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Le billet du Recteur (n°81) - Le 17 octobre, une mémoire partagée pour un avenir réconcilié

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Il est des gestes diplomatiques qui résonnent comme des battements de cœur. La participation, ce vendredi, de l’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet, aux commémorations du 17 octobre 1961 dans la capitale française n’est pas anodine. Elle s’inscrit, nous dit-on, dans la volonté de l’Élysée d’envoyer un signe d’apaisement, un de ces gestes sobres mais porteurs, qui disent mieux qu’un discours la conscience d’un passé toujours vivant entre nos deux peuples.


À la Grande Mosquée de Paris, cette même journée a été placée sous le sceau de la mémoire et de la fraternité. Nous avons commémoré, dans le silence et la dignité, les victimes de la répression meurtrière du 17 octobre 1961. Autour de nous, des élus français et algériens, des représentants de la société civile, des parlementaires, des imams, des fidèles : autant de visages qui témoignaient que cette histoire n’appartient pas à un seul pays, mais à une humanité partagée.


Comment aurait-il pu en être autrement ?


La Grande Mosquée de Paris est, par essence, le lieu où se rejoignent les fils entremêlés de la mémoire algérienne et de l’histoire française. Édifiée en reconnaissance du sang versé par les soldats musulmans morts pour la France, elle fut pensée comme un pont de gratitude et de dialogue. S’y recueillir aujourd’hui pour honorer les victimes du 17 octobre 1961, c’est prolonger la vocation même de cette maison : faire de la mémoire non pas une frontière, mais un passage.


Et pourtant, soixante-quatre ans après cette nuit de plomb, la reconnaissance officielle de ce drame tarde encore. Comme si la République, lorsqu’il s’agit de mémoire partagée, peinait à trouver le mot juste.


Il a fallu un demi-siècle pour que la parole politique admette que le 17 octobre 1961 fut une tragédie d’État ; il en faudra peut-être un autre pour que cette date entre pleinement dans la conscience nationale.


De même, il fallut des décennies pour que le sacrifice des tirailleurs et des spahis musulmans soit reconnu à sa juste mesure.


Mais là encore, la gratitude française reste inachevée.


La Mosquée de Paris fut ce premier geste de reconnaissance, un hommage de pierre et de lumière ; il manque désormais à notre capitale un monument qui dise haut et clair ce que la mémoire n’ose encore murmurer : que ces soldats venus d’ailleurs ont versé leur sang pour la liberté d’une nation qu’ils rêvaient fraternelle.


Un grand édifice, un espace de recueillement, au cœur de Paris, dédié à ces tirailleurs de toutes confessions, unis dans le courage et l’espérance.


Et pourquoi pas, osons le dire, l’entrée de Si Kaddour Benghabrit au Panthéon ?


Ce serait un acte à la hauteur de son œuvre.


L’homme qui fit bâtir cette Mosquée, qui abrita des juifs pendant l’Occupation, qui servit la France sans jamais renier son Algérie, mériterait d’être inscrit parmi ceux qui ont grandi la patrie par l’esprit et par le cœur.


Son nom, gravé sous la coupole du Panthéon, rappellerait que la République ne s’appauvrit jamais en reconnaissant la part musulmane de son histoire : elle s’y élève.


Ainsi, la Mosquée de Paris poursuivrait sa mission silencieuse : transformer la douleur en mémoire, et la mémoire en avenir.


Ce jour-là, en 1961, des hommes, des femmes, des ouvriers, des pères de famille sont tombés sous les coups d’une violence injustifiable. Ils réclamaient simplement d’être vus, entendus, reconnus. Leur silence forcé nous oblige : il rappelle à la France qu’elle ne saurait effacer les ombres de son histoire, et à l’Algérie qu’elle ne doit jamais renoncer à tendre la main à la vérité.


C’est pourquoi cette commémoration à la Mosquée de Paris n’est ni un geste diplomatique ni une concession au passé : elle est un acte de fidélité.


Fidélité à ceux qui, dans la tourmente, ont cru à la possibilité d’un lien indestructible entre les deux rives indépendantes.


Fidélité à la mission spirituelle de cette institution : accueillir la mémoire sans haine, rappeler la dignité sans revanche, servir la paix sans amnésie.


Et voici que, presque en écho à ces signes de concorde, le nouveau ministre de l’Intérieur et des Cultes, Laurent Nuñez, a rappelé que la remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968 n’était plus « à l’ordre du jour ». Dans une période où certains tentaient de rouvrir de vieilles blessures, ces mots résonnent comme une main tendue vers la raison. Ils ouvrent la voie à ce que nous appelons de nos vœux : un dialogue loyal, franc, durable, entre Paris et Alger.


Nous saluons la nomination de M. Nuñez, un homme de dialogue et de mesure, et nous lui assurons notre entière disponibilité pour l’accompagner dans sa mission au service de la concorde républicaine et en faveur de relations constructives avec le culte musulman et tous les cultes.


Oui, il souffle peut-être sur nos deux capitales un vent nouveau. À la faveur d’un souvenir longtemps douloureux, voici que renaît l’espérance d’une parole partagée.


La mémoire, lorsqu’elle se fait humble et lucide, n’éloigne pas : elle rapproche. Et c’est à cette œuvre de rapprochement que, inlassablement, la Grande Mosquée de Paris continuera de se consacrer.



À Paris, le 20 octobre 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris




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