Les mots voyageurs (n°6) - Mage "مجوسي"
- Nassera BENAMRA
- 5 août
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Dans l'arène des mots, où les érudits se disputent l'ascendance des lexèmes avec une ferveur presque mystique, se dresse le terme "mage", érigé sur un piédestal de controverse linguistique. Les dictionnaires, dans leur chorus quasi-unanime, invoquent le latin "magus" ou le grec "magos" comme ses géniteurs, tandis qu'une voix dissidente, murmurée entre les lignes du Petit Robert, évoque prudemment une ascendance persane.
Georges Ménage, archéologue des mots du XVIIe siècle, exhume des textes anciens des vestiges qui ébranlent l'édifice de cette orthodoxie linguistique. Hérodote, Platon, Xénophon, Strabon et d'autres encore proclament d'une seule voix que le terme "mage" est un exilé lexical venu de la langue des Perses, chargé du poids sémantique de "prêtre" ou "gardien de la foi", telle une sentinelle du sacré, analogue aux druides gaulois ou aux lévites hébreux.
Contempteur des théories d'emprunt, Ménage récuse l'idée selon laquelle les Grecs auraient adopté docilement ce terme persan, préférant le tordre à des fins péjoratives. Il suggère plutôt que notre "magie" occidentale est l'enfant bâtard de cette union lexicale, héritière d'une connotation sombre que les Grecs lui ont conférée.
Dans sa plaidoirie linguistique, Ménage fait appel à la raison, invoquant la logique selon laquelle un mot se fond naturellement dans la langue d'un peuple s'il incarne une essence propre à cette culture. Ainsi, les mages, gardiens du feu sacré chez les Perses, trouveraient leur écho dans ce terme, porteur d'une signification profonde.
L'admission du terme "mage" dans le sanctuaire du Dictionnaire de l'Académie en 1694 est l'ultime sceau d'approbation, tandis que son usage chez les grands écrivains, tel Rabelais en 1546, lui confère une légitimité indéniable, désignant un prêtre de la religion de Zoroastre et un érudit des astres.
En arabe, la fusion entre le mage et le mazdéen s'opère dans un seul mot, "majussiyyi", qui engendre l'appellation "Majüs", évoquant ainsi les Rois Mages des récits bibliques.
Ainsi, derrière l'obscurité sépulcrale de la controverse étymologique, émerge une lueur persane, révélant les racines profondes du terme "mage" et sa parenté avec une culture antique, porteuse d'une sagesse ancestrale et d'un savoir ésotérique.
D’après le Dictionnaire des mots français d’origine arabe de Salah Guermiche