Le recteur Chems-eddine Hafiz était invité, ce dimanche à Paris, à l'ouverture de la rencontre internationale "Imaginer la Paix", organisée par la Communauté de Sant'Egidio et l'Archevêché de Paris, en présence notamment du président de la République, de la maire de Paris, de nombreux dignitaires religieux et acteurs associatifs venus du monde entier.
Il a transmis un message, lu durant cette assemblée inaugurale, que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Rencontre internationale 'Imaginer la paix' de la Communauté de Sant'Egidio - Mot du recteur Chems-eddine Hafiz lu - Paris - 22 septembre 2024
Monsieur le président de la République,
Madame la maire de Paris,
Monsieur le secrétaire perpétuel de l’Académie française,
Monsieur le président de la Conférence des évêques de France, Monseigneur,
Monseigneur l'archevêque de Paris,
Monseigneur l’archevêque de Canterbury,
Éminences, Messeigneurs,
Mesdames, Messieurs les dignitaires des différents cultes en France et dans le monde
Monsieur le fondateur, Monsieur le président et Madame la présidente en France de la Communauté de Sant’Egidio,
Mesdames, Messieurs,
J’ai l'immense privilège d'être parmi vous aujourd'hui, à l’appel de la Communauté de Sant'Egidio, pour ce rassemblement où l’union de nos imaginations et de nos déterminations permettront à la paix de conquérir, je l’espère, de nouveaux territoires.
En pensant à cet événement, qui s’achèvera à Notre-Dame, les mots de Victor Hugo, écris durant son exil, avec l’esprit transporté à Paris, avec son désir d’un monde plus juste, pour son époque et pour les suivantes, me reviennent et résonnent jusqu’à nous : « Quand un homme est plein de désespoir, il n’y a rien de plus sublime que de lui parler de la paix et du pardon. C’est comme si on lui offrait une étoile dans une nuit sombre, pour lui rappeler qu'il y a toujours une lumière qui brille, au loin. »
Et c’est avec une espérance toute aussi nécessaire et précieuse que naissait la Communauté de Sant’Egidio, au milieu du siècle passé, après le cataclysme de la guerre, avec la volonté de l’Église de se tourner vers les croyants des autres religions, y compris les musulmans, dont je suis, et de les regarder avec estime, parce qu’ils adorent le même Dieu « vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes ».
Depuis sa création, la Communauté de Sant'Egidio est un exemple lumineux d'engagement, de compassion et d'action concrète pour les plus vulnérables.
Déployée à travers le monde, la Communauté a su tendre la main aux oubliés de notre époque : les pauvres, les sans-abris, les malades, les personnes âgées, les prisonniers. Elle leur porte secours, mettant le relationnel et l’humain au cœur du moindre geste, pour protéger ce qui compte véritablement : la dignité, la valeur de chaque existence, la paix des plus fragiles.
Je tiens à vous faire part de mon admiration et de ma gratitude, comme je les ai déjà exprimées à Madame la Présidente Valérie Régnier, avec qui j’échange régulièrement, et à Monsieur le Président Marco Impagliazzo, qui m’avait reçu à Rome en février 2022, au lendemain de ma rencontre avec le pape François.
Je vous redis donc à quel point votre Communauté et ses œuvres me rassurent et m’inspirent, en tant que responsable religieux. Elles confortent aussi l’idée que nous ne pouvons pas habiter ce monde sans la recherche du dialogue et de la fraternité entre les chrétiens et les musulmans, et entre toutes les communautés religieuses.
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Cette recherche, qui débute par la compréhension de l’autre, mène au renforcement de sa propre foi et de son propre équilibre, pour finalement préserver l’harmonie de nos sociétés.
En faisant l’effort de comprendre les croyances et les pratiques qui ne sont pas les nôtres, d’écouter les récits de foi qui nous sont étrangers, de cultiver la diversité religieuse parce qu’elle est une volonté de Dieu, de former les jeunes générations à cette curiosité et à cette tolérance, nous enrichissons notre spiritualité et nous devenons plus conscients de notre rôle dans l’univers.
Les histoires de coopération réussie entre chrétiens et musulmans sont nombreuses : elles doivent être mises en avant pour en inspirer d’autres encore.
Sur cette planète en perte de repères, à une époque où les conflits, les malentendus et les manipulations semblent l’emporter, nous pouvons redécouvrir combien certaines valeurs – la fraternité, la solidarité, l’amour, la paix – sont profondément enracinées dans nos traditions religieuses respectives, et sont là pour nourrir notre assemblée.
Convoquant le passé, je pense souvent aux circonstances et aux personnalités qui ont porté ces valeurs et nous ont transmis ce sens profond de l’amitié entre « les Gens du Livre ».
La terre d’Algérie où j’ai grandi, celle de Saint Augustin, celle du père de Foucauld, a vu naître l’Émir Abdelkader qui, en juillet 1860, exilé à Damas, incarna l’humanisme en protégeant par tous les moyens les chrétiens de la ville, emportés par milliers dans la fureur d’un conflit sanglant.
Les exemples sont nombreux, et certains sont actuels : le récent déplacement de Sa Sainteté le Pape François en Asie, à la rencontre d’importantes communautés musulmanes, est un nouvel appel à la fraternité des croyants et des hommes, dont nous avons tant besoin.
Cet appel à la fraternité n’est pas toujours entendu. Je voudrais qu’il résonne en France, qu’il soit l’image que la France donne au monde.
Malheureusement, les forces qui cherchent à nous diviser sont puissantes, et notre désarroi progresse à mesure que le sentiment de rejet de l’Autre gagne nos concitoyens.
Par bonheur, le dialogue résiste, soutenu par ces anonymes, par ces innombrables, persuadés que tout se répare, que le monde peut changer, que l’idéal de la paix peut être sauvé.
Ceux-là vous diront que la paix est à la fois le but et le chemin de l’homme. Je leur dirais que ma religion, l’islam, fut scellé dans la paix, fut porté par la paix.
De mes croyances, j’extrais des vérités qui me conduisent à elle. Nous lisons dans le livre sacré des musulmans (s5- v63) : « Voici quels sont les serviteurs du Miséricordieux : ceux qui marchent humblement sur la terre et qui disent : ‘Paix’ ». Jour après jour, chaque musulman invoque son Créateur par l’un de ses noms, « le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux » : il se rappelle que la paix intérieure et extérieure reposent sur cette miséricorde divine.
La paix devient alors une éthique de vie. « Le cœur en paix est le plus grand trésor » disait un maître soufi, car la paix débute en soi et se conforte avec les autres. L’islam, comme toute religion, enseigne la patience, la bienveillance et la générosité dans l’interaction humaine. Selon le Prophète de l’islam (la paix soit sur lui) : « Le vrai croyant est celui dont les gens sont à l’abri de sa langue et de sa main. »
C’est le message que nous tentons de transmettre à nos coreligionnaires, afin qu’ils puissent affronter les dérives extrémistes et démontrer que leurs appartenances religieuses se conjuguent avec leurs appartenances citoyennes.
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Mesdames, Messieurs,
La paix n’est pas un vain mot, ni un acquis.
À l’image des hommes et des femmes qui travaillent pour la Communauté de Sant’Egidio, nous avons tous quelque chose à en dire et quelque chose à réaliser pour tendre vers elle.
Ancrée dans les réalités et les tissus locaux où elle intervient, la Communauté nous montre comment vivre en accord avec les valeurs les plus élevées de nos religions et de l'humanité, et prouve comment la puissance de la solidarité et de la compassion peut transformer des existences. Nous connaissons son engagement pour la résolution des conflits et la recherche de solutions durables, dans les régions en crise, dans les situations désespérées.
En cette heure où nos espoirs s’accordent, ici, à Paris, le langage des armes parle, ailleurs, dans toute sa cruauté.
Je ne pourrais pas cacher que mon esprit est hanté par la folie inhumaine qui ravage, en particulier, Gaza. Je prie pour que ce cauchemar se dissipe et que la région trouve enfin la voie d’une paix juste et définitive.
Au Proche-Orient, dans d’autres régions, et plus loin en remontant l’histoire universelle, j’ai la profonde conviction que les religions ne sont pas des sources de violence. Elles sont utilisées, manipulées, dévoyées, au nom de rivalités et d’idéologies politiques mortifères.
Les hommes de foi s’en trouvent souvent démunis : que pouvons-nous faire sur les théâtres des guerres les plus abominables, face aux injustices les plus flagrantes ?
À l’individu, nous offrons le soutien spirituel, le réconfort de nos rites, de la prière, de l’invocation, la possibilité même d’une reconstruction. À la société, nous offrons nos idées et nos projets sur l’éducation à la paix, à la solidarité, au développement durable, en s’efforçant d’agir avec les moyens efficaces et tangibles de notre temps.
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Mesdames, Messieurs,
Je me tiens devant vous avec le simple vœu d’une consolidation des mouvements solidaires engagés ensemble, entre catholiques, musulmans, juifs et tout croyant ou non-croyant convaincu par cette nécessité. Nous partageons bel et bien une responsabilité collective : celle de collaborer et de partager nos efforts, au-delà des simples discours.
Je sais de nombreuses institutions et associations catholiques, comme la vôtre, Sant’Egidio, résolues à avancer, en étant poussées par le besoin de réconcilier les êtres, les communautés, et de replacer l’amour du prochain au centre de notre horizon commun, pour bâtir des sociétés plus justes et plus pacifiques.
Merci à la Communauté de Sant'Egidio, pour tout ce qu'elle accomplit et pour le modèle qu’elle représente. Merci à chacun de ses membres pour leur engagement.
Que Dieu nous guide sur le chemin de la paix.
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