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Le Coran m’a appris (n°8) - À sanctifier le temps


Le Coran m’a appris que le sang versé appelle au silence, pas à l’oubli

Le sang versé appelle au silence,

Non pas au silence du déni,

Mais au silence sacré de celui qui réfléchit.

Le Coran m’a appris à sanctifier le temps,

Non pour fuir le monde,

Mais pour guérir ses plaies lentement.

 

Chaque année, le mois de Muharram revient. Il revient sans feux d’artifice, sans cotillons ni vœux échangés. Il revient en silence, comme un appel discret à revenir à soi. Et pourtant, son poids est lourd : il porte la mémoire des peuples, la sacralité des temps, le deuil d’un martyr et l’ordre d’une trêve.

 

Le Coran m’a appris… à respecter les temps fixés par Dieu

 

Dès les premières sourates, le Coran vient poser un cadre : tout est mesuré. Le temps ne nous appartient pas. Il est prêté. C’est Dieu qui répartit les jours, qui consacre les mois, qui choisit les instants où la guerre est interdite et ceux où elle devient un devoir.

 

« Le nombre de mois, auprès de Dieu, est de douze mois, inscrits dans le Livre de Dieu, depuis le jour où Il a créé les cieux et la terre. Quatre d’entre eux sont sacrés. » (Sourate 9, At-Tawba, verset 36)

 

Ces quatre mois sacrés :  Muharram, Rajab, Dhu al-Qaʿda et Dhu al-Hijja, sont comme des havres de paix dans le tumulte de l’année. Dans l’Arabie préislamique, même les tribus ennemies y suspendaient leurs conflits. C’était une trêve que même les ignorants respectaient, que les polythéistes redoutaient. Et pourtant, aujourd’hui, cette sacralité est piétinée. Bombes en plein Muharram. Assauts durant Dhu al-Hijja. Mains levées contre le frère en plein mois sacré.

 

« Ne vous battez pas pendant ces mois sacrés, à moins qu’on ne vous attaque. » (Paraphrase de Sourate 2, verset 217)

 

Le Coran m’a appris que certains moments doivent être inviolables, et que le respect du temps sacré est un acte de foi. Mais moi, combien de fois ai-je brisé mes propres trêves ? Combien de fois ai-je hurlé sur mon enfant pendant Muharram ? Combien de conflits familiaux entretenus, de jugements hâtifs émis, de colères nourries, alors même que Dieu m’offrait une pause spirituelle ?

 

Le Coran m’a appris… à pleurer dignement nos martyrs

 

À Karbala, au 10e jour de Muharram, le sang du petit-fils du Prophète fut versé. L’Imâm al-Husayn, fils de Ali et de Fatima, se dressa contre une injustice institutionnalisée. Il savait qu’il serait tué. Mais il voulait que son sang serve d’encre à une Histoire que le sabre ne dicte pas.

 

Le Coran ne parle pas directement de Karbala, mais il en parle dans l’esprit. Il parle de Caïn et Abel. Il parle du sang innocent. Il parle du crime et du deuil. « Quiconque tue une âme innocente, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. » (Sourate 5, Al- Maïda, verset 32)


Et que dit le Prophète (paix sur lui) de son petit-fils ? « Al-Hasan et al-Husayn sont les seigneurs des jeunes du Paradis. » (Ahmad, al-Tirmidhi)

 

Le Coran m’a appris que le sang versé ne doit pas être oublié, mais ne doit pas non plus engendrer plus de sang. Il doit inspirer la justice, nourrir la patience, fonder l’éducation des cœurs. Le sang d’al-Husayn n’est pas une vengeance ; c’est une leçon.

 

Dans nos quartiers, dans nos banlieues, dans nos vies, combien de jeunes tombent chaque année ? Un coup de couteau pour un regard. Une balle pour une jalousie. Un cœur arrêté pour une embrouille. Et nous, que faisons-nous ? Postons des stories. Allumons des bougies. Puis oublions. Le Coran, lui, m’apprend que la mémoire est un devoir sacré, mais qu’elle doit produire du changement, pas du ressentiment.

 

Le Coran m’a appris… à reconnaître les temps du pardon

 

Dans Muharram, il y a aussi Achoura. Le jour où Moïse fut sauvé des eaux, où Pharaon fut englouti, où l’opprimé triompha du tyran. Le Prophète (paix sur lui) jeûnait ce jour-là, et dit : « Ce jour, Dieu sauva Moïse et son peuple et noya Pharaon et son armée. » (Muslim)

 

Il dit aussi que jeûner ce jour expie les péchés de l’année précédente (Muslim). Alors je jeûne, Et je pense à Moïse, à la mer, au passage, à la traversée du chaos, à l’arme du silence et je me demande : Et si chaque Achoura devenait une halte d’introspection ? Une traversée personnelle. Un pont entre mes blessures et ma paix.

 

Le Coran m’a appris que même dans la fuite, il y a une guidance. Que même dans le désert, Dieu trace des chemins invisibles. Qu’aucun ennemi n’est trop fort quand la mer s’ouvre devant le fidèle. Et que la fidélité, parfois, c’est juste de rester digne, même dans la peur.

 

Le Coran m’a appris… à vivre en paix dans une société laïque

 

En France, nous sommes musulmans et citoyens. Nous vivons dans une République laïque. Mais la laïcité ne signifie pas l’oubli de nos valeurs. Elle signifie le respect mutuel. Dans ce pays, je ne peux pas imposer Muharram comme fête nationale. Mais je peux vivre Muharram comme un mois de paix intérieure, de pardon, de réconciliation familiale, de jeûne discret, de mémoire apaisée.

 

Et si nous instaurions un « octobre de la paix » dans nos associations ? Une trêve entre responsables. Un arrêt de la médisance. Une suspension des conflits conjugaux. Une pause dans les groupes WhatsApp pleins d’hostilité. Un mois pour pratiquer le silence sacré.

 

Le Coran m’a appris que ce n’est pas le pouvoir qui sanctifie un mois, c’est l’intention, c’est l’usage qu’on en fait.

 

Même si les gouvernements violent les trêves, moi je peux choisir de ne pas me battre.

 

Même si les États oublient la paix, moi je peux créer des oasis dans ma vie.

 

Même si le monde crie, moi je peux me taire pour écouter.

 

Le Coran m’a appris… à résister à l’hypocrisie des puissants

 

Dieu a interdit le combat dans les mois sacrés, mais autorisé la légitime défense. L’Islam n’est pas une religion naïve. Elle distingue entre violence gratuite et résistance juste. À Ghaza, en Syrie, au Yémen, en Birmanie, le sang coule, les enfants meurent, les maisons s’écroulent, et le monde regarde.

 

Mais le Coran m’a appris que Dieu voit. Et qu’il compte chaque goutte de sang versé injustement. « Et ne pense pas que Dieu ignore ce que font les injustes. Il ne fait que les différer à un jour où les regards se figeront. » (Sourate 14, Ibrahim, verset 42)

 

Je ne suis pas président, je ne suis pas juge, mais je suis témoin. Et le Coran m’a appris que le silence face à l’injustice est une complicité, alors je parle, j’écris, je prie, je vote, je témoigne.

Le Coran m’a appris… à créer un Muharram intérieur

 

Un jour, j’ai lu la phrase d’un sage : « Tant que tu n’as pas fait la paix avec toi-même, chaque trêve extérieure sera une hypocrisie. »

 

Le Coran m’a appris que les mois sacrés sont aussi des miroirs, et que parfois, le champ de bataille, c’est mon cœur, mon égo, mes addictions, mes rancunes, mes colères.

 

Je veux sanctifier Muharram. Alors je commence par me pardonner, puis pardonner aux autres, puis demander pardon à Dieu.

 

Je coupe mon téléphone pendant une heure, j’arrête de juger, je supprime ce commentaire haineux, j’appelle ma mère, je console mon frère, j’aide un inconnu.

 

Le Coran m’a appris que la paix se construit, jour après jour, et qu’un seul mois peut changer une année, transformer une âme, réorienter une vie.

 

Le Coran m’a appris que le silence peut être prière,

Que le sang versé peut être lumière,

Que les mois sacrés ne sont pas du folklore,

Mais des appels d’or,

Pour qui sait voir avec le cœur.

Et si cette année,

Muharram n’était pas un mois oublié,

Mais un mois retrouvé ?

Et si je faisais de chaque jour sacré

Une page de paix à recopier ?

Et si le Coran m’apprenait encore

À me taire pour mieux écouter la clameur des justes morts ?



*Article paru dans le n°70 de notre magazine Iqra.




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