Le billet du Recteur (n°87) - Quand la peur s’invite dans la loi, la liberté s’efface
- Guillaume Sauloup
- il y a 1 heure
- 3 min de lecture

Un débat national vient de s’ouvrir autour d’un rapport parlementaire censé mieux protéger la France de l’islamisme. Personne n’en contestera l’objectif : la République doit se défendre face à ceux qui rêvent de la soumettre à un ordre théocratique. Mais pour que la défense reste républicaine, elle doit toujours être guidée par la raison, non par l’émotion ou l’amalgame. Lorsque l’on en vient à réglementer le jeûne des jeunes croyants, à surveiller les pratiques vestimentaires dans l’espace public ou à généraliser le soupçon sur des lieux de culte entiers, ce n’est plus l’extrémisme que l’on combat : ce sont des citoyens parfaitement loyaux que l’on tente de tenir à distance.
La loi ne peut gouverner les consciences
Parmi les propositions, figure l’interdiction du voile et du jeûne avant 16 ans. Une telle mesure, à elle seule, dit tout du glissement à l’œuvre. Elle ne cible aucune infraction mais une pratique religieuse ordinaire, qui relève avant tout de l’intime, de l’éducation familiale, du lien spirituel.
Même les interprétations les plus traditionnelles de l’islam n’évoquent ces obligations qu’à partir de la puberté. Une jeune fille qui couvre ses cheveux ou un adolescent qui tient à jeûner, le temps d’une journée, le font souvent par émulation affectueuse, par accompagnement d'un rite familial, ou dans un contexte cultuel particulier : prière, mosquée, cérémonie.
Empêcher ces gestes-là reviendrait à considérer qu’ils sont déjà en eux-mêmes une menace. Et cela excéderait clairement le champ de la loi, dont la vocation rappelée par la Constitution, par la CEDH et par le Conseil d’État, est de protéger l’ordre public, non de modeler les consciences.
L’école publique bénéficie d’un régime particulier de neutralité ; nous le soutenons sans réserve. Mais la vie privée des familles et la pratique cultuelle relèvent d’une prérogative inaliénable de la foi.
Quand la prévention se retourne contre son but
Les promoteurs de ces mesures affirment agir pour protéger la jeunesse et freiner l’emprise radicale. Pourtant, la logique qu’ils défendent produit l’effet inverse de celui recherché : elle fracture, elle désigne, elle exclut.
L’État de droit repose sur une idée simple : on ne restreint pas une liberté fondamentale à titre préventif, mais seulement en cas d’abus avéré.
C’est le principe de proportionnalité, pierre angulaire de notre justice.
Comment concilier ce principe avec la volonté de limiter à l’avance le comportement de millions d’enfants et d’adolescents qui n’ont commis aucune faute ?
La République ne grandit pas lorsqu’elle a peur d’elle-même
Il faut aussi regarder la portée symbolique : que dit-on aux jeunes musulmans lorsque leurs pratiques religieuses sont suspectées par principe ? Que leur fidélité à la France soit conditionnelle, fragile, toujours susceptible d’être remise en cause.
Les terroristes répètent que la République n’acceptera jamais ses citoyens musulmans tels qu’ils sont.
Nous devons faire mentir cette propagande et non lui donner du grain à moudre.
La laïcité n’est pas une frontière, c’est un pont
La laïcité n’a pas été conçue pour effacer la religion de l’espace public.
Elle fut pensée comme une garantie d’égalité : que nul ne soit contraint de croire, et que nul ne soit empêché de croire autrement.
Ce rapport, en ciblant quasi exclusivement l’islam, finit par réduire ce principe à l’état d’arme politique. Une laïcité de surveillance n’est pas la laïcité : c’est une déformation de son sens premier.
Et si la République doit rester vigilante face aux entreprises radicales, cette vigilance ne doit jamais devenir une doctrine du soupçon envers ceux qui s’efforcent chaque jour d’être musulmans et français, dans la dignité.
Une Nation ne se protège pas en se divisant
La France a toujours surpassé les dangers lorsqu’elle se rappelait ce qu’elle est : une formidable Nation rassemblée autour du droit, non autour de la peur.
À la Grande Mosquée de Paris, nous continuerons de faire vivre un islam paisible et profondément attaché à la République. Nous continuerons de tendre la main, même lorsque certains voudraient la refermer.
Car nous croyons que la France n’a pas besoin de murs supplémentaires, mais de confiance renouvelée.
Et que la sécurité véritable ne se construit jamais en affaiblissant la liberté de ceux qui vous sont fidèles.
À Paris, le 2 décembre 2025
Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
RETROUVEZ TOUS LES BILLETS DU RECTEUR SUR CETTE PAGE :

