Le billet du Recteur (n°66) - La vie ne se cède pas : plaidoyer pour une fin digne
- Guillaume Sauloup
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En ces jours où la République française débat du droit à « l’aide à mourir », il nous revient, en tant que croyants, citoyens et dépositaires d’une sagesse spirituelle millénaire, de rappeler avec gravité ce que signifie la vie humaine : un dépôt sacré, un souffle confié, une responsabilité partagée. Ce projet de loi, sous couvert de compassion, introduit dans notre droit la possibilité d'administrer délibérément la mort. Cela constitue un renversement des repères éthiques les plus fondamentaux. Ce n’est pas d’un progrès qu’il s’agit ici, mais d’un affaissement silencieux, presque imperceptible, de la frontière entre soulagement et renoncement, entre soin et abandon. Il nous faut, en conscience, dire non.
Une vie ne se mesure pas à l’aune de l’utilité
Dans la vision islamique de l’existence, chaque être humain, qu’il soit dans la plénitude de sa santé ou dans la vulnérabilité de la souffrance, possède une dignité inaliénable. Le Coran nous enseigne que la vie est sacrée – non parce qu’elle est exempte de douleur, mais parce qu’elle est dotée d’une signification transcendante, même au cœur de l’épreuve. Lorsque la société commence à proposer la mort comme seule réponse à la souffrance, elle risque de glisser d’un devoir d’accompagner vers une tentation tacite d’écarter.
La tradition musulmane, nourrie par le respect de la personne souffrante et du mourant, a toujours considéré que soulager la douleur sans hâter la fin était la voie noble, celle du soin, du soutien, de la patience active. Le Prophète, paix et bénédiction sur lui, rappelait que « briser l’os d’un mort, c’est comme le briser vivant » — une parole à la portée immense, soulignant que la dignité du corps ne s’éteint pas avec la vie, et que l’humanité d’un être ne se mesure jamais à ses capacités.
Le soin, miroir de notre humanité collective
La médecine n’est pas une technique froide : elle est un art du soin, une éthique de la présence, une alliance de confiance. Lui imposer de provoquer la mort revient à la détourner de sa vocation originelle essentielle. Nous comprenons la détresse des patients, la souffrance des proches, les tourments de la fin de vie. Mais la réponse ne peut être l’accélération du trépas, fût-elle « choisie » : la réponse, c’est une médecine humaine, généreuse, palliative au corps, soutien à l’âme.
Ce que le monde attend d’une nation comme la France, patrie des droits de l’Homme, ce n’est pas la légalisation subtile de la mort administrée, mais l’excellence de son accompagnement, le renforcement des soins palliatifs, la promotion d’une culture de la présence jusqu’au dernier souffle. Mourir dans la dignité, ce n’est pas choisir l’instant de sa mort, c’est être entouré, reconnu, aimé et soulagé. Le reste est un faux dilemme.
Un principe coranique : ne pas se hâter vers la fin
Le Coran interdit avec insistance le désespoir et l’atteinte à la vie : « Ne tuez pas la vie qu’Allah a rendue sacrée » (17:33). Ce verset, fondement éthique et spirituel, ne nie pas la souffrance, mais rappelle que toute vie possède un sens, y compris dans sa fragilité. Accepter que la société consacre le principe d’« aide à mourir », c’est risquer d’induire chez les plus faibles un sentiment de culpabilité, comme si leur vie ne valait plus d’être vécue.
Dans les pays ayant légalisé l’euthanasie, les dérives sont documentées : extension des critères, réduction du soutien aux soins palliatifs, banalisation de l’acte. Les français ne veulent pas de cette pente glissante, où l’individualisme extrême finit par effacer les solidarités.
Vers une fraternité du dernier souffle
Au seuil de la mort, l’être humain ne demande pas seulement à « choisir ». Il demande à être accompagné, entouré, écouté, relevé par l’attention d’un autre. Il demande — parfois sans le dire — à ne pas mourir seul. Le rôle des proches, des soignants, des aumôniers, de la société tout entière, est de rendre possible cette présence. L’acte de foi, dans nos traditions, c’est de rester là, au chevet, même quand la médecine ne guérit plus. Cela, c’est la vraie dignité.
Je m’adresse donc avec humilité mais fermeté aux parlementaires, aux responsables politiques, aux consciences éveillées de ce pays : ne franchissez pas cette ligne. Protégez les vivants, même affaiblis. Choisissez l’humanité, pas l’utilité. Rehaussez la médecine, ne l’instrumentalisez pas. Investissez dans les soins palliatifs, pas dans la légalisation de la mort.
Car ce que nous risquons de perdre ici, ce n’est pas seulement un débat éthique — c’est une part de notre humanité.
À Paris, le 19 mai 2025
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
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