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Le billet du Recteur (n°77) - Le Français musulman : citoyen toujours compté, jamais reconnu

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Il est des mythes modernes qui, comme les fables de La Fontaine, révèlent moins la nature des animaux que celle de ceux qui les observent. Ainsi, dans l’arène médiatique française, on aime se raconter que le « Français musulman » est toujours un autre : un Arabe, un corps étranger, une démographie menaçante. Et ce, alors même que nous en sommes à la sixième génération. Six générations ! Faut-il rappeler que la République a eu le temps d’envoyer ces enfants à l’école, de les enrôler dans ses guerres, de les faire voter, payer l’impôt, aimer les mêmes chansons et supporter les mêmes équipes ?


Pourtant, dans les studios saturés de lumière, le « Français musulman » reste convoqué comme une altérité indépassable. On compte ses naissances, on soupèse sa loyauté, on le dépeint dans les registres du soupçon : trop nombreux, trop jeunes, trop communautaires. Les chiffres, brandis comme talismans, deviennent des armes symboliques. N’est-ce pas là, au fond, la version contemporaine des vieilles peurs millénaristes ?


Hier encore, sur BFM, l’arabe fut réduit à une « langue musulmane », pire encore, à une « langue islamiste ». Comme si Victor Hugo avait écrit dans une « langue catholique », comme si Goethe parlait « protestant ». Quelques jours plus tard, sur France Info, une « spécialiste » s’est lancée dans une logorrhée démographique : les musulmans feraient trop d’enfants, les juifs se sentiraient menacés, et voilà que la France courrait au « grand remplacement ». Le présentateur relance, l’éditorialiste corrige timidement, mais l’image reste : celle d’une communauté réduite à un péril chiffré, comptée comme on compte des envahisseurs.


Ironie cruelle : ces « Français d’origine musulmane » dont on conteste la francité sont, dans leur immense majorité, incapables de lire l’arabe classique. Les mosquées elles-mêmes peinent à trouver des imams francophones, capables de prêcher dans la langue de Voltaire, parce que les fidèles, enfants de la République, n’entendent plus la langue de leurs ancêtres. Et pourtant, le soupçon demeure : ils seraient « étrangers de l’intérieur ». Quelle fable plus absurde ?


Les études empiriques, comme celle de l’Ifop commandée par la Grande Mosquée de Paris, parlent pourtant sans détour : un musulman sur deux, y compris les non-pratiquants, a subi une discrimination ces cinq dernières années


66 % déclarent avoir été victimes d’un comportement raciste, contre 20 % pour l’ensemble de la population. Ces chiffres, s’ils concernaient n’importe quelle autre catégorie, genres, seniors, catholiques, juifs, homosexuels, enseignants, agriculteurs, espèces menacées ou forêts primaires, auraient déclenché des plans d’urgence, des campagnes nationales, des débats parlementaires. Mais parce qu’il s’agit des musulmans, les pouvoirs publics détournent le regard.


Ce qu’il faut dénoncer, avec fermeté mais sans colère, c’est cette paresse intellectuelle des médias et de certains commentateurs : incapables de penser l’intégration autrement qu’en termes de menace. En prétendant « décrire » la réalité, ils fabriquent en réalité la fracture qu’ils prétendent conjurer. Ils comptent les enfants musulmans comme on compte des bataillons, et parlent de « langue islamiste » comme on agite un chiffon rouge.


La République, disait-on jadis, devait être une école de l’émancipation. Mais comment enseigner l’émancipation quand le simple prénom d’un citoyen le renvoie à une altérité supposée ? Comment parler de « vivre ensemble » si les plateaux télé persistent à décrire les musulmans comme un corps étranger ?


Il serait temps, peut-être, de méditer cette morale : tant que l’on continuera à compter les « autres » comme des intrus, la République se privera d’elle-même. Car l’égalité n’est pas une statistique, c’est un principe.


Ce n’est pas la première fois que la Grande Mosquée de Paris monte au créneau. Ce ne sera pas la dernière. Car à chaque nouvelle séquence, à chaque amalgame médiatique, il faut rappeler inlassablement que les musulmans de France sont Français tout court. Ni menace, ni colonie intérieure, ni chiffre à instrumentaliser. Des citoyens.


Il appartient désormais aux pouvoirs publics d’assumer leurs responsabilités. Car si l’étude Ifop avait révélé que la moitié d’une autre catégorie de citoyens, selon leur sexe, leur âge, leur métier ou leur confession, subissait des discriminations, nul doute que l’État, les associations et les groupes parlementaires s’en seraient saisis à bras-le-corps. Pourquoi pas pour les musulmans ?


La République ne peut plus détourner le regard. Nous ne lâcherons pas.



À Paris, le 23 septembre 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris




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