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Notre mosquée (n°16) - La Grande Mosquée de Paris, fruit du sacrifice des soldats musulmans (1914-1918)



Érigée en hommage aux milliers de soldats musulmans tombés sur les champs de bataille pour la France, la Grande Mosquée de Paris symbolise la reconnaissance d’une nation envers ceux qui, par leur sacrifice, ont gravé leur loyauté dans les pages de l’Histoire. Ces hommes, venus de contrées lointaines, ont combattu avec courage pour une terre qui n’était pas la leur, mais dont ils ont défendu les valeurs avec foi et honneur. Ce monument, plus qu’un lieu de culte, se dresse aujourd’hui comme un symbole de mémoire et de gratitude, un rappel tangible à travers lequel, et grâce à leur sang versé, les musulmans de France ont trouvé un foyer spirituel qui les rassemble et les honore.


Contexte historique


La veille de la Première Guerre mondiale, est marqué par une situation économique et sociale fragile. La loi de 1905 ordonnant la séparation des Églises et de l’État, portée par Aristide Briand et soutenue par Jean Jaurès, inaugure une nouvelle ère pour la République. Elle consacre la laïcité comme principe fondamental de l’État, dans un climat de vifs débats où l’Église catholique, alors dominante, s’oppose farouchement à l’idée de séparation. La République, dans sa volonté de limiter l’influence religieuse, cherche un équilibre entre la liberté de culte et la neutralité de l’État. Ce changement législatif coïncide avec une situation économique précaire. La France, bien que bénéficiant d’une réputation de puissance industrielle, lutte face à la concurrence allemande et à une économie en redressement. L’industrie, notamment, souffre d’un retard technologique par rapport à l’Allemagne, qui rafle les contrats d’exportation. À l’intérieur, les tensions sociales sont palpables, avec des grèves qui freinent la production et un malaise profond au sein des classes populaires.


Dans ce contexte tendu, la France, ayant besoin d'une main-d'œuvre abondante pour soutenir son industrie et son agriculture, se tourne vers ses colonies, notamment l'Algérie. Bien que les Algériens soient alors peu nombreux, ils commencent à s'implanter dans les villes et les campagnes du sud du pays, en particulier à Marseille, les travailleurs algériens occupent souvent des emplois peu qualifiés. Leur rôle devient crucial pendant la guerre, lorsque des milliers d'Algériens sont mobilisés, tant en tant qu'ouvriers que soldats. Cette main-d'œuvre, perçue comme bon marché et docile, est fortement recherchée par le patronat, qui y voit un moyen de pallier les grèves ouvrières. Ainsi, la mobilisation des ressources humaines coloniales s'avère essentielle, non seulement pour soutenir l'effort de guerre, mais aussi pour maintenir l'économie française en activité.


Le contexte de guerre, renforcé par la dépendance croissante à la main-d'œuvre coloniale et la reconnaissance progressive des sacrifices des musulmans, un conduit à une prise de conscience collective. Cette prise de conscience s'est d'abord traduite par la création de carrés militaires dédiés à honorer les soldats musulmans tombés au combat, en accord avec les rites du culte musulman. Par la suite, la construction de lieux de culte a permis de rendre hommage à ces contributions, marquant ainsi un geste symbolique de reconnaissance tardive des efforts consentis par ces populations, souvent reléguées dans l'ombre.


La France et les musulmans : une histoire marquée par un impact positif incontestable


-Pendant la guerre


Les premiers signes de reconnaissance à l'égard des troupes musulmanes se manifestent pendant la Première Guerre mondiale, où ces soldats, identifiables par le croissant brodé sur leurs uniformes et casques, comprenaient des tirailleurs, des spahis et des méharistes. À l'aube de la guerre, on comptait sept régiments de tirailleurs algériens, deux régiments tunisiens, plusieurs compagnies de méharistes, ainsi que des unités auxiliaires marocaines. En raison de leur statut, les soldats algériens bénéficiaient d'une solde supérieure à celle de leurs homologues métropolitains. Pour honorer leur sacrifice, des tombes provisoires, marquées de stèles musulmanes, étaient établies sur le front. Après la guerre, leurs sépultures étaient regroupées dans des carrés militaires dédiés, comme celui de Douaumont, où près de 600 stèles orientées vers la Mecque perpétuent leur mémoire.


En 1914, un hôpital destiné à leurs soins était établi dans le jardin colonial de Nogent-sur-Marne, en bordure du bois de Vincennes. En 1916, une mosquée en bois y était ajoutée, comprenant un minaret, un dôme, une salle de prière orientée vers La Mecque, une salle mortuaire et un espace pour les ablutions. L'édifice fut probablement inauguré par le ministre des Colonies de l'époque, Gaston Doumergue (Nom à retenir). Les imams militaires, à qui la mosquée était confiée, prononcèrent ces paroles : « Nous sommes les enfants de la France. Nous sommes venus volontairement de notre pays pour aider jusqu'à notre dernier souffle notre noble mère la France, qui est la représentante du droit et qui marche sur la voie droite » (source : Le Monde, juin 2021). Cette mosquée, décorée de tapis orientaux offerts par les Grands Magasins du Louvre, resta en activité jusqu'en 1919, symbolisant l'intégration des soldats musulmans dans l'effort de guerre français.


Consciente de l'importance de ces combattants, l'administration française prit des mesures spécifiques pour leur permettre de pratiquer leur religion pendant le ramadan. Dès 1915, les soldats musulmans furent autorisés à rompre leur jeûne après le coucher du soleil et à organiser leurs repas nocturnes, bien que l'appel à la prière ne fût pas autorisé. Cette tolérance visait à préserver la loyauté de ces soldats et à contrer la propagande de l'Empire Ottoman et de l'Allemagne, qui cherchaient à les rallier à leur cause. Selon l'historien Richard S. Fogarty, ces aménagements étaient motivés par des considérations pragmatiques et politiques, visant à prévenir les troubles coloniaux et à renforcer la cohésion au sein de l'armée française.



-Après la guerre


Dans le but d'honorer la mémoire et le sacrifice des milliers de musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale, et à la suite d'un rapport rédigé par Édouard Herriot, député-maire de Lyon, l'État décide, par une loi du 19 août 1920, d'attribuer la somme de 500 000 francs à la Société des Habous et Lieux Saints de l'Islam.


Pour contourner un obstacle juridique lié à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État, une institution basée en Algérie française, la Société des Habous et des Lieux Saints de l'Islam, est créée le 16 août 1917 à Alger devant le cadi de la première circonscription. Cette société, régie par le droit musulman, représente les intérêts du sultan du Maroc, du bey de Tunis et du mufti d'Alger. Elle a pour objectif principal d'organiser le pèlerinage annuel à La Mecque depuis l'Afrique du Nord française, en assurant la gestion des pèlerins et en leur garantissant des conditions de sécurité et d'hygiène conformes aux réglementations en vigueur.


Un décret du 27 septembre 1907 permettait au gouverneur général de l'Algérie de déroger à la loi de 1905 et de subventionner le clergé au titre d'un « intérêt public et national ». Le 19 août 1921, la responsabilité de la construction et de l'administration de la mosquée fut donc confiée à la Société des Habous. Pour permettre cette subvention, un nouvel acte du cadi modifiant les statuts de la société, qui est devenue une association régie par la loi de 1901. Son objectif fut alors élargi pour inclure la construction d'une mosquée et d'un Institut musulman à Paris.


Pour concrétiser ce projet, la Ville de Paris a mis à disposition une parcelle de 7 500 m² située dans le 5e arrondissement. Ce terrain, qui occupait l'emplacement de l'ancien Hôpital de la Pitié récemment démoli, devient ainsi le site de la Grande Mosquée de Paris. Les travaux débutent respectivement le 1er mars 1922, lors de la cérémonie d'orientation vers la Mecque, destinée à fixer la direction de la kibla. La première pierre est posée peu après, le 19 mars, par le maréchal Lyautey, qui prononce les mots suivants.


« Quand s’érigera le minaret que vous allez construire,

il ne montera vers le beau ciel de l’Ile de France,

qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame

ne seront point jalouses. La France entend ne rien railler,

ne rien troubler, ne rien effacer dans l’âme humaine

de ce qui a pu contribuer à la réconforter, à l’élever, à l’ennoblir. »


EXTRAIT DU DISCOURS DU MARÉCHAL HUBERT LYAUTEY

LORS DE LA POSE DE LA PREMIÈRE PIERRE


Avant l'inauguration de la Grande Mosquée de Paris en 1926, environ 50 000 immigrés maghrébins résidaient en France. Après quatre années de travaux, l'institut est vraisemblablement inauguré le 15 juillet 1926 en présence du président français Gaston Doumergue, qui avait précédemment inauguré la mosquée en bois de Vincennes en 1916.


Les plans de la mosquée, initialement conçus par Tranchant de Lunel, ont été développés et supervisés par les architectes de la société des Habous, Robert Fournez et Maurice Mantout, sous la direction de Charles Heubez, architecte de la Ville de Paris. Ce projet ambitieux a nécessité la participation de quatre cent cinquante artisans et ouvriers.


À LA MOSQUÉE DE PARIS, L'UNE DES DEUX PLAQUES COMMÉMORANT LES RÉGIMENTS POUR LESQUELS LES SOLDATS MUSULMANS SE SONT ENGAGES (1914-1918 ET 1939-1945)


Les acteurs civils ayant contribués à la construction de la Grande Mosquée de Paris


Le projet a été porté avec détermination par Si Kaddour Ben Ghabrit (1868-1954), personnalité algérienne de premier plan et diplomate influent. Acteur clé de cette initiative, il a œuvré sous la supervision d’Hubert Lyautey (1854-1934), résident général du protectorat au Maroc, et a bénéficié du soutien du Quai d’Orsay pour mener à bien ce projet.


Paul Bourdarie (1864-1950), journaliste et ardent défenseur de l'islam, estime que la France devait « un acte d'équité politique et un geste de sympathie ou de bienveillance » envers ses fils musulmans. Il s'engagea activement à rapprocher la culture française de celle de l'islam. Le 20 septembre 2023, une plaque en son hommage fut inaugurée en présence des membres de l'Académie des sciences d'Outremer. Bourdarie, premier Secrétaire perpétuel de l'Académie, fut également un soutien indéfectible au projet de construction de la Grande Mosquée de Paris.


Paul Bourdarie (1864-1950), journaliste et ardent défenseur de l'islam, estime que la France devait « un acte d'équité politique et un geste de sympathie ou de bienveillance » envers ses fils musulmans. Il s'engagea activement à rapprocher la culture française de celle de l'islam. Le 20 septembre 2023, une plaque en son hommage fut inaugurée en présence des membres de l'Académie des sciences d'Outremer. Bourdarie, premier Secrétaire perpétuel de l'Académie, fut également un soutien indéfectible au projet de construction de la Grande Mosquée de Paris.


Dinet s’investit également dans la construction de Grande Mosquée de Paris, avec le soutien de ses amis français. Il a fait partie du comité chargé de la construction de ce monument religieux, inauguré en 1926.


EN 2022, LE PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON INAUGURANT L'EXPOSITION DU CENTENAIRE DE LA POSE DE LA PREMIÈRE PIERRE DE LA GRANDE MOSQUÉE DE PARIS


La Grande Mosquée de Paris au service de la cohésion nationale


Aujourd'hui, la Grande Mosquée de Paris occupe une place symbolique essentielle pour la visibilité de l'islam et des musulmans en France, considérée comme l'épicentre de la communauté musulmane du pays.


Lors de la cérémonie du centenaire, célébrée le 19 octobre 2022, le président de la République, Emmanuel Macron, souligna son rôle en déclaré: « La Grande Mosquée de Paris incarne non seulement un Islam en France, fidèle aux valeurs de la République, mais aussi un Islam avec la France qui les soutient, et même un Islam de France qui les fait grandir en son sein. Veillant tout particulièrement à la plus haute des valeurs que Victor Hugo appelait les trois marches du perron suprême : la Fraternité. »


Pour son 80e anniversaire, le président Jacques Chirac a déclaré : «Il est important aussi que l'islam de France puisse former sur notre sol ses cadres religieux et qu'il puisse disposer de lieux de culte et de sépultures à la fois dignes et conformes à ses préceptes. Notre Nation laïque permet et garantit l'exercice de toutes les solidarités, de toutes les libertés : la liberté de conscience, la liberté de pensée, la liberté religieuse. Voilà pourquoi je n'ai arrêté de lutter et je lutterai toujours contre les forces et les dérives qui conduisent à la dilution de notre cohésion nationale, cette cohésion qui exprime notre communauté de destin.»


La Grande Mosquée de Paris s'engage à promouvoir une vision de l'islam en parfaite harmonie avec les valeurs de la République, loin des stéréotypes et des amalgames qui nourrissent l'inquiétude et la méfiance. Face aux défis sociaux qui génèrent des tensions, l'institution islamique a pris l'initiative de réaffirmer une interprétation pacifique et inclusive de sa foi.


Elle œuvre également pour dissiper les malentendus susceptibles de surgir autour de la pratique religieuse et prévenir toute forme de stigmatisation, en particulier envers les musulmans de France. En ce sens, la Grande Mosquée de Paris se positionne comme un acteur essentiel dans la construction d'un islam respectueux des principes de liberté, de tolérance et de fraternité, loin de tout radicalisme.



*Article paru dans le n°39 de notre magazine Iqra.



 

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