Le Coran m’a appris (n°13) - Comment guérir à Srebrenica
- Guillaume Sauloup
- 18 juil.
- 4 min de lecture
Il est un Livre qui guérit sans scalpel ni remède,
Qui éclaire les nuits et console les plaies tièdes.
Quand les hommes se perdent et que la haine mord,
Il se fait voix de paix, de lumière, plus fort que la mort.
Aux cœurs en ruine, il offre sa science divine,
Et transforme la douleur en espérance fine.
Voici l’histoire d’un peuple que la guerre a blessé,
Mais que le Coran, doucement, a réapprivoisé.
Quand le Livre devient refuge : apprendre dans les ruines
À Srebrenica, après le massacre de juillet 1995, il ne restait presque rien : ni mosquées debout, ni écoles, ni familles entières. Mais quelques feuilles du Coran, retrouvées dans les décombres, furent conservées comme des trésors. Elles devinrent plus précieuses que l’or, et souvent plus utiles que le pain.
Dans les camps de réfugiés de Tuzla, de Zenica ou de Sarajevo, des cercles de mémorisation naquirent, parfois dans des tentes, parfois dans des maisons effondrées. Un survivant raconte : « Mon fils récitait la sourate al-Fatiha chaque soir. Il avait 6 ans. C’était sa manière de guérir. »
Orphelins, mais pas abandonnés : la renaissance par la Hifẓ
Des centaines d’enfants, devenus orphelins en une nuit, ont trouvé dans la mémorisation du Coran un père de substitution, un foyer spirituel, une structure d’existence.
À Sarajevo, la médersa Gazi Husrev-beg accueillit dès 1996 des orphelins rescapés.
L’enseignement y mêlait douceur, rigueur, et transmission du sens. Certains de ces enfants, aujourd’hui adultes, sont devenus muftis, enseignants, imams de la réconciliation.
L’un d’eux témoigne : « J’ai appris le Livre en pleurant. Je l’ai récité dans les ruines. Et un jour, je n’ai plus pleuré. J’ai commencé à sourire. »
Le Coran fut ainsi à la fois un lien aux morts, une lumière pour les vivants, et un avenir pour les enfants.
Le Coran comme médecine de l’âme : Sabr, Rahma et Shifâ
Le Coran n’est pas seulement à apprendre. Il est à vivre. Et dans les Balkans meurtris, il a été vécu comme un baume, une respiration, une réponse. « Et Nous faisons descendre du Coran ce qui est une guérison (Shifâ) et une miséricorde (Rahma) pour les croyants. » (Sourate al-Isra, 17 :82)
Les versets sur la patience (Sabr), sur la justice, sur la vie après la mort, furent ceux que les enfants retinrent le plus vite. Une enseignante de Novi Pazar raconte : « Je voyais des élèves qui ne parlaient plus depuis la guerre. Puis ils lisaient sourate Yasin. Et leur regard changeait. » Le Coran, dans ces contextes, fut une école de vie autant qu’un livre sacré.
Un islam de mémoire, non de vengeance
Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, le Coran n’a pas été instrumentalisé pour nourrir la haine. Les imams balkaniques, formés au fiqh et à la sagesse, ont mis en avant la justice sans vengeance, la mémoire sans rage, et la foi sans radicalisation.
Le Mufti bosnien Mustafa Cerić affirmait déjà en 2004 : « Le Coran ne nous a pas appris à nous venger. Il nous a appris à nous relever. »
Cette spiritualité lucide, fondée sur la sabr, la dignité et la fraternité, est devenue la colonne vertébrale de l’islam des Balkans. Et les jeunes hafiz, loin de se tourner vers la violence, se sont engagés dans la réconciliation, l’enseignement, la mémoire partagée.
Une poésie coranique en langue balkanique
Dans les cercles coraniques des Balkans, certains maîtres ont encouragé la composition de poèmes inspirés du Livre, en bosnien ou en albanais. Voici un extrait d’un poème soufi composé par un jeune hafiz de Skopje, en hommage à ses parents tués :
Kur s’kisha askënd, fjalët Tua ishin afër.
Në çdo ayet ndjeja frymën e Nënës.
Kur mësova Jusufin, e pashë veten në pus,
Por Ti më ngrite me dritën e përkushtimit.
Quand je n’avais plus personne, Tes paroles étaient proches.
Dans chaque verset, je sentais le souffle de ma Mère.
Quand j’ai appris l’histoire de Yusuf, je me suis vu au fond du puits,
Mais Toi, Tu m’as relevé avec la lumière de l’amour fidèle.
Institutions coraniques : des havres de renaissance
Après la guerre, les institutions islamiques ont très vite compris que l’enseignement du Coran serait la clef de la reconstruction intérieure. Des instituts coraniques modernes ont été créés à Sarajevo, à Pristina, à Shkodër.
Les jeunes y apprennent à la fois le ḥifẓ, le tadjwid, l’exégèse, mais aussi l’histoire, la citoyenneté, les sciences humaines. On y forme des leaders religieux cultivés, capables de parler du Coran dans les langues du monde.
Des concours de ḥifẓ internationaux sont organisés chaque année, rassemblant des centaines d’enfants et d’adolescents des Balkans. Ce sont des fêtes de la mémoire, de la piété, et de la beauté coranique.
Dans les gravats du monde, un Livre s’est levé,
Ni brûlé par les bombes, ni par l’oubli brisé.
Il a guidé des enfants qui n’avaient plus de main,
Il a porté des veuves aux regards sereins.
Le Coran n’a pas crié vengeance dans la nuit,
Il a soufflé patience, et la haine a fui.
À Srebrenica, il n’a pas effacé la douleur,
Mais il a semé la paix dans les cœurs en pleurs.
*Article paru dans le n°74 de notre magazine Iqra.
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