Résonances abrahamiques (n°2) - Comment l’Église catholique a abandonné la peine de mort
- Nassera BENAMRA
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Par Raphaël Georgy
En 2018, l’Église catholique a modifié son catéchisme pour affirmer que la peine de mort était désormais “inadmissible” dans l’enseignement de la foi catholique dans le monde entier. Cette révision tranche avec une interprétation vieille de deux millénaires.
Le 2 août 2018, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du Vatican publie une modification d’une importance capitale au Catéchisme de l’Église catholique. Par un document approuvé par le Pape François, le paragraphe 2267 traitant de la peine de mort est entièrement reformulé. Le nouveau texte déclare sans ambiguïté : « l'Église enseigne, à la lumière de l'Évangile, que "la peine de mort est inadmissible car elle attente à l'inviolabilité et à la dignité de la personne" et elle s'engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde ». Cette décision n’est pas une décision isolée du Pape François.
En réalité, elle est l’aboutissement d’une dynamique doctrinale développée au cours des trois derniers pontificats. La précédente version de 1997 n’excluait pas la peine de mort en principe, tout en restreignant drastique les conditions de son application. Elle affirmait que « l’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas le recours à la peine de mort, si celle-ci est l'unique moyen praticable pour protéger efficacement des vies humaines contre l'injuste agresseur ». Le texte s’empressait de préciser que les cas « d’absolue nécessité [ .] sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants ».
Le pontificat de Jean-Paul II (pape de 1978 à 2005) fut un tournant décisif. L’encyclique Évangélisme Vitae (“L’Évangile de la vie”) a redéfini les termes du débat. Pendant des siècles, l’enseignement de l’Église avait été relativement statique, affirmant le droit de l’État à exécuter des criminels dans le cadre de son devoir de préserver le bien commun. Jean Paul II a initié un changement de paradigme en limitant la peine de mort presque exclusivement à la « légitime défense ». Pour lui, les États modernes disposent de moyens non létaux pour neutraliser un agresseur et protéger la société, rendant ainsi le recours à la peine capitale non nécessaire. La légitimité de la peine de mort n’est pas diminuée, mais devient un principe abstrait.
Le pape Benoît XVI a poursuivi cette trajectoire. À plusieurs reprises, il a attiré « l'attention des responsables de la société sur la nécessité de faire tout ce qui est possible pour arriver à l'élimination de la peine capitale » et a encouragé les initiatives politiques et législatives visant son abolition. Son pontificat a fait passer l'Église d'une position de tolérance passive dans des cas extrêmes à une opposition active dans tous les cas pratiques, plaidant ouvertement pour que le droit pénal soit rendu « plus conforme à la dignité humaine des prisonniers et au maintien efficace de l'ordre public ».
Le pape François a hérité de cet élan et lui a donné une nouvelle dimension. Avant même la révision, il avait exprimé sa position sans équivoque. Le moment décisif fut son discours du 11 octobre 2017, à l'occasion du 25ᵉ anniversaire du Catéchisme. Il y déclara que la peine de mort est « en soi contraire à l'Évangile » et « inadmissible », et demanda explicitement que le Catéchisme soit mis à jour pour refléter ce « développement de la doctrine ». Dans l’Église catholique, les évolutions doctrinales ne sauraient contredire l’enseignement antérieur, mais doivent s’inscrire dans une continuité avec ce dernier. La reformulation du Catéchisme en 2018 est donc présentée comme la conséquence ce directe des positions précédentes, tenant compte des circonstances actuelles.
Le fondement principal de la nouvelle formulation repose sur le principe déjà connu de la dignité de la personne humaine. Créée imago Dei, à l'image et à la ressemblance de Dieu, chaque personne possède une dignité inaliénable. La lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 2018 souligne que la révision est basée sur « la prise de conscience, toujours plus claire dans l'Église, du respect dû à chaque vie humaine ». Cette affirmation rompt avec certaines interprétations plus anciennes selon lesquelles un pécheur, par son crime, pouvait être considéré comme ayant perdu sa dignité ou même son droit à la vie.
Dans la Bible, l'exemple de Caïn, le premier meurtrier, est un argument de poids. Bien qu'ayant commis un fratricide, Dieu lui-même protège sa vie en y apposant un signe, démontrant que même le meurtrier ne perd pas sa dignité personnelle et que Dieu seul est le maître de la vie et de la mort.
L'enseignement de l'Église romaine s'est aussi éloigné d'un modèle de justice axé sur la rétribution, où le châtiment vise à réparer le mal par un autre mal, pour adopter une vision plus globale. Dans cette perspective moderne, les sanctions pénales doivent viser avant tout la « réhabilitation et la réintégration sociale du criminel ». La peine de mort, par sa nature irréversible, anéantit toute possibilité de rédemption et de réinsertion, se révélant contraire à la finalité la plus élevée de la justice pénale vue à travers le prisme chrétien.
Le dernier argument, développé par Jean-Paul II, constate que des moyens de détention efficaces ont été développé pour garantir la sécurité des citoyens. Il élimine la dernière justification possible que l’enseignement antérieur tolérait, à savoir la « nécessité absolue » pour la défense de la société. Puisque les États modernes peuvent protéger leurs citoyens sans tuer le criminel, le recours à la peine capitale devient non seulement non nécessaire, mais aussi disproportionné et donc « inadmissible ».

*Article paru dans le n°81 de notre magazine Iqra.
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