
Dans les méandres de la civilisation arabo-islamique, l'art s'est épanoui sous des formes multiples et variées, allant bien au-delà des motifs géométriques et des arabesques. Architecture majestueuse, calligraphie raffinée, poésie mystique, musique envoûtante, ou encore artisanat d'une finesse inégalée. Toutes ces expressions artistiques témoignent d'un dialogue constant entre le sacré et le profane, le local et l'universel. Héritière de multiples influences, et traduction d'une vision du monde unique, la création artistique arabo-islamique a traversé les siècles, influençant de nombreuses autres cultures tout en conservant une identité propre.
Il est important de préciser que, dans cet article, l'Islam est abordé comme une civilisation, et non seulement comme une religion. Il n'y a toutefois aucune contradiction entre civilisation et religion, puisque la civilisation est une composante intrinsèque de l'essence même de la religion
Les expressions arts de l'Islam ou art islamique désignent la production artistique qui s'est développée depuis l'Hégire (622) jusqu'au XIXe siècle, dans un territoire s'étendant de la péninsule arabique et le Moyen-Orient jusqu’à l’Espagne arrivant à l'Inde et habité par des populations de culture islamique. Ce numéro se concentre sur l'aspect philosophique et historique de l'art islamique. Dans les prochaines éditions, nous aborderons les différents types d'art (musique, poésie, architecture, peinture...).
Les multiples facettes de l’art arabo-islamique
Les arts islamiques s'épanouissent en des expressions multiples, chacune portant en elle une dimension sacrée et symbolique. En islam, l'art explore des thèmes, abordant le ciel, la terre et l'être humain comme des signes de la Présence divine. La création, perçue comme un ordre parfait reflète, selon le Coran, la Perfection divine elle-même. Les hadîths, ou traditions prophétiques, renforcent cette vision, en concevant la beauté comme une manifestation théologique, mystique, et philosophique de la foi islamique. L’Unité divine devient ainsi la clé de voûte de toute réflexion esthétique, rappelant que l’univers, dans sa diversité, reste unifié dans son essence et dans son Créateur.
Au cœur de cette conception, l'art islamique s'inspire de la créativité divine, désignée dans certaines traditions comme la première création de Dieu, symbolisée par la lumière incarnée dans la figure du prophète Mohamed (paix et bénédictions sur lui). Les mystiques musulmans voient dans la Création un point originel, sans dimensions, représentant l'Un absolu, une vision qui transparaît dans des représentations comme les sept terres superposées en disques et les sept cieux comme des demi-cercles. La calligraphie coranique, la musique savante et la poésie sont d'autres facettes où la parole divine se fait art, chaque lettre et chaque note témoignant de la présence de Dieu dans chaque recoin de la création.
L’art islamique établit aussi un rapport spécifique entre l’homme et la nature, soulignant la dépendance de l’homme vis-à-vis de Dieu, tout en lui conférant un rôle de vicaire divin sur terre. Dans les arts figuratifs islamiques, les représentations humaines sont souvent limitées au domaine profane, en raison de la crainte d’idolâtrie et par respect envers le sacré. Toutefois, l'iconographie islamique se déploie à travers les motifs végétaux et animaliers dans les manuscrits, les tapis, la céramique et le décor architectural, symbolisant le Paradis et la grâce divine.
L’architecture islamique, avec sa perception sacrée de l’espace, s’oriente vers la Qibla, la direction de La Mecque, tandis que le décor géométrique et végétal incarne l’harmonie et l’équilibre du cosmos. Le symbolisme esthétique en islam est profond : les couleurs, les motifs, et les ornements ne sont pas de simples embellissements, mais bien un langage spirituel où chaque élément est porteur de significations universelles. Dans ce monde où tout a été créé par le Souffle divin, l’univers est en perpétuel mouvement, un voyage inéluctable vers son origine, vers Dieu.
Ces diverses facettes montrent combien l’art arabo-islamique est porteur d’une vision intégrale, où le beau est le reflet du divin, où chaque création est un signe et où l’humain, en quête de son Créateur, laisse une empreinte durable de sa foi et de son amour pour l’Unique. (Source : L'univers symbolique des arts islamiques de Patrick Ringgenberg)
L'art, la foi et la société : Enjeux esthétiques et moraux dans la pensée islamique
Dans la civilisation islamique, l’art est perçu comme un moyen fort de préserver et de transmettre les valeurs religieuses et culturelles au sein de la société. Au-delà de sa dimension esthétique, il porte un message éthique et spirituel qui vise à protéger l'identité collective et à renforcer la foi. Pour les penseurs musulmans, l’art devrait être encadré pour éviter toute dérive qui pourrait nuire à la morale et à l'intégrité de la société. Ainsi, la régulation artistique devient un impératif pour prémunir la communauté des influences perturbatrices et des idées étrangères.
Ce débat sur l’art, oscillant entre une création libre et un engagement moral, trouve également un écho historique. D’un côté, certains estiment que l’art doit être indépendant, permettant l’expression de l’individu sans contrainte. De l'autre coté, d’autres défendent un art qui élève l’esprit et reflète les idéaux de vertu. Dans cette vision, la beauté elle-même est liée à la quête de perfection morale et l’art doit jouer un rôle constructif pour l’individu et pour la société.
L’histoire montre que l’art a souvent servi les intérêts du pouvoir politique, de l’Égypte pharaonique aux premiers temps de l’islam, où il était utilisé pour légitimer les autorités et influencer l’opinion publique. Cette alliance entre l’art et le pouvoir révèle le potentiel de l’expression artistique à modeler l’imaginaire collectif et à renforcer la cohésion sociale, tout en posant des questions sur la place de l’art dans la quête d’une société juste et vertueuse.
L'évolution de l'art islamique à travers les âges
Au fil du temps, l’art islamique a produit de grandes œuvres qui sont immortalisées par des témoignages artistiques islamiques anciens. Il a représenté une civilisation indépendante en elle-même, qui a interagi avec d’autres civilisations.
L’art est apparu à l’époque islamique dès le premier siècle de l’Hégire, puis il s’est développé progressivement jusqu’à atteindre son apogée. Il portait le caractère des pays où il s’est installé, formant ainsi une civilisation ancienne et un patrimoine culturel depuis plus de 14 siècles. Par conséquent, il est difficile de définir l’art islamique dans un cadre unique, car il a traversé de nombreuses époques et lieux historiques.
L’art islamique a évolué, influencé par les événements sociaux, économiques et culturelles. Nous allons, à travers ces lignes faire un passage en revue sur l’ensemble de son développement à travers les âges.

- Art Islamique à l’époque des califes bien guidés
À ses origines, l’art islamique ne portait pas encore de nom officiel et se manifestait de manière simple et naturelle, en particulier sous le règne des califes bien guidés. Durant cette période, l’attention était principalement portée sur l’expansion des conquêtes islamiques.
Les efforts étaient avant tout axés sur la consolidation de la communauté musulmane, non pas sur des expressions artistiques complexes. A l’éffet que les frontières de l’empire s’étendaient, l’art islamique a progressivement pris une importance majeure, incarnant à la fois la spiritualité et l’identité des nouvelles sociétés. Il commençait à se structurer plus nettement, notamment à travers la construction monumentale des mosquées, qui deviennent des symboles de cette expansion et à travers l’aménagement urbain qui transformait les villes conquises, reflétant ainsi l’émergence d’une culture esthétique islamique distincte.
- Art Islamique sous la Dynastie Omeyade
A cette époque, l'art a pris une ampleur significative sous la dynastie omeyade, marquée par une véritable effervescence créative et l’introduction de concepts novateurs. Cette période a vu l’émergence d’une architecture monumentale et sophistiquée qui traduisait non seulement la puissance politique, mais également la grandeur spirituelle de l'Islam en plein essor. Parmi les réalisations les plus emblématiques de cette époque figure la construction de la majestueuse mosquée du Dôme du Rocher à Jérusalem. Édifié sur l’un des sites les plus sacrés de l’Islam, ce chef-d'œuvre architectural se distingue non seulement par son dôme doré resplendissant, mais aussi par ses ornements délicats et ses mosaïques riches, qui témoignent de la maîtrise artistique de l’époque. Ce monument, véritable symbole de la foi et de l’art islamique ancien, incarne l’harmonie entre le sacré et l’esthétique, tout en affirmant l’identité islamique dans un paysage où cohabitaient diverses cultures.
- Art Islamique sous la Dynastie Abbaside
Sous les Abbassides, l’art islamique a franchi une nouvelle étape, notamment après le transfert du centre du califat en Irak. Ce déplacement a permis au monde islamique de s’enrichir des influences persanes, particulièrement visibles dans les techniques artistiques et les pratiques ornementales. L'art islamique a alors acquis une identité encore plus distincte, où le raffinement et la complexité des motifs persans se sont fondus dans l'expression artistique islamique. Cette évolution est visible dans l'urbanisme des villes, dont la forme circulaire innovante illustre l’ingéniosité des architectes abbassides, la mosquée occupant une place centrale, à la fois spirituelle et géographique. Par ailleurs, les meubles de l’époque se sont parés de gravures et de décorations minutieusement travaillées, reflétant le goût grandissant pour l’embellissement et le détail, symboles de la sophistication qui caractérisait cette période.
- Art Islamique sous les Ayoubides et les Mameliks
Le luxe a augmenté durant cette période, influençant l’usage de l’art islamique. Les gens rivalisaient dans la construction de somptueux palais et les meublaient avec du mobilier raffiné. Ils ont également érigé des mausolées, des écoles, des mosquées et des chefs-d'œuvre artistiques, intégrant des matériaux rares et beaux dans leur construction [4]. L’usage des formes géométriques tridimensionnelles, quadrilobées, pentagonales et autres s’est aussi généralisé, avec une utilisation fréquente du compas. Les motifs végétaux exquis, ainsi que l’excellence dans l’art de la calligraphie, se sont distingués durant cette période.
- Art Islamique du IXe au XVe siècle
L’art islamique s’est illustré par une architecture unique, notamment dans le Maghreb et en Espagne, inspirée des techniques romaines et gothiques. Les exemples les plus représentatifs de cette période incluent la construction de la grande mosquée de Cordoue, le palais de l'Alhambra et la ville de Madinat al-Zahra. Par ailleurs, on fabriquait des bijoux gravés et décorés ainsi que des étoffes en soie. Des universités importantes furent également fondées, enseignant des matières telles que la philosophie et d’autres sciences variées. Au Maghreb, l'architecture des mosquées est un témoignage éloquent de l’art islamique. Il y avait aussi une attention particulière à l’architecture en Syrie et en Égypte.
- Art Islamique du XVe au XIXe siècle
Cette période fut marquée par l’art de l’Empire ottoman. Parmi les manifestations les plus emblématiques de cet art figurent la construction du Taj Mahal, un chef-d'œuvre de cette époque, ainsi que la fabrication de pierres précieuses et le travail de sculpture sur ivoire, entre autres.
Enfin, l’art islamique ancien est l’un des arts les plus répandus et les plus durables comparé aux autres formes d’art, en raison de l'étendue géographique de l’empire islamique, qui s'étendait de l'Andalousie à l'ouest jusqu'à l'Inde à l'est, du Yémen au sud jusqu’au Caucase et de la Sicile au nord. Parmi les exemples illustrant l’art islamique en général, nous allons consacrer les prochaines éditions à des exemples clés sur l’art islamique.

*Article paru dans le n°34 de notre magazine Iqra.
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