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Résonances abrahamiques (n°6) - Après 1918, l’œcuménisme à l’épreuve du nazisme

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Par Raphaël Georgy

L’armistice de 1918 inaugure une période inédite de rapprochements entre catholiques et protestants, dépassant même l’opposition franco-allemande. Mais la montée du nazisme divise les chrétiens et reportera les efforts œcuméniques après la Seconde Guerre mondiale.


Le 11 novembre 1918, l’Armistice signe la fin de quatre années de guerre qui a impliqué des combattants de nombreuses confessions. « On peut penser que la guerre a permis des rencontres, explique le théologien catholique François Euvé, directeur de la revue Études. Le fait d’être ensemble dans les tranchées, de se rencontrer entre catholiques et protestants, a créé des liens sur un plan personnel et cela faisait penser qu’on pouvait faire un bout de chemin ensemble. » Les initiatives œcuméniques ont connu une forte accélération durant l’entre-deux-guerres, parvenant parfois à dépasser les oppositions nationales.


L’armistice permet d’abord de reprendre un processus commencé avant la guerre. Les missionnaires chrétiens, notamment en Afrique, se heurtaient à des difficultés. Comment être convaincants aux yeux des non-chrétiens lorsque les chrétiens eux-mêmes sont si divisés ? Tel fut le premier moteur de rapprochement. En 1925, le mouvement protestant « Life and Work » se réunit pour la première fois à Stockholm. D’inspiration luthérienne, il a pour objectif de rapprocher les chrétiens par l’action sociale. « On a pensé, et cela dès l’aurore du christianisme social, que là où les doctrines séparent, voire opposent, les actions d’ordre social peuvent rassembler les témoins de différentes confessions et même de différentes religions, sans oublier les agnostiques luttant pour un humanisme athée », analyse le théologien protestant Laurent Gagnebin, interrogé par Iqra. Ce rassemblement œcuménique réussit à dépasser les anciennes oppositions, les Églises protestantes allemandes envoyant une délégation. Humiliés par la défaite de 1918, les protestants allemands utilisent la tribune de Stockholm pour contester les termes de la paix et appellent à condamner le Traité de Versailles.


Un autre mouvement œcuménique protestant, « Foi et Constitution », se crée à Lausanne en 1927 à l’initiative de l’évêque anglican Charles Brent. Cette fois-ci, il aborde les questions doctrinales et théologiques. Le prêtre catholique allemand Max Josef Metzger participe à cette conférence et deviendra un pionnier de l’œcuménisme en Allemagne. Une délégation orthodoxe participe également, composée de théologiens russes émigrés à Paris après la révolution bolchevique de 1917, comme l’éminent Père Serge Boulgakov qui fonde l’Institut Saint-Serge à Paris, toujours en activité.


« Pour le pape Pie XI, il n’y a qu’une seule Église et c’est l’Église catholique »

Mais en 1928, l’Église catholique prend ses distances avec le mouvement œcuménique. Le pape Pie XI répond aux invitations qui lui avaient été faites par l’encyclique Mortalium Animos, qui condamne l’œcuménisme moderne. « Pour le pape Pie XI, il n’y a qu’une seule Église et c’est l’Église catholique, précise François Euvé. Il faudra attendre le concile Vatican II pour qu’il y ait le désir de s’engager officiellement. » Pour le pape, la seule unité possible était le retour des « chrétiens séparés » dans le giron catholique romain.


Cela n’empêchera pas plusieurs initiatives catholiques de se tenir, tout en évitant soigneusement une confrontation directe avec Rome. En 1936, l’abbé Paul Couturier, à Lyon, transforme la prière traditionnelle pour le retour des chrétiens séparés en une semaine de prière « pour l’unité ». On ne prie plus pour la conversion des protestants, mais avec eux. Cette semaine est toujours marquée de nos jours par des initiatives œcuméniques. En 1937, le même Paul Couturier fonde le Groupe des Dombes, composé de 40 théologiens, 20 protestants et 20 catholiques. Ce groupe a publié de nombreux documents doctrinaux substantiels et continue de se réunir. La même année, le père dominicain Yves Congar publie Chrétiens désunis, où il soutient que, si l’Église catholique reste le seul lieu de l’unité visible, elle ne peut prétendre le démontrer sans se réformer elle-même. Le père Congar sera choisi, quelques décennies plus tard, pour rédiger les documents préparatoires au concile Vatican II. Mais de nouvelles difficultés allaient bientôt voir le jour sur le chemin de l’œcuménisme.


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À l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, l’Église catholique est la plus méfiante envers le national-socialisme. Certains évêques ont même interdit aux fidèles de rejoindre le parti avant 1933. Le régime nazi a négocié avec l’Église catholique un concordat censé protéger ses organisations en Allemagne. Mais il n’en fut rien. Les persécutions contre les associations de jeunesse catholiques, la presse et le clergé ont commencé presque immédiatement. Face à ces violations, le pape Pie XI publie l’encyclique Mit brennender Sorge (“Avec une brûlante inquiétude”) rédigée exceptionnellement non en latin, mais en allemand. Elle est distribuée clandestinement à toutes les paroisses et lue en messe le dimanche des Rameaux au nez et à la barbe de la Gestapo. Elle dénonce le culte de l’État et du chef, le “mythe de la race et du sang” comme une idolâtrie. 


Idolâtrie nazie


L'Église protestante allemande n’affichera pas la même résistance. Le régime nazi parvient à faire élire en son sein des représentants favorables au pouvoir dès 1933. La résistance s’organisera donc à travers la création de « l’Église confessante » qui publie en 1934 la Déclaration de Barmen. Ce texte de résistance spirituelle, rédigé notamment par le théologien réformé Karl Barth, condamne le nazisme comme une idéologie totalitaire et païenne. Elle souligne que Dieu est le « Père de tous », Jésus est « frère des pauvres », et l'Esprit de Dieu est « esprit de liberté, de justice et de paix ». Le pasteur Dietrich Bonhoeffer fait partie des plus militants de cette Église, favorable à une action politique directe. Il utilise ses contacts œcuméniques pour informer les Alliés des plans de la résistance allemande. Il est arrêté en avril 1943 pour son implication dans la conspiration qui tenta d’assassiner Hitler le 20 juillet 1944. De 1938 à 1945, 2720 prêtres, pasteurs, moines et séminaristes ont été internés au camp de concentration de Dachau. La majorité de ces religieux sont catholiques.


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En 1937, le régime nazi interdit aux Allemands de participer à la nouvelle rencontre œcuménique de « Life and Work » à Oxford. Le président de la Fédération protestante de France, le pasteur Marc Boegner, y déclare que le plus grand service que l’Église puisse rendre à la nation n’est pas de la suivre aveuglément, mais de « tester rigoureusement toutes les revendications de l’intérêt national par son Évangile ».


Un nouveau comité prépare pour 1941 la fondation d’un « Conseil œcuménique des Églises », qui jouera plus tard un rôle crucial. Mais la guerre éclate, mettant un nouveau coup d’arrêt à la longue marche vers l’œcuménisme. Ce Conseil ne verra le jour qu’en 1948.



*Article à paraître dans le n°85 de notre magazine Iqra.



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