Résonances abrahamiques (n°4) - Le christianisme face au communautarisme
- Guillaume Sauloup
- il y a 4 heures
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Par Raphaël Georgy
Le christianisme n'est pas épargné par la tentation du repli. Mais des ressources doctrinales très anciennes lui permettent de résister et de dialoguer avec le « monde ».
Le concept de « communautarisme religieux », souvent employé dans le débat public de manière polémique, désigne la constitution d'un groupe sur la base d'une identité religieuse partagée, caractérisé par une forte cohésion interne et une mise à distance, voire une fermeture, vis-à-vis de la société. Si ce phénomène est fréquemment associé à l'islam contemporain en Europe, il est facile de montrer qu'il traverse également le passé et le présent du christianisme.
Nés de l'aile radicale de la Réforme protestante au XVIe siècle, les mouvements anabaptistes ont souvent fait de la séparation d'avec la société séculière un principe théologique central, en partie en réaction aux violentes persécutions qu'ils subirent de la part des Églises d'État, catholiques comme protestantes. Les amish, autre courant du protestantisme, représentent un autre exemple de séparation volontaire. Leur organisation sociale est entièrement régie par un ensemble de règles de vie non écrites et très strictes. Pour eux, la séparation n'est pas un but en soi, mais le moyen de vivre ce qu'ils considèrent comme l'Évangile authentique, impossible à réaliser dans une société jugée corrompue et matérialiste.
En France, le catholicisme a également vu naître des communautés caractérisées par un fort repli, souvent en réaction à des ruptures perçues comme des trahisons de la foi traditionnelle. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), fondée par Mgr Marcel Lefebvre en 1970 en réaction au Concile Vatican II, représente un cas moderne et hautement structuré de communautarisme catholique. Son opposition ne se limite pas à la liturgie (l’attachement à la messe tridentine) mais s'étend à des points doctrinaux majeurs du Concile, tels que l'œcuménisme (la recherche de l’unité avec les autres chrétiens) ou la liberté religieuse, perçus comme des « erreurs modernes » rompant avec la « Tradition ».
Pour préserver ses membres de ces « erreurs », la FSSPX a méthodiquement bâti un écosystème complet et parallèle à l'Église catholique « officielle ». Cet écosystème comprend ses propres séminaires pour former ses prêtres, un maillage territorial de prieurés, et surtout un vaste réseau d'écoles hors contrat, allant de la maternelle aux établissements d'enseignement supérieur. Ces institutions, souvent non-mixtes et organisées en internat, créent une véritable « bulle » éducative et sociale. La FSSPX illustre parfaitement un communautarisme de rupture. Sa logique n'est pas celle de la mission, mais celle de la préservation au sein d'une citadelle assiégée.
Mais au-delà des choix théologiques de certains groupes, des dynamiques historiques plus larges ont également favorisé des logiques de repli au sein du christianisme. Dans le passé, l'hostilité du monde extérieur a souvent contraint les communautés chrétiennes à se replier pour survivre. Dans l'Empire romain, les persécutions, bien que discontinues et localisées avant le milieu du IIIᵉ siècle, ont forcé les premiers chrétiens à développer une vie communautaire discrète et solidaire. Bien plus tard, sous des régimes totalitaires comme en Union soviétique, la persécution systématique par l'État (fermeture de milliers d'églises, exécution du clergé, promotion de l’athéisme) a poussé la foi dans la sphère privée et clandestine, créant des communautés fermées de fait, seules capables d'assurer la transmission de la foi.
Malgré ces exemples de repli, le cœur de la théologie et de l'histoire chrétiennes contient de puissants ferments qui militent contre la fermeture communautaire et promeuvent une vision universelle.
Le premier fondement de cet universalisme est la doctrine de la Création. Selon le livre de la Genèse, tous les êtres humains, sans aucune distinction, sont créés « à l'image et à la ressemblance de Dieu » (Genèse 1, 26). Cette vision est renforcée par l'affirmation de l’apôtre Paul que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée 2, 4-6), ce qui implique un dessein divin unique et bienveillant pour l'ensemble de l'humanité. Si Dieu est l'unique créateur de tous et que tous partagent la même nature fondamentale et la même fin (la communion avec Lui), alors toute forme d'exclusion radicale est, en théorie, une contradiction théologique.
L'histoire du christianisme peut être lue comme la mise en œuvre, avec ses succès et ses ambiguïtés, de ce mandat universel. L'expansion rapide dans l'Empire romain, malgré les persécutions, témoigne de cette dynamique précoce. Des facteurs clés, comme l'existence de la diaspora juive qui servit de premier relais, puis l'ouverture décisive aux païens, portée par la théologie de Paul, ont permis au message de dépasser son berceau palestinien et de s'adresser au monde gréco-romain. Plus tard, l'ère des « grandes découvertes » à partir du XVe siècle a coïncidé avec une nouvelle vague d'évangélisation mondiale, bien que souvent compromise par ses liens complexes avec la colonisation. L'histoire des missions, tant catholiques que protestantes, est l'incarnation historique de cet impératif d'universalité qui a poussé l'Église hors de ses propres frontières culturelles et géographiques.
*Article paru dans le n°83 de notre magazine Iqra.
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