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Le billet du Recteur (n°58) - Macron - Tebboune : deux voix au-dessus du tumulte



Au milieu des tempêtes hurlantes de l’actualité, où le tumulte médiatique tient souvent lieu de politique, deux voix ont surgi, calmes et graves : celles des présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron. Dans une mer d’invectives, de surenchères, et de crispations héritées d’un passé colonial non cicatrisé, voilà que s’élève une parole d’Hommes d’État, qui refusent que leur relation soit dictée par les passions d’arrière-garde.


Le chef d’État algérien, dans une adresse sobre et solennelle, a recentré le débat sur ce qui compte : la verticalité du dialogue et la dignité des nations. En nommant Emmanuel Macron son « unique point de repère », Abdelmadjid Tebboune ne s’est pas prosterné. Il a pris de la hauteur. Il a rappelé que les peuples, dans leur histoire longue, n’avancent que lorsque leurs dirigeants savent dépasser les clameurs et les peurs pour nouer un pacte de responsabilité. Le mot est lâché : responsabilité.


Responsabilité envers l’avenir, mais aussi envers le passé. Ce passé douloureux, fait de spoliation, de sang et de silences, que l’un comme l’autre ont tenté, chacun à leur manière, de regarder dans les yeux. Emmanuel Macron, on s’en souvient, osa nommer la colonisation pour ce qu’elle fut. Abdelmadjid Tebboune, lui, refuse la vengeance mémorielle et plaide pour une mémoire partagée. Deux démarches encore incomplètes, mais inespérées il y a seulement dix ans.


Ce dialogue entre les deux hommes d’État n’est pas celui d’un pacte de circonstance, mais d’un double serment d’adultes en politique. Il faut être sourd ou malveillant pour ne pas entendre, dans la confidence entre ces deux chefs d’État, l’espoir d’un dégel. Non pas celui des salons ou des chancelleries, mais celui que les familles franco-algériennes, les étudiants, les entrepreneurs, les artistes, appellent de leurs vœux.


Il faut dire que le niveau des débats qui ont précédé cet échange d’estime fut proprement affligeant. Des plateaux télé saturés d’invectives, des tribunes enflammées à l’encre de la revanche, des réseaux sociaux transformés en ring d’ignorance et de haine... La grandeur de deux États a été rabaissée à des querelles d’épiciers, à des calculs de court terme où l’électorat comptait plus que l’Histoire. Les deux présidents, parfois à contre-courant de leurs propres appareils, ont dû siffler la fin de la récréation — ou plutôt, de la réception, tant le vacarme tenait davantage du banquet des passions que du forum de la raison. C’est à eux, une fois encore, qu’il a fallu rappeler que la diplomatie ne saurait se réduire à un fil Twitter ni à un slogan d’audience.


Et pourtant, que de choses unissent encore ces deux nations que l’Histoire a rendues indissociables, pour le meilleur comme pour le pire. Une langue française féconde, parlée et pensée des deux côtés de la Méditerranée. Une diaspora qui forme un pont vivant entre les rives, tantôt douloureux, tantôt lumineux. Une jeunesse partagée, avide de mobilité, de justice, d’éducation, de reconnaissance. Des écrivains, des chercheurs, des médecins, des footballeurs, des poètes, qui sont autant de fruits de cette hybridité féconde. La France et l’Algérie sont deux peuples jumeaux, séparés à la naissance, élevés dans la rivalité, mais condamnés à dialoguer pour ne pas sombrer dans l’amertume. Le souvenir de l’indépendance n’a pas effacé les liens humains, affectifs et économiques qui tissent la toile invisible de cette relation si particulière.


Certes, les sujets de discorde sont encore nombreux : l’affaire Boualem Sansal, la gestion des OQTF, le Sahara occidental. Mais à ceux qui préfèrent le bras de fer à la poignée de main, il faut rappeler qu’une diplomatie de l’affrontement mène rarement à la paix durable. La parole d’Abdelmadjid Tebboune fut celle d’un homme qui « sait raison garder ». Celle d’Emmanuel Macron, en retour, fut empreinte de « confiance » et de « clairvoyance ». Deux vertus qui manquent cruellement dans les relations internationales de ce temps.


Dans cette ère où le fracas des populismes brouille l’entendement, la discrétion avec laquelle ces deux chefs d’État ont choisi de s’exprimer mérite un hommage appuyé. On les disait en froid, les voici à l’écoute. On redoutait l’irrémédiable, nous voilà à la veille d’un possible apaisement.


Un apaisement ne se décrète pas. Il se bâtit, pierre après pierre, mot après mot, respect après respect. Mais il faut bien un geste inaugural. Et ce geste, Abdelmadjid Tebboune l’a accompli. Emmanuel Macron l’a reconnu. Restera désormais à donner chair à cette volonté partagée : par des actes, des visites officielles, des coopérations concrètes.


Ce billet n’est ni naïf ni amnésique. Il ne gomme ni les douleurs du passé ni les impasses du présent. Mais il salue un instant de respiration entre deux nations si proches, si liées, et si souvent blessées l’une par l’autre.



À Paris, le 24 mars 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris



 



 

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