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Le billet du Recteur (n°86) - Nous ne capitulerons pas devant les ténèbres

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Comme la majorité des Français, j’ai suivi, avec déchirement, le cri d’une mère de Marseille monté jusqu’à nos consciences. Samedi, lors de l’hommage à Mehdi Kessaci, 20 ans, abattu de plusieurs balles, sa famille a refusé que son nom soit inscrit dans la rubrique froide des faits divers. Ce cri n’était pas celui du ressentiment, mais celui d’une société meurtrie qui réclame qu’on protège sa jeunesse avant qu’elle ne devienne une statistique. Il disait : « Ne nous laissez plus seuls face à ce monstre invisible ».

 

Un défi de société


Le narcotrafic n’est pas un phénomène périphérique ; c’est une corrosion silencieuse de nos cités, de nos vies, de nos valeurs. Il faut entendre ce qu’il murmure : « Je vaux mieux que toi, je t’achète avant que tu ne grandisses, je suis ta loi avant que la tienne ne se dessine ». Il faut l’élever comme un défi de la société tout entière car lorsque ce trafic prospère, c’est chacun de nous qui devient la proie ou le témoin.


En France, les travaux les plus récents estiment que le marché du narcotrafic génère entre 3,5 et 6 milliards d’euros chaque année. Par ailleurs, en 2023, le total des personnes poursuivies pour usage de stupéfiants en France s’élevait à environ 260 300, et parmi celles-ci, environ 48 300 personnes ont été poursuivies pour trafic. Ces chiffres ne sont pas des menaces abstraites : ils disent l’écart entre ce que nous souhaitons être et ce que nous vivons.


Mobiliser les religieux, accompagner les familles, rompre la solitude


Il est temps que les responsables religieux, imams, prêtres, pasteurs, rabbins et les associations de terrain se lèvent aux côtés des autres acteurs de la Cité, non en empreinte mais en premier front. Tous les messages sacrés convergent vers cette vérité : la vie est précieuse, l’humain est dignité.


Quand une famille, épuisée, voit son enfant sombrer, ce n’est pas un destin individuel : c’est un échec collectif. Elle ne doit plus être seule. Quand une association lutte dans l’ombre, elle ne doit plus se sentir isolée. Quand une mosquée, un temple, une église ou une synagogue proposent un accompagnement, ce n’est pas un geste accessoire : c’est un pont entre l’invisible et le concret.

 

Parce que la loi seule ne suffit plus ; parce que la prière seule ne remplace pas l’action ; mais parce qu’ensemble, elles peuvent former ce que j’appellerai un « ange rempart ».


Une action concertée


Voici ce que je propose :


  • Que les lieux de culte ouvrent des « espaces vie » dédiés aux parents, aux jeunes, aux anciens, un jour par mois, pour qu’on y parle librement de la drogue, du trafic, des réseaux pas en moralisateurs, mais en compagnons de vie ;

  • Que les responsables religieux participent au groupe local de coordination avec l’État, les collectivités, les associations afin que leur temple, mosquée, église, synagogue devienne un relais de la vigilance, de la prévention, et non un témoin passif ;

  • Que les familles qui luttent soient reconnues par un label ou une charte « Voix de la Résistance » : elles ne sont pas des victimes anonymes mais des partenaires de la République, avec un retour d’expérience, des repères à partager ;

  • Que les responsables des cultes s’engagent à des formations communes de terrain (associations, lieux de culte, intervenants de l’État) pour que la parole religieuse ne reste pas figée mais se mette au service de la vie concrète : « Quand tu vois un jeune au bord, que disons-nous ? »


Pourquoi une parole d’espérance est urgente


Parce que dans l’espace non investi, l’espace où l’État ne paraît plus, où l’école s’essouffle, où la rue se radicalise, le trafic s’insinue. Il promet, il tient, il tue. Il ne suffira pas d’arrestations spectaculaires ; il faut que la vie ordinaire devienne plus forte que le « deal » de l’ombre. Et la vie ordinaire trouve souvent son levier dans une foi humble, un voisin qui ne ferme pas les yeux, une mosquée ou un temple qui écoute avant de juger.


Aux jeunes : vous n’êtes pas perdus, la rue ne dicte pas votre valeur.


Aux parents : vous n’êtes pas seuls, votre combat est celui de tous.


Aux responsables religieux : vous avez un rôle : pas seulement de culte mais de secours, de mémoire, de résistance.


À l’État et à la République : vous n’êtes pas défaillants tant que nous, citoyens et croyants, redevenons acteurs.


La lutte contre le narcotrafic n’est pas un sujet périphérique. C’est la responsabilité collective d’un peuple conscient de son avenir. Et celui-ci s’écrit là où un jeune refuse le piège, une famille reprend souffle, un lieu de culte ouvre ses portes. Le trafic peut gagner des terrains ; mais nous avons les outils qui sont foi, éducation, solidarité, loi pour reconquérir chaque mètre perdu.



À Paris, le 25 novembre 2025


Chems-eddine Hafiz

Recteur de la Grande Mosquée de Paris




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