Lumière et lieux saints de l'Islam, à la découverte des mosquées du monde (n°69) - La mosquée du Sultan Murad
- Guillaume Sauloup
- 25 août
- 8 min de lecture

Dans le silence ancien des rues de Pristina, capitale du Kosovo, se dresse un sanctuaire dont la pierre semble encore porter la mémoire des premiers pas de l’islam dans les Balkans. Ce n’est point une simple mosquée, mais une présence, une respiration, un témoin : la mosquée du Sultan Murad, connue également sous les noms de Xhamia e Çarshisë (« mosquée du marché ») ou encore Xhamia e Gurit (« mosquée de pierre »), est l’édifice sacré le plus ancien des terres balkaniques. Son existence traverse les siècles comme une prière suspendue dans l’histoire, un verset calligraphié dans la chair même du territoire.
Aux origines : entre offrande impériale et souffle divin
C’est à la fin du XIVe siècle, en l’an 1389 de l’ère chrétienne, 791 de l’hégire, alors que les sabres du destin tranchaient les brumes du champ de bataille de Kosovo Poljé, que le sultan Murad Ier tomba, martyr de son empire et de sa foi. En son honneur, son fils, le sultan Bayezid Ier, surnommé Yıldırım, « la foudre », fit ériger à Pristina une mosquée, la toute première de l’empire ottoman en Europe, sur une terre que l’appel de l’islam venait tout juste d’effleurer.
Elle fut édifiée non comme un monument de conquête, mais comme un waqf, une dotation pieuse. Autour de cette mosquée s’épanouirent des bains publics, des résidences, des lieux d’étude et de commerce. Jusqu’au siège même du Parlement kosovar d’aujourd’hui, bâti sur le sol sanctifié par cette fondation d’autrefois, le legs spirituel des Ottomans irrigue encore la cité.

Une architecture aux racines orientales
La mosquée du Sultan Murad est un joyau d’architecture islamique au style résolument arabe. Construite en pierre taillée, elle s’élève sur un plan carré de 12,70 mètres de côté, selon un agencement harmonieux qui évoque la tension entre le céleste et le terrestre. De ce carré naît un tambour dodécagonal, sur lequel repose la coupole principale, sphère suspendue, écho de la voûte céleste.
Son unique salle de prière, intime et recueillie, est éclairée par des fenêtres réparties sur plusieurs niveaux, créant une cadence lumineuse propre aux esthétiques ottomanes les plus subtiles. Les murs, quant à eux, sont habillés de fresques florales, comme si chaque pierre récitait une sourate silencieuse, une louange végétale au Créateur.

Le minaret, édifié lui aussi en pierre, d’une élégance polygonale rare, se dresse intact depuis sa construction, dominant les toits de la vieille ville. Il a résisté aux assauts du temps, aux guerres, aux démolitions, aux amnésies. Le portique (hajât), qui avait subi des restaurations successives, est aujourd’hui en phase de conservation. Des inscriptions anciennes sur sa façade sud témoignent des interventions du XIXe siècle et rendent grâce à ceux qui, à chaque époque, ont refusé que la poussière recouvre la lumière.
Une mosquée, une mémoire
Longtemps, la mosquée faisait face à la grande Çarshia, le marché ancien de Pristina, aujourd’hui disparu. C’est de là qu’elle tire l’un de ses noms populaires : mosquée du marché. Autour d’elle subsistent le musée du Kosovo, la mosquée Jashar Pacha, un parc archéologique, autant de témoins d’un passé multiséculaire tissé d’islam, d’histoire, de culture et de cohabitation.
Mais au-delà des pierres, des dômes et des motifs, la mosquée du Sultan Murad est un lieu d’élévation. On y pénètre comme on entre dans une grotte sacrée, là où l’homme vient retrouver l’humilité de l’argile et la splendeur de la lumière. C’est une halte entre deux mondes, entre le tumulte de l’histoire et la paix d’une prière.

Héritage vivant sous la protection de l’État
Classée monument du patrimoine culturel architectural du Kosovo, cette mosquée est aujourd’hui protégée par l’État, mais bien plus encore par le cœur des fidèles et des passants. Elle ne se donne pas seulement à voir, elle se laisse ressentir. Elle vibre du souvenir des premiers muezzins, du froissement des tapis, des soupirs de l’aube.
Dans le tumulte du monde moderne, où tant d’édifices religieux sont vidés de leur âme, la mosquée du Sultan Murad résiste, telle une étoile de pierre guidant encore les voyageurs spirituels. Que le Très-Haut protège ce lieu et ceux qui y prient, car en ses murs palpite encore le souffle de l’Orient venu féconder les Balkans.

*article paru dans le n°74 de notre magazine Iqra.
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