Dans un entretien paru sur LatestReport, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, revient sur la situation actuelle, son appel à la paix, son soutien à la population civile de Gaza et à la construction d'un État palestinien, son alerte face aux discours antimusulmans.
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Vous avez rencontré Roch-Olivier Maistre, président de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, et vous avez exprimé l’inquiétude des musulmans du discours antimusulman dans les médias français. Qu’est ce qui a motivé une telle démarche ?
Effectivement, comme vous l’avez mentionné concernant la remise de cette lettre qui porte plusieurs dimensions humaines, sociales et religieuses. Ainsi, mon appel, représentant la position de la Grande Mosquée de Paris, intervient après une observation minutieuse et une surveillance continue au cours des dernières semaines du discours médiatique dont l’intensité a augmenté.
À notre avis, tout discours véhiculant la haine et la violence ne mène qu’à davantage de haine et de violence en retour. À cette occasion, à la Grande Mosquée de Paris, nous n’avons pas seulement averti contre l’hostilité envers les musulmans et les pressions médiatiques et sociales exercées sur eux, mais nous avons également appelé à la lutte contre l’antisémitisme en général. C’est notre rôle et notre devoir, en particulier dans de telles circonstances. La Grande Mosquée de Paris a le devoir de s’inquiéter, en particulier, des faits répréhensibles commis à l’encontre de nos concitoyens de confession musulmane. Ces derniers jours comme ces derniers mois, hélas, j’ai le regret de constater une évolution dangereuse et pernicieuse qui conduit les musulmans de France à devenir les cibles de propos absolument inadmissibles. Nous ne pouvons rester insensibles et passifs face à la libération et à la banalisation d’une parole essentialiste, stigmatisante, raciste et haineuse contre nos concitoyens musulmans.
Vos propos avec le grand rabbin de France sur un plateau Tv ont suscité une grande polémique, dans la mesure où vous n’avez pas pris position claire et directe avec la population massacrée dans la bande de Ghaza. Pensez-vous que vos propos ont été mal compris, sachant que les musulmans sont choqués par votre discours ?
Oui bien sûr, mes propos ont été sortis de leur contexte et interprétés de manière tronquée et malveillante. J’invite vos lecteurs à rediffuser cette séquence sur BFM TV. J’ai insisté sur les droits des palestiniens à avoir un Etat, revendication légitime et nécessaire. Comme j’ai rappelé qu’un être humain est égal à son prochain et qu’il ne peut y avoir de hiérarchie dans le sort des victimes. Quant à ma réponse à la question concernant le Hamas, lors de l’interview avec la chaîne française, elle a été interprétée de manière à déformer intentionnellement mon idée. Je suis un religieux qui n’a pas de compétence pour qualifier des actes de quelque nature que ce soit. En tout cas, il n’y a aucune mention, ce qui est une preuve claire d’une manipulation éhontée de mes propos au cours de l’interview.
Les musulmans, notamment en France, se sentent, aussi, blessés à la fois par l’agression dans la bande de Gaza que par le soutien apporté par l’Elysée à l’armée de l’occupation. N’y a-t-il pas un sentiment de peur que cette guerre puisse avoir des conséquences graves sur le territoire français ?
Tout d’abord, il est important de souligner que nous vivons dans une société ouverte et diversifiée. Une société plurielle, multiconfessionnelle qui rassemble différentes races, croyances, religions et opinions.
En France, on trouve des musulmans qui vivent aux côtés de juifs, de chrétiens, de bouddhistes, d’hindous, et de laïcs, tous partageant le même espace de vie. Notre société représente un lieu, un contexte historique, et une période temporelle qui lui confèrent sa spécificité. C’est pourquoi notre principale préoccupation est de faire de cette proximité un acte positif tendant à se connaître, à se respecter et pourquoi pas à s’apprécier. Nous redoutons les dissensions idéologiques, sectaires et religieuses, d’où notre appel permanent à la modération et à la diffusion d’un discours prônant la paix, la coexistence, et le rejet de la violence et de la haine.
Les musulmans de France ont un sentiment d’être souvent « diabolisés », comparativement, aux autres religions qui sont plus protégées et rapproche même à la Grande mosquée de Paris le fait de ne pas avoir fait suffisamment d’effort pour les défendre …
Tout d’abord, il est important de noter que le discours de haine touche les musulmans, tout comme d’autres communautés. À titre d’exemple, le ministère de l’Intérieur français a signalé environ 1200 cas d’antisémitisme au cours des dernières semaines, se manifestant par des insultes, injures et même des agressions physiques contre des citoyens français de confession juive. En tant que recteur de la Grande Mosquée de Paris, la plus ancienne institution islamique en France, qui a représenté les musulmans dans ce pays pendant plus d’un siècle, et qui continue à le faire, je tiens à souligner mon engagement et à affirmer ma responsabilité dans la défense, de la dignité, des droits et de la liberté des musulmans dans la pratique de leur religion et de leurs cultes. De plus, je m’oppose fermement à ceux qui exploitent notre religion à des fins politiques dans le but de la dénigrer et de présenter une image négative de cette belle religion qu’es l’islam.
Revenant à la situation à Gaza, les condamnations les déclarations n’ont pas changé la situation depuis des décennies. Quelle est l’approche politique idéale que préconisez-vous pour mettre fin à ce conflit qui n’a que trop duré ?
Effectivement, les victimes et leurs familles, qu’il s’agisse de personnes âgées, de femmes ou d’enfants innocents, attendent des solutions pratiques plutôt que de longs discours et de nombreuses paroles inutiles. C’est pourquoi je confirme ma position, en soulignant tout d’abord la nécessité d’arrêter toute opération violente et le meurtre d’innocents. D’un autre côté, je soutiens et j’apporte mon appui au peuple palestinien dans son État indépendant et sa capitale, “Al Qods Acharif”, dans les plus brefs délais, avant la fin de cette année.
Une grande polémique entoure ce conflit qui est directement lié par certains à un problème, plutôt, religieux que politique. Etes-vous de cet avis ?
Nous avons clairement exposé notre position dans le communiqué que nous avons publié le 8 octobre 2023. Nous y avons exprimé notre profond regret et douleur face aux événements en cours, manifestant notre compassion envers les victimes innocentes dès le début. Nous avons souligné la nécessité d’exclure la religion du champ de conflit afin qu’elle ne soit pas exploitée par des parties cherchant à dénigrer l’islam. Comme nous l’avons observé précédemment, les médias traitent souvent des questions sociales et des conflits idéologiques liés à l’islam de manière biaisée. Par conséquent, il n’est jamais justifié d’associer ce qui se passe à une question religieuse ou doctrinale, et cela doit rester dans son contexte.
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