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Résonances abrahamiques (n°7) - Les chrétiens et l’écologie : une conversion tardive

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Par Raphaël Georgy

Longtemps les chrétiens qui ont appelé à protéger la Création se réduisaient à quelques voix criant souvent dans le désert. Depuis cinquante ans, ils sont de plus en plus nombreux à repenser cette question à nouveaux frais, jusqu’au pape François dans son encyclique majeure Laudato Si’ publiée en 2015.


Dès les premières pages de la Bible, le lecteur est confronté à une énigme : le livre de la Genèse ne propose pas un seul récit de la création du monde, mais deux. Deux récits à la fois différents et complémentaires. Dans le premier, Dieu crée le monde en six jours avant de se reposer le septième. Ce récit insiste sur l’ordre et la majesté de la création, un monde fait pour louer Dieu, qui ordonne aux humains : « Soumettez la terre et dominez-la ». Le second récit est à la fois plus poétique et détaillé. Il décrit la relation entre l’homme, la femme, la nature et Dieu, qui place l’homme dans le jardin d’Éden « pour le cultiver et le garder » (‘abad et shamar en hébreu). Hélas, selon l’historien américain Lynn White, c’est longtemps le premier récit qui prévalut en chrétienté. Son article publié en 1967 est reçu par les exégètes chrétiens comme une critique injuste contre le christianisme. Il aura au moins le mérite d’ouvrir un débat salutaire. Pour l’historien, le christianisme est le système de pensée le plus centré sur l’homme, reléguant la création à un simple décor, une ressource à sa disposition. De plus, en luttant contre le paganisme et l’idolâtrie de la nature, le christianisme aurait contribué à la désenchanter, voire la désacraliser, la rendant accessible à l’exploitation humaine.


Quoi qu’il en soit, les voix chrétiennes qui ont soutenu l’écologie avant que le sujet ne prenne une brûlante actualité dans les années 1970 sont peu nombreuses, quand elles n’ont pas été marginalisées. C’est le cas de François d’Assise (1181-1226), mystique catholique italien connu pour son engagement envers les pauvres, son culte de l’humilité, de la simplicité et surtout son célèbre « Cantique des créatures ». Réputé pour prêcher aux oiseaux, il loue Dieu en ces termes : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre, qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits, avec les fleurs diaprées et les herbes. » Dans ce texte qui fera date, saint François souligne que l’humain ne gère pas la création, mais il en fait partie intégrante.


On redécouvrira également la religieuse Hildegarde de Bingen, qui vécut au XIIe siècle dans l’Allemagne actuelle : son concept de « viriditas » souligne la « force de verdissement » comme une force de vie divine, la « sève » de l’Esprit de Dieu faisant croître toute la création. Mais c’est seulement dans la deuxième moitié du XXe siècle que ces figures d’exception seront rejointes par des théologiens de plus en plus nombreux et situés de plus en plus haut dans la hiérarchie. La pensée écologique va bientôt sortir de la marginalité.


En 1955, le jésuite et paléontologue Pierre Teilhard de Chardin publie Le Phénomène humain, dans lequel il avance que la Création n’est pas un événement statique du passé, mais une « cosmogenèse », c’est-à-dire un univers en évolution constante, où Dieu est perpétuellement à l’œuvre. En 1979, Albert Schweitzer, pasteur protestant, médecin et prix Nobel de la Paix, publie Le Respect de la vie. Il y développe une éthique radicale avant même la crise écologique. Pour lui, l’être humain est « vie qui veut vivre, au milieu de vies qui veulent vivre ».


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« Sur l'essentiel de la responsabilité envers la création qui nous est confiée, les branches orthodoxe, protestante et catholique se rejoignent largement, analyse le théologien écologique Martin Kopp, président de la commission ‘Écologie et justice climatique’ de la Fédération protestante de France. Il y a cependant des accents ou des chantiers particuliers. Le lien profond entre pauvreté et écologie est un axe clé dans l'approche catholique ; la pensée protestante a problématisé plus avant l'intersection entre patriarcat et écologie ou le racisme environnemental ; l'approche orthodoxe fera plus de place à une dimension liturgique et poétique. »


En 1997, c’est le patriarche Bartholomée Iᵉʳ, à la tête des Églises chrétiennes de l’orthodoxie orientale, qui prend la parole pour affirmer que commettre un crime contre la nature est un péché contre Dieu, ce qui nécessite repentance et confession. Le pape François reprendra cette réflexion à son compte dans son encyclique majeure « Laudato Si’ » à laquelle il donne pour sous-titre « Sur la sauvegarde de la maison commune ». Publiée en 2015, elle s’ouvre par les mots du Cantique des créatures de saint François, dont le pape va jusqu’à adopter le nom pour s’inscrire dans ses pas. Ce document officiel donne une cohérence et une visibilité inédite aux réflexions nouvelles dans le christianisme. Dans ce texte, le pape s’adresse « à chaque personne qui habite cette planète ». Sa principale contribution est d’articuler l’écologie dans ses multiples dimensions : environnementale, économique, sociale, culturelle, jusqu’au respect de la vie, dans une synthèse qui recevra un accueil favorable au-delà des cercles chrétiens. « Toutes les pensées écologiques chrétiennes circulent, s'interpellent et s'enrichissent, estime Martin Kopp. Nous n’avons pas fini de développer les théologies vertes ! »



*Article paru dans le n°86 de notre magazine Iqra.



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