"Ton Seigneur Sait ce qu'ils cachent dans le secret du cœur et ce qu'ils révèlent (au grand jour). C'est Lui Allah, Point d'autre divinité que Lui la louange en ce monde et dans l'autre. A Lui le Jugement et vers Lui vous serez ramenés."
CORAN, AL-KAS, VERSET 69-70
Nous avons tous, à un moment ou à un autre, été confrontés aux effets de soupçons injustifiés, que nous en soyons les victimes ou les instigateurs. Parfois, des comportements inattendus de la part d'autrui nous surprennent et nous amènent à nous interroger : pourquoi ces réactions ? Quels mécanismes sous-tendent ces jugements hâtifs ? Souvent, ils prennent racine dans une parole mal interprétée, sortie de son contexte, ou dans un jugement rapide, émis sans connaissance réelle des faits. Parfois, nous jugeons sur la seule base des apparences. Mais qui sommes-nous pour nous attribuer le droit de juger ? Et qui sommes-nous pour mal agir, simplement parce que nous nourrissons des soupçons ? Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) a dit : « Méfiez-vous du soupçon, car le soupçon est le pire des mensonges. » (rapporté par Al-Boukhari et Mouslim).
Les jugements hâtifs : des conséquences bien plus lourdes qu’il n’y paraît
Un père offre à son jeune fils deux bonbons, un rouge et un bleu, en lui disant : « Tu peux en garder un pour toi et en donner un à ta sœur. » Le garçon examine les deux bonbons attentivement, les faisant tourner dans ses mains. Puis, sans prévenir, il mord dans le bonbon rouge, provoquant un froncement de sourcils de la part de son père. Ensuite, il croque dans le bonbon bleu. Le père, déconcerté, commence à se demander s’il n’a pas été trop généreux. Mais soudain, le garçon tend joyeusement le bonbon rouge à sa sœur et dit : « Je voulais vérifier lequel était le plus sucré pour toi, parce que je sais que tu aimes les bonbons moins sucrés. ».
Cet épisode illustre parfaitement comment nos jugements précipités peuvent déformer la réalité. Les différends, qu’ils soient personnels ou sociaux, reposent souvent sur des perceptions subjectives plutôt que sur des faits objectifs. Chaque partie interprète la situation à travers le prisme de ses propres « biais », influencée par ses expériences ou ses croyances.
Dans cet exemple, la réaction initiale du père face au comportement de son fils révèle un décalage entre l’intention réelle et l’interprétation perçue. Plus largement, ce phénomène montre que nous avons tendance à retenir uniquement les informations qui confirment nos idées préconçues, négligeant celles qui les remettent en question. Ainsi, une même situation peut engendrer des récits divergents, à l’image de témoins d’un accident rapportant des versions différentes selon leur angle d’observation.
Même lorsqu’ils semblent insignifiants, ces préjugés, dont l'origine provient d’un simple soupçon, peuvent entraîner des conséquences graves. Ils ébranlent la confiance, fragilisent les relations et ouvrent la voie à l’injustice. Que l’on en soit l’auteur ou la victime, cette injustice laisse des blessures profondes, car elle n’est jamais anodine. Universellement condamnée par les principes moraux, spirituels et religieux, l’injustice est rejetée avec force. Dieu Lui même s’est interdit toute forme d’injustice et a mis en garde contre ses ténèbres.
D'après Abou Dhar, qui est également considéré comme l’un des savants parmi les compagnons, connu pour son ascétisme, sa piété et son adoration, et célèbre pour cela, il rapporte que le Prophète ﷺ a dit, selon ce qu'il a reçu de son Seigneur, Béni et Exalté soit-Il (hadith qudsi) : « Ô Mes serviteurs ! Je Me suis interdit l’injustice et Je l’ai rendue interdite entre vous, alors ne vous faites pas d’injustice les uns envers les autres. Ô Mes serviteurs ! Vous êtes tous égarés, sauf celui que J’ai guidé ; demandez-Moi donc la guidée, et Je vous guiderai. Ô Mes serviteurs ! Vous êtes tous affamés, sauf celui que J’ai nourri ; demandez-Moi donc de vous nourrir, et Je vous nourrirai. Ô Mes serviteurs ! Vous êtes tous nus, sauf celui que J’ai vêtu ; demandez-Moi donc de vous vêtir, et Je vous vêtirai (…) » (Rapporté par Mouslim).
Réfléchir aux origines de nos soupçons et à leurs conséquences permet non seulement d’éviter des erreurs irréparables, mais aussi de préserver nos valeurs fondamentales : la justice, la bienveillance et le respect mutuel. Comme le rappelle l’histoire du père et de son fils, il est essentiel de dépasser nos soupçons afin de privilégier une interprétation plus éclairée et bienveillante des actions d’autrui.
Le poids des jugements précipités
Les soupçons mènent aux jugements portés sur autrui et couvrent tout un éventail : individus, groupes, tribus, sociétés ou événements. Souvent, ils prennent la forme d’évaluations hâtives ou de descriptions simplistes, issues de diverses inclinations, parmi lesquelles les inclinations subjectives et psychologiques sont les plus pernicieuses. Ces jugements peuvent révéler des troubles intérieurs, un besoin compulsif de classer les autres, ou encore une tentative d’éviter l’examen de soi en se réfugiant dans la critique d’autrui.
Ce besoin de juger s’accompagne généralement de précipitation et d’un manque de recul. Il révèle une quête de distinction, exprimée par des jugements arbitraires, souvent dénués de fondement ou de pertinence. Ces comportements trouvent un terrain favorable dans des environnements où prospèrent la médisance, la calomnie, l’oisiveté et les discussions futiles. C’est ainsi que naissent des jugements frivoles, tels que « Untel est mauvais, immoral, avare, gaspilleur… », ou encore des critiques ciblant des possessions ou des détails personnels. Ces jugements, inutiles et destructeurs, n’apportent aucun bienfait à celui qui les profère, ni ici-bas, ni dans l’au-delà.
Les jugements rapides et injustifiés sont omniprésents dans nos interactions quotidiennes. Ils découlent souvent de biais inconscients ou de perceptions erronées. Ces jugements infondés ne causent que du tort, que ce soit dans les relations humaines, au sein de la société, ou même vis-à-vis des valeurs spirituelles. En explorant les effets des Les préjugés alimentent les divisions au sein des sociétés arabes, se répandant comme un fléau et influençant les relations humaines et institutionnelles. Ils opposent les individus sur la base d’identités idéologiques, géographiques ou culturelles, et vont à l’encontre des principes religieux qui prônent la réflexion, la modération et la bienveillance.
Ce sectarisme a transformé les institutions en espaces dominés par des intérêts partisans et personnels, au détriment des valeurs, de la justice et de l’objectivité. Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel de cultiver l’équité, de favoriser la coopération et de rétablir des bases communes propices au progrès et à l’unité.
Comprendre l’origine psychologique des biais inconscients pour mieux appréhender les préjugés
Les préjugés, souvent ancrés dans notre inconscient, influencent nos décisions et nos interactions. Comprendre leur origine et leur fonctionnement est essentiel pour favoriser des relations plus justes et équilibrées ; il est donc nécessaire d’identifier les biais inconscients et leurs origines. D'ailleurs, les biais inconscients sont précisément ces jugements automatiques que nous portons sans nous en rendre compte. Ils influencent nos décisions et nos comportements, souvent de manière injuste. Voici quelques notions pour mieux comprendre leur mécanisme :
Un processus cérébral rapide : le cerveau, confronté à une surcharge d’informations, utilise des raccourcis cognitifs pour traiter plus rapidement les données. Ces raccourcis, bien que pratiques, peuvent parfois mener à des interprétations simplifiées ou erronées.
Un conditionnement social et culturel : nos expériences, notre éducation, ainsi que les messages véhiculés par la société alimentent nos biais. Ces influences façonnent nos perceptions sans que nous en soyons toujours conscients.
Les biais cognitifs comme mécanisme de défense : certains biais servent à protéger notre estime de soi ou à réduire ’incertitude face à des situations complexes.
D’où viennent-ils?
Le cerveau simplifie : confronté à un excès d'informations, notre cerveau prend des raccourcis, ce qui peut entraîner des erreurs.
Influence de la société : notre éducation, ainsi que les messages véhiculés par notre environnement, façonnent nos perceptions.
Se protéger : certains biais cognitifs nous rassurent en nous protégeant de l'incertitude.
Des exemples courants
Biais de confirmation : tendance à rechercher des informations qui confirment nos idées préexistantes, tout en ignorant celles qui les contredisent.
Biais de halo : une première impression, qu'elle soit positive ou négative, influence notre perception globale de la personne ou de la situation.
Biais de conformisme : tendance à suivre l'opinion de la majorité afin d'éviter de se démarquer ou de susciter la désapprobation.
Les biais inconscients peuvent :
Influencer nos choix et mener à des erreurs.
Créer des discriminations involontaires.
Nuire à nos relations avec les autres.
Et comment les réduire ?
Reconnaître ses biais : faire un effort pour en prendre conscience.
Réfléchir avant d’agir : ne pas se précipiter dans ses décisions.
Écouter d’autres points de vue : s’ouvrir à la diversité.
Apprendre sur le sujet : comprendre ces mécanismes pour mieux les éviter.
Les préjugés enferment leur porteur dans un torrent de suppositions négatives et de jugements erronés qui finissent par dominer sa vie, l’isolant de nombreuses personnes et expériences. Ils reflètent une forme de conformisme, qu’il soit intellectuel ou lié à des dimensions sociales, politiques, économiques ou religieuses.
Avoir un préjugé envers quelqu’un, c’est ériger une barrière entre vous et cette personne, mais aussi entre vous-même, votre esprit, votre regard et votre discernement. En vous fiant au regard des autres plutôt qu’au vôtre, vous vous privez de l’usage de votre propre raison. Ainsi, vous commettez une injustice envers vous même et envers de nombreuses autres personnes.
En fin de compte, le jugement en Islam n'est pas un simple acte de valorisation ou de condamnation, mais un appel à la réflexion profonde, à l’humilité et à la quête de la vérité. Seul Allah connaît ce qui se cache dans le cœur de chacun, et c'est à Lui que revient le dernier jugement. Par conséquent, nous devons nous efforcer de cultiver une justice éclairée, fondée sur la bienveillance et la connaissance, et nous garder de tout jugement hâtif ou arbitraire. Prendre garde aux préjugés est un rappel important des dangers de porter des jugements rapides ou infondés sur autrui, ce qui peut mener à des injustices.
Allah le Très-Haut dit dans le Coran : « Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer (sur autrui), car une partie des conjectures est un péché. » (Sourate Al-Houjourat, verset 12). Les préjugés, qu’ils soient individuels ou collectifs, nuisent à l’harmonie et à la confiance entre les gens. L’Islam encourage à cultiver la bienveillance et à favoriser des relations basées sur la compréhension mutuelle et l’équité.
*Article paru dans le n°40 de notre magazine Iqra.
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