Le gouvernement français a récemment annoncé le lancement d'une "mission" portant sur "l'islam politique et la mouvance des Frères musulmans" en France. L’objectif affiché est de lutter contre le séparatisme religieux. Celle-ci est confiée à deux hauts fonctionnaires : François Gouyette, ancien ambassadeur, et Pascal Courtade, préfet des Yvelines, qui vont donc devoir évaluer la mouvance en France "et ses liens avec les autres branches européennes".
Tout d’abord, il est important d’affirmer haut et fort que l’intitulé donné à cette mission est totalement erroné. Il y a l'islam et l'islamisme, et rien d’autre pour faire la distinction entre la religion et son dévoiement politique. Ensuite, cette décision, loin d'apporter des clarifications, suscite un flot d'interrogations légitimes quant aux réelles motivations et à la cohérence des actions entreprises par les autorités.
Il est crucial de rappeler que c'est en grande partie grâce aux pouvoirs publics français que l'islam politique a pu prospérer dans le pays. Depuis les années 1980 et 1990, alors que ce courant idéologique prenait de l'ampleur, les autorités ont souvent fait preuve d'une complaisance à l'égard des organisations islamistes qui sévissaient en France. Cette proximité avec un courant politique conservateur a ainsi éclipsé les efforts des voix modérées et réformatrices au sein de la communauté musulmane, qui prônent un islam authentique, compatible avec les valeurs de la République, et favorisent le dialogue interreligieux.
En outre, il est nécessaire de souligner la compromission de l'État avec ces organisations islamistes dans les cités françaises. Au fil des années, certains représentants des pouvoirs publics ont souvent cherché à établir des liens avec des acteurs influents au sein des quartiers, y compris des figures associées à des mouvements islamistes. Cette stratégie, parfois motivée par des considérations politiques ou sécuritaires, a eu pour conséquence de légitimer et de renforcer la présence de ces organisations au sein des communautés locales. En échange d'un soutien supposé pour maintenir un semblant de paix sociale, l'État a souvent fermé les yeux sur les activités et les discours radicaux promus par ces groupes au sein des quartiers sensibles. Cette complicité tacite a alimenté un cycle de radicalisation et de division au sein de ces communautés, compromettant ainsi les efforts visant à promouvoir l'intégration et le vivre-ensemble.
Cette préférence accordée aux organisations islamistes a contribué à marginaliser les voix musulmanes progressistes et modérées, qui œuvrent pour le vrai islam, le juste fondé sur la tolérance, le respect et la coexistence pacifique. En mettant en avant une seule et unique vision de l'islam, les autorités ont souvent fermé la porte à la diversité et à la richesse des interprétations de cette religion. Certes, les solutions prônées par le courant juste de l'islam étaient moins immédiates et ne palliaient pas tout de suite aux urgences, mais avaient l’avantage de remédier au mal par ses racines.
Il a fallu attendre les années 2010 et la montée des menaces terroristes pour que le discours officiel évolue vers une posture plus ferme, illustrée par la loi de 2021 "confortant le respect des principes républicains", qui vise à réaffirmer les valeurs laïques face aux dérives communautaires.
Quant à la "mission" récemment annoncée, elle suscite des préoccupations légitimes quant à ses réelles intentions et aux risques qu'elle pourrait engendrer.
1- En ciblant spécifiquement la "mouvance des Frères musulmans", cette mission pourrait alimenter une confusion entre islam politique et islam en général, contribuant à stigmatiser l'ensemble des musulmans de France. L'État doit faire preuve de discernement et éviter toute généralisation abusive, compte tenu de l'autorité dont il jouit.
2- En remettant en cause l'autonomie des organisations musulmanes, y compris celles prônant un islam compatible avec la laïcité, cette mission risque d'entraver la liberté de culte et le droit des musulmans à s'organiser librement, au même titre que les autres religions.
3- Risque de répression des voix dissidentes : Sous couvert de lutter contre le séparatisme, cette mission pourrait servir à réprimer toute voix dissidente ou critique au sein de la communauté musulmane, y compris des organisations laïques défendant les principes républicains.
4-Risque d'instrumentalisation politique : Enfin, en l'absence de réelle transparence et d'un cadre pluraliste, cette mission pourrait être instrumentalisée à des fins politiques et électoralistes, attisant les tensions au lieu d'apaiser les débats autour de la place de l'islam en France.
De plus, cette initiative pourrait être perçue comme une atteinte aux libertés fondamentales, notamment la liberté de culte et d'expression, si elle conduit à des mesures répressives et liberticides. Enfin, l'instrumentalisation politique de cette "mission" ne peut être écartée, alors que les échéances électorales approchent, alimentant ainsi les suspicions quant aux véritables motivations des autorités.
Mais au-delà de ces risques et appréhensions légitimes, et compte tenu des diverses discussions autour de l'hypothétique "entrisme islamiste" dans notre société, cette "mission" sur l'islam politique et la mouvance des Frères musulmans ne fait que renforcer les interrogations sur la cohérence et la sincérité de la politique gouvernementale en la matière. Face à un phénomène aussi complexe et multifactoriel, il est impératif d'adopter une approche nuancée, respectueuse des principes républicains, et de veiller à éviter toute forme de stigmatisation ou de restriction des libertés individuelles.
*Article paru dans le n°19 de notre magazine Iqra
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