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Résonances abrahamiques (n°5) - Le corps, temple du Saint-Esprit ?

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Par Raphaël Georgy

D’une manière proche de l’islam, le christianisme a longtemps mis un point d’honneur à préserver le corps physique. Mais le recul du christianisme et un assouplissement des doctrines a ouvert la voie à de nouvelles pratiques, comme la crémation plutôt que l’inhumation, ou les tatouages corporels.


Dans l’un de ses derniers livres, Métamorphoses françaises (Seuil, 2024), le sondeur Jérôme Fourquet révèle toute l’ampleur du phénomène. En 1980, seuls 0,9 % des Français choisissaient la crémation. En 2023, ils sont 43 % à faire ce choix. « Un développement fulgurant », commente l’auteur, d’autant plus remarquable que cette pratique a longtemps été condamnée dans le christianisme.


La sacralisation du corps remonte, pour les chrétiens du moins, au Nouveau Testament et plus précisément à l’apôtre Paul. Celui-ci condamne la débauche en ces termes : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, que vous avez reçu de Dieu ? ». Pour les chrétiens, le « Saint-Esprit » désigne Dieu lui-même, en tant qu’il est présent dans le monde.


Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, Paul souligne que c’est le corps dans son intégralité (sôma, en grec) qui sera ressuscité par Dieu et pas uniquement l’âme, comme le croyaient les Grecs et même certains chrétiens. Il redonne donc au corps toute sa dignité. D’où l’obligation de le préserver.


Dans le judaïsme, l’interdiction de la crémation repose surtout sur la tradition rabbinique, mais le récit biblique de la crémation déshonorante du roi Saül par ses ennemis conforte cette position.


Mais en 1963, l’Église catholique nuance la doctrine traditionnelle. Elle ne craint plus que la combustion du corps empêche la résurrection, car Dieu peut ressusciter le corps quel que soit son état, mais elle veut que le choix de la crémation ne soit pas fait dans un esprit de provocation ou de négation de l’espérance en la résurrection. Certaines églises protestantes avaient déjà opéré ce tournant à la fin du XIXe siècle, pour des raisons similaires.


« Vous ne vous ferez point de tatouages »


La pratique du tatouage est un autre cas d’école. « Alors que jusqu’aux années 1980 et 1990 cette pratique était en France quasiment inexistante et l’apanage de milieux très restreints (artistes, gens du voyage, repris de justice, marins, militaires, etc.), elle s’est considérablement répandue depuis les années 2000 », écrit Jérôme Fourquet. En 2024, 22 % des Français ont déjà été tatoués.


Dans la Bible, l’interdiction du tatouage remonte au livre du Lévitique : « Vous ne ferez point d’incisions dans votre chair pour un mort, et vous ne vous ferez point de tatouages : Je suis l’Éternel », lit-on au chapitre 19. Dans le christianisme, la position s’est largement assouplie en considérant que la préservation est d’abord d’ordre spirituel. Rome tolère désormais les tatouages à condition qu’ils ne soient pas « blasphématoires ».


Dans ces deux exemples, force est de constater que les pratiques ont précédé — et peut-être provoqué — l’assouplissement des doctrines. Mais outre cette dimension doctrinale, Jérôme Fourquet met en évidence une cause plus prosaïque à propos du nombre croissant des crémations : « Parallèlement à ce facteur religieux, le fait d’appartenir à une société urbaine dans laquelle les individus ne résident plus à proximité des villages où sont enterrés leurs ancêtres constitue une autre cause manifeste de cette évolution ». Quoi qu’il en soit, il s’agit bel et bien d’une bascule anthropologique.



*Article paru dans le n°84 de notre magazine Iqra.



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