intégration. Des problèmes existent et requièrent des réponses justes et efficaces. Mais ces défis ne peuvent servir de prétexte à la stigmatisation. La majorité des migrants, quelle que soit leur confession, aspirent à vivre en paix, à contribuer à la société qui les accueille, à bâtir un avenir pour leurs enfants. Les réduire à une menace, c'est nier leur humanité et leur volonté d’intégration.

 

Notre France est le fruit de brassages culturels successifs qui ont enrichi et fortifié notre société. Le vivre-ensemble n’est pas une utopie, mais une réalité quotidienne partagée par des millions de citoyens. Juifs, musulmans, chrétiens, athées, nous cohabitons, partageons des espaces communs, des valeurs républicaines, une histoire. La peur de l’autre est le fruit de l’ignorance. Elle peut être combattue, non par des discours alarmistes, mais par l’éducation et le dialogue.

 

Il incombe aux responsables politiques d’adopter un discours équilibré, empreint de justesse. Il est essentiel de sortir des stéréotypes, d’abandonner la rhétorique du danger permanent et de souligner les apports des vagues migratoires successives à la vitalité de notre pays. La force de la France réside dans sa capacité à intégrer les différences et à en faire une richesse partagée.

 

L’essentiel est là : construire un avenir commun où chacun se sent respecté, reconnu, et à sa place. C’est en affirmant notre engagement envers la solidarité, la justice et la paix que nous surmonterons les défis à venir. Aux voix alarmistes, opposons la sagesse, la lucidité et la volonté d’agir pour le bien commun. N'oublions jamais que notre nation s’est toujours enrichie de ses diversités et qu’elle continuera de le faire, forte de ses principes.

 


À Paris, le 8 octobre 2024


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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