Résonances abrahamiques (n°11) - Le Pape François et l’accueil des migrants : une voix prophétique
- Guillaume Sauloup
- il y a 1 heure
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Par Raphaël Georgy
Lors de la crise des réfugiés en 2015, le Pape François a pris des positions remarquées en faveur de l’accueil des migrants. Mais que dit précisément la tradition chrétienne ? Et la Bible ?
Tout juste élu en 2013, le pape François effectue son premier déplacement hors de Rome sur l’île de Lampedusa, devenue le symbole des naufrages en Méditerranée. Sur un autel construit de barques, il dénonce dans son homélie la « mondialisation de l’indifférence » et cite la question adressée par Dieu à Caïn dans la Bible : « Où est ton frère ? ». Trois ans plus tard, lors de la crise des réfugiés syriens, il se rend sur l’île grecque de Lesbos avec le Patriarche Bartholomée, représentant le christianisme orthodoxe, et compare le camp de Moria à un « camp de concentration ». Au retour, il ramène dans son avion trois familles de réfugiés syriens musulmans et les installe au Vatican. « L’engagement du Pape François en faveur des migrants s’inscrit dans une certaine continuité avec ses prédécesseurs, mais il a donné un relief particulier dans des gestes et des discours », analyse le théologien jésuite François Euvé, interrogé par Iqra.
La Bible ne parle que de migrants. Dès le livre de la Genèse, Dieu dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai ». Il renonce à sa terre natale pour suivre la promesse divine. Le peuple hébreu, ensuite, de son esclavage en Égypte à sa libération, développe une sensibilité pour l’étranger : « Tu n’opprimeras pas l’immigré : vous savez bien ce qu’est sa vie, car vous avez été, vous aussi, des immigrés au pays d’Égypte » (Exode 23, 9). Les prêtres en font une éthique universelle : « L’étranger qui réside avec vous sera comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même » (Lévitique 19, 34).
Les premiers chrétiens s’inscrivent dans cet héritage, où Jésus est lui-même un prédicateur itinérant qui appelle à une itinérance spirituelle. La parabole du Jugement dernier, souvent citée par le pape François, fait de la charité envers les plus petits un critère de salut : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli », dit Jésus dans l’Évangile selon Matthieu (25, 35). Car Jésus, Marie et Joseph ont eux-mêmes été réfugiés politiques, lors de la fuite en Égypte. Le pape Pie XII fera en 1952 de la « sainte famille » l’icône de tout réfugié : le Messie lui-même a partagé le sort des déplacés.
Un des plus beaux textes du christianisme, la Lettre à Diognète, au IIe siècle, décrit les chrétiens ainsi : « Ils habitent leurs propres patries, mais comme des étrangers. [...] Toute terre étrangère est leur patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère ». La citoyenneté ultime du chrétien est céleste. Le chrétien développe une affinité naturelle avec le migrant. Dans la première Lettre à Timothée, l’un des critères pour sélectionner les évêques est son « hospitalité ».
La théologie catholique développera la « destination universelle des biens », idée selon laquelle la terre a été créée pour l’usage de tous les humains. Les prédécesseurs du pape François ont donc eu, comme lui, des mots forts, mais plus nuancés. Pie XII écrit par exemple : « La souveraineté de l'État ne peut être exagérée au point que l'accès à cette terre soit refusé aux nécessiteux d'ailleurs, pour des motifs insuffisants ». Jean-Paul II se distingue en mettant en équilibre le droit d’immigrer et le souci du bien commun du pays d’accueil. Le catéchisme catholique en vigueur depuis son pontificat stipule que « Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun [...] subordonner l'exercice du droit d'immigration à diverses conditions juridiques ».
En ce sens, les paroles du pape François, lui-même fils d’immigrés italiens en Argentine, apparaissent comme « prophétiques », au sens où elles dépassent le simple horizon humain, aidant la conscience occidentale à ne pas d’endormir. Il ne crée pas une nouvelle doctrine, mais il applique les enseignements traditionnels avec l’urgence qu’appelait la situation. Car selon la parole biblique de la Lettre aux Hébreux, « en accueillant des étrangers, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges ».
*Article paru dans le n°90 de notre magazine Iqra.
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