Résonances abrahamiques (n°12) - Ces chrétiens qui prient en arabe
- Guillaume Sauloup
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Par Raphaël Georgy
Des débuts du christianisme au Levant jusqu’à Sarcelles aujourd’hui en passant par le Caire, les chrétiens arabophones témoignent de l’universalité de la langue arabe. Le frère Emmanuel Pisani, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales au Caire, nous livre son témoignage.
« Depuis quatre ans que je prie le bréviaire (livre de prières catholique) en arabe, tous les jours, je peux dire qu'il s'agit d'une expérience de renouvellement intérieur, explique Emmanuel Pisani, dont la communauté de frères dominicains prie en arabe trois fois par jour, suivant une tradition qui remonte aux premiers siècles du christianisme. Le passage par la traduction, quelle que soit la langue, permet toujours de réentendre les textes bibliques comme une parole vivante, en les soustrayant au risque d’une récitation routinière qui finit par oublier le sens. »
Dès les débuts du christianisme, avant l’arrivée de l’islam, des tribus arabes entières deviennent chrétiennes, souvent dans des formes orientales : monophysite, selon laquelle Jésus ne possède qu’une seule nature divine ayant absorbé la nature humaine ; ou nestorienne, qui affirme l’union en Jésus de deux personnes divines et humaines. Toujours est-il que l’épigraphie (l’étude des inscriptions matérielles) et la poésie attestent qu’ils utilisent déjà le mot « Allah » pour désigner le Créateur de l’univers.
Alors que les chrétiens ne sont pas encore entièrement séparés du judaïsme dans lequel ils sont nés, l’usage de l’arabe n’est pas une rupture pour eux. Au contraire. « Prier en arabe, tant qu'il s'agit d'une langue sémitique, ouvre la prière à une profondeur de résonances propres à chaque racine, créant des ponts, des relations entre les mots, des contacts sémantiques, suggérant des rapprochements qui dilatent l’intelligence du cœur et ne sont pas sans susciter parfois émerveillement. D'une certaine manière, prier en arabe permet de se rapprocher de l'expérience de la lecture du texte hébreu originel », explique le directeur de l’Institut dominicain d’études orientales au Caire.

L’expansion de l’islam, au VIIe siècle de l’ère chrétienne, voit des califes régner sur des populations majoritairement chrétiennes en Syrie, en Égypte et en Mésopotamie. C’est par nécessité administrative et sous l’attraction culturelle de la nouvelle puissance dominante qu’elles intègrent à leur tour l’arabe. Ces chrétiens expriment leurs joies et leurs espoirs quotidiens de la même façon que les musulmans, entre Inchallah, Alhamdulillah, Bismillah et Masha’allah. Moins de 250 ans après l’Hégire, les chrétiens de Syrie avaient déjà besoin d’une Bible en arabe : le Codex Arabicus 151, un manuscrit qui contient les Actes des apôtres (le récit des premières communautés chrétiennes) et les Lettres de Paul (qui les encourage) traduites en arabe par Bishr Ibn Al-Sirri, chrétien de Damas. Il n’est pas rare que ces bibles en arabe empruntent au vocabulaire islamique dans le texte lui-même, ou en appelant ses chapitres « Surah ».
L’Église melkite va jusqu’à adapter ses chants byzantins dans les modes musicaux arabes. Les maronites, au Liban, mêlent chants en syriaque, issu de l’araméen qui était la langue de Jésus, et mélodies arabes. Les chrétiens en Égypte abandonnent progressivement la langue copte, descendante de l’égyptien pharaonique, pour l’arabe entre le IXe et le XVIIe siècles.

Aujourd’hui, la France abrite la plus grande communauté de chrétiens d’Orient en Europe, entre 400 000 et 500 000 personnes. L’église Saint-Thomas Apôtre à Sarcelles (Val d’Oise), de tradition chaldéenne, est l’une des plus grandes églises orientales d’Europe. À Paris, les maronites célèbrent la messe en arabe et en français à l’église Notre-Dame du Liban.
« À l’Institut dominicain au Caire, le frère Serge de Beaurecueil a proposé jadis une traduction des psaumes à partir de l’arabe coranique. Cette traduction demeure pleinement fidèle au psautier mais elle est colorée par la langue du Coran, raconte le frère Emmanuel. Ainsi, vivant en Égypte où la récitation coranique accompagne le quotidien, cette prière est pour moi un lieu de proximité, une manière de me tenir auprès des musulmans devant Dieu ».

*Article à paraître dans le n°91 de notre magazine Iqra.
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