top of page

Le billet du Recteur (n°75) - Retrouver la maison commune

ree

Ce matin, une nouvelle est venue heurter notre rentrée comme une pierre jetée dans une eau déjà troublée. Devant plusieurs mosquées de Paris et de ses environs, des têtes de cochon ont été déposées dans la nuit. Neuf maisons de prière ainsi profanées, certaines souillées jusque dans leur seuil par des inscriptions haineuses. L’image est insoutenable. Elle blesse les fidèles, mais elle blesse surtout l’idée même que nous nous faisons d’une France fraternelle.


Je le dis avec gravité : nous sommes arrivés au stade de l’abject. La haine a franchi une limite symbolique. Quand elle ose s’attaquer à des lieux de culte, elle ne vise pas seulement des croyants, mais la possibilité même de vivre ensemble sur une terre partagée. Aujourd’hui, l’émotion est vive et légitime. Elle s’exprime dans les larmes, dans la colère, dans le silence blessé. Mais demain, quand le tumulte retombera, il nous faudra trouver la force de poser les bonnes questions. Comment avons-nous pu en arriver là ? Qu’avons-nous laissé se fissurer dans notre maison commune pour que de tels gestes deviennent possibles ? Et surtout : comment reconstruire ce qui se défait ?


En tant que responsable religieux, je ne peux me contenter de condamner. Mon devoir est aussi d’inviter à réfléchir, à chercher dans la profondeur des blessures la source d’un possible apaisement. Car une société qui s’abandonne à la haine court vers l’abîme, mais une société qui ose s’interroger ouvre déjà la porte à sa propre guérison.


La rentrée est revenue, avec son cortège de visages fatigués et d’espérances encore fragiles. Comme beaucoup d’entre vous, je ressens dans l’air de ce mois de septembre un mélange d’impatience et de gravité. Les rues de Paris bruissent des conversations de rentrée, mais derrière les mots ordinaires, l’école, le travail, la politique, se devine une tension plus sourde, comme si chacun portait en lui une inquiétude que les autres devinent sans la nommer.


Depuis la cour de la Grande Mosquée, où les arbres résistent aux saisons, je regarde cette agitation et je m’interroge. Nul n’échappe à l’actualité : elle nous atteint dans nos foyers, dans nos prières, dans nos silences mêmes. Mais au lieu de nous enfermer dans le tumulte, ne pourrions-nous pas, ensemble, y chercher une invitation à réfléchir ?


Car ce qui se joue n’est pas seulement le sort d’un gouvernement ou l’écho des débats parlementaires. C’est quelque chose de plus profond : la qualité du lien qui nous unit les uns aux autres, la capacité de croire encore à une histoire commune. C’est à cette méditation que je voudrais vous convier, pour ce premier billet de rentrée : prendre un pas de recul, comme on s’écarte d’une place trop bruyante pour mieux écouter la respiration de la ville.


En ce mois d’Aylûl (nom arabe de septembre), la France ressemble à une place publique au crépuscule. La poussière y danse dans la lumière déclinante, les conversations s’y entremêlent, mais l’on sent que quelque chose s’est perdu : une confiance, un souffle, peut-être une illusion. Les hommes et les femmes de ce pays regardent vers leurs représentants comme on regarde une procession lointaine : on entend le bruit des pas, mais on ne distingue plus les visages.


Cette distance n’est pas une faute imputable à l’un ou à l’autre, mais le signe d’une usure. Comme dans les ruelles du Caire décrites par Mahfouz, où les générations se croisent sans toujours se comprendre, le peuple et ses gouvernants semblent habiter des mondes parallèles, séparés par un mur invisible. Les uns cherchent à gouverner dans l’urgence, les autres aspirent à un horizon qu’ils ne voient plus tracé.


Hannah Arendt l’aurait dit autrement : le « monde commun » s’est fêlé. Ce monde commun n’est pas fait de lois ni de décrets, mais de la certitude intime que les paroles échangées sont portées par une confiance partagée. Lorsqu’elles se vident de ce poids, elles deviennent de simples échos, des tessons de poterie que l’on ramasse sans jamais pouvoir les recoller. Dans cette fracture du langage se loge la véritable inquiétude : ce n’est pas seulement l’État qui chancelle, c’est la possibilité même d’habiter ensemble une histoire commune.


Simone Weil, quant à elle, aurait choisi un autre chemin, plus intérieur encore. Elle aurait parlé d’« enracinement ». L’homme, disait-elle, est semblable à un arbre : il a besoin d’un sol pour s’ancrer, d’une mémoire pour respirer, d’une communauté pour fleurir. Sans ces racines, même si la terre demeure ferme, l’âme vacille et s’épuise. Et peut-être est-ce cela qui se joue aujourd’hui : une société qui marche encore, mais dont les pas semblent flotter au-dessus du sol, comme si elle avançait sur un chemin sans paysage.


Et voici qu’apparaît la voix de Mohammed Arkoun, qui n’invite ni au constat ni à la nostalgie, mais à une ouverture. Pour lui, le danger suprême n’est pas seulement la fracture ou la perte de racines, mais la fermeture de l’imaginaire. Car lorsqu’une société cesse d’imaginer d’autres possibles, elle transforme ses habitudes en barreaux et sa mémoire en prison. Peut-être la France contemple-t-elle aujourd’hui non pas le vide devant elle, mais les grilles forgées par ses propres représentations politiques. Alors, plutôt que d’y voir une condamnation, Arkoun nous appelle à une halte : il faut s’arrêter devant ces barreaux, les regarder en face, et se demander non pas qui les a forgés, mais comment les franchir.


Mais rien de cela n’est une condamnation. C’est plutôt un appel au réveil. Comme le muezzin qui élève sa voix au milieu de la nuit, la crise actuelle peut être entendue non comme une fin, mais comme une invitation : réapprendre à écouter, à raconter, à croire qu’une communauté humaine est encore possible.


Ainsi la question n’est pas de savoir qui a failli, mais comment retrouver la capacité d’espérer ensemble. Non pas désigner des coupables, mais rouvrir le cercle de la parole. Non pas accuser l’un ou l’autre, mais se demander : qu’avons-nous à offrir au futur ? Car une démocratie, comme une vieille maison, ne tient debout que si ses habitants acceptent d’y remettre des pierres, d’y allumer une lampe, de la défendre contre l’oubli.


Alors peut-être que dans ce carrefour troublé, où l’on croit voir l’effondrement, il ne s’agit que d’un passage. Et peut-être que ce peuple et cette classe politique, fatigués de s’ignorer, finiront par se retrouver, comme deux voyageurs perdus qui, au détour d’une ruelle, découvrent qu’ils marchaient vers la même aube.



À Paris, le 9 septembre 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris




ree


RETROUVEZ TOUS LES BILLETS DU RECTEUR SUR CETTE PAGE :

2 commentaires


gelew54132
04 déc.

Bien qu'Amon Casino https://amoncasinos.com/ ne fasse pas partie des casinos les plus populaires de France, il est sans aucun doute l'un des meilleurs casinos en ligne du marché. Grâce à son impressionnante sélection de machines à sous, de jeux de table, de jeux crash, de jeux télévisés et de jeux avec croupiers en direct, chacun y trouvera son bonheur. La plateforme est facile à utiliser et accessible aussi bien depuis un ordinateur de bureau que depuis un appareil mobile.

Modifié
J'aime

M Chandra
M Chandra
16 oct.

BDG game is one of the most enjoyable online gaming platforms I’ve used. The interface is simple, and the challenges are well-designed. I also appreciate the competitive features that allow players to compete and share strategies. Anyone looking for quality gaming should check out BDG game.

J'aime
bottom of page