Face à l'émergence de l’expression "antisémitisme musulman", je m'interroge régulièrement sur cette allégation qui prétend trouver racines dans les préceptes coraniques ou la tradition islamique. Je scrute les sourates et les hadiths à la recherche d'une justification quelconque à une hostilité envers les Juifs. En vain.
Particulièrement préoccupé par la recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre dernier, je m'efforce à déterminer quelle proportion de musulmans pourrait être à l'origine de cette discrimination insupportable.
Est-il vrai que les musulmans nourrissent de la haine ou de l'hostilité envers les Juifs en raison de leur appartenance ethnique ou religieuse ?
Il convient de se rappeler que mon illustre prédécesseur, le fondateur de la Grande Mosquée de Paris, le Recteur Cheikh Kaddour Ben Ghabrit, a pris des risques insensés pour sauver des Juifs pendant l'occupation nazie de Paris. De même, l'imam Abdelkader Mesli, en assistant le Recteur, a été arrêté et déporté dans les camps de Dachau puis de Mauthausen - Ebensee. Le troisième recteur, Cheikh Hamza Boubakeur, a clairement affirmé pendant la guerre des Six Jours que le conflit n'opposait pas musulmans et juifs, fondant l'association "La Fraternité d'Abraham" au siège de la Grande Mosquée de Paris, pour rassembler les dignitaires des autres cultes monothéistes.
En relisant le saint Coran, on y trouve mention de plusieurs prophètes qui ont été envoyés au peuple Juif. Abraham (Ibrahim en arabe) et Moïse (Moussa en arabe) sont considérés comme deux des plus importants prophètes dans l'islam. La sagesse de David (Daoud en arabe), ses accomplissements et ses psaumes sont également loués. Isaac, fils d’Abraham, Aaron, frère de Moïse, Jacob et son fils Joseph, tous ayant une importance dans la tradition juive, sont également mentionnés.
À l’opposé des vérités ainsi soulignées, les mouvements extrémistes propagent des idées fausses sur l'islam et sur les musulmans dans le seul but de les diaboliser en les associant à l'antisémitisme. Face à toute allégation ou affirmation concernant les attitudes et les croyances d'un groupe religieux ou d'une communauté particulière, il est impératif d'être prudent, de faire preuve de discernement, de reconnaître la diversité au sein de la communauté musulmane, et de ne pas enfermer ses opinions et ses croyances dans une essentialisation absurde.
De nombreux musulmans rejettent fermement l'antisémitisme, promouvant la coexistence pacifique et le respect mutuel entre les différentes communautés religieuses. Disons les choses clairement : lorsque certaines personnes, bien qu'apparemment musulmanes par leur patronyme, commettent des actes antisémites, elles sont en réalité motivées par le racisme et non par leur appartenance à l'islam.
En islam, au contraire, le racisme est exclu car tous les individus sont considérés comme égaux devant Dieu, indépendamment de leur race, ethnie, couleur de peau, origine sociale ou statut économique. Cette égalité fondamentale est un principe exprimé dans plusieurs versets du Coran et dans les enseignements du Prophète Mohammed (que le salut et la paix soient sur lui).
L'islam prône l'égalité, la justice et le respect mutuel entre les individus, et tout comportement discriminatoire ou préjudiciable va à l'encontre de ces principes. En s'engageant naturellement et avec une conviction découlant de mes préceptes musulmans contre l'antisémitisme, j'assume pleinement ma responsabilité dans cette démarche. J'invite chaque individu, quel que soit son horizon spirituel, à adopter une posture similaire.
Devons-nous rappeler quelles voies extrémistes ont conduit la France et l’Europe dans les terreurs de la Seconde Guerre mondiale ? Je ne peux accepter que notre pays sombre dans les méandres de l'extrême droite, une menace considérée par les services de renseignement comme un péril émergent. Selon le dernier rapport d'Europol en 2022, la France représentait 35 % des interpellations réalisées en Europe en lien avec le terrorisme d'extrême droite, une proportion qui avait atteint 45 % l'année précédente. Cette inquiétante réalité nous appelle à la plus grande vigilance et à l’action résolue contre toute forme d’extrémisme.
Les musulmans de France aspirent à vivre dans une société plurielle et refusent d’être rendus coupables, à tort, d’un "antisémitisme musulman". La majorité d’entre eux ne soutient ni l'antisémitisme, ni aucune autre haine raciste, et s'y oppose avec fermeté. Ce sont des citoyens comme les autres, impassibles face aux attaques dont ils sont eux aussi les sujets, conscients de la nécessité de cultiver les liens qui unissent tous les Français.
À Paris, le 30 janvier 2024
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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