L’édition 2024 du Prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris a offert l’occasion de revenir sur une facette peu connue de Victor Hugo : son intérêt pour l’Islam. Bien que célèbre pour son engagement politique et ses œuvres littéraires, Hugo nourrissait une curiosité particulière pour les religions, et l’Islam n’y faisait pas exception. À travers ses écrits, l’auteur témoigne d’une réflexion profonde sur cette foi, qu’il perçoit avec admiration et respect. Loin des stéréotypes de son époque, le poète reconnaît dans l’Islam des valeurs universelles et un riche patrimoine spirituel, nourrissant ainsi sa vision d’un monde fondé sur la paix et l’unité humaine.
Hugo et l’histoire de la France à travers Notre Dame de Paris
Les convictions religieuses de Victor Hugo ont évolué au fil de sa vie. Dans sa jeunesse, sous l’influence de sa mère, il était un catholique dévot, respectueux de l’autorité de l’Église. Avec le temps, il s’est progressivement éloigné de cette foi stricte, mais croyait profondément en la vie après la mort et priait chaque matin et chaque soir. Il a d’ailleurs exprimé cette conviction dans son roman L’Homme qui rit, où il écrit : « La reconnaissance a des ailes et atteint sa juste destination, tandis que la prière de l’homme connaît toujours son chemin. »
On ne peut évoquer Victor Hugo sans penser à Notre-Dame de Paris, monument emblématique auquel il a donné une place considérable dans son chef-d’œuvre éponyme, publié en 1831. À travers ce roman, Hugo a non seulement restauré l’image de la cathédrale comme joyau architectural du Moyen Âge, mais il a également alerté sur son état de délabrement à l’époque. Il est important de noter que cet écrit a joué un rôle clé dans la sensibilisation du public à l’importance de préserver le patrimoine historique, ce qui a directement conduit à la restauration de l’édifice.
Le roman, qui se compose de cinquante-neuf chapitres, représente pour Hugo un personnage à part entière, un symbole de l’histoire tumultueuse de la France, de ses grandeurs et de ses tragédies. La cathédrale devient le théâtre des drames humains, des passions et des souffrances, incarnant à la fois la grandeur spirituelle et le déroulement des faits historiques.
Hugo et l’Islam, une quête intellectuelle
Victor Hugo a témoigné un intérêt sincère pour l’Islam et a exprimé à travers ses manuscrits sa volonté de dénoncer les stéréotypes de son époque, tout en valorisant cette religion comme une composante majeure de l’humanisme universel.
Il a salué la résistance de l’Émir Abdelkader, qu’il considérait comme une figure islamique exemplaire de la lutte contre l’injustice et l’oppression coloniale. Déterminer précisément quand Victor Hugo a commencé à s’intéresser à l’Islam reste difficile, mais ses poèmes révèlent peu à peu cet intérêt, sa quête intellectuelle, ainsi que ses réflexions religieuses, notamment son attrait pour la religion musulmane, son histoire et ses personnages.
En 1858, alors qu’il avait 56 ans, Hugo entreprit l’écriture de son épopée La Légende des siècles. C’est dans ce cadre qu’il a composé le poème L’an neuf de l’Hégire, où il commémore la mort du Prophète Mohamed (paix et bénédictions sur lui) en s’imprégnant du Coran. Comme l’explique Théophile Gautier, cette légende est « une vue à travers les ténèbres sur l’homme. Le sujet est l’homme, ou plutôt l’humanité. » Plus tard, Hugo écrit un autre poème, Le Cèdre, qui glorifie l’Islam et ses figures.
Dans ce thème, il s’est projeté dans l’étude du Noble Coran et de la Sira, à un point tel que certains pourraient croire qu’il s’était converti. C’est ce qu’a mentionné l’auteur Louis Blin dans son ouvrage Victor Hugo et l’Islam, publié en septembre 2023.
Hugo voyait l’Islam à travers un prisme humaniste et universel. Il a notamment écrit un dialogue imaginaire entre le Calife Omar Ibn Al-Khattab et Saint Jean l’Évangéliste, inscrivant ainsi résolument l’Islam dans une perspective humaniste universelle. Après l’assassinat de deux consuls à Djeddah, le 15 juin 1858 (français et britannique), Hugo a réagi face à la polémique médiatique de l’époque, qui accusait l’Islam de fanatisme et de violence, en écrivant son poème Le Cèdre, où il dépeint l’Islam sous un jour noble et pacifique.
Le Cèdre de Djeddah : dialogue entre l’Orient et l’Occident
Dans son poème symboliste méconnu Le Cèdre, Victor Hugo établit un dialogue mystique entre le Calife Omar et Saint Jean l’Évangéliste, d’une part, et entre Djeddah, origine mythique de l’humanité, et la Grèce, source imaginée de la civilisation européenne.
Hugo a fait des palmiers de Djeddah un cèdre, symbole de l’arbre sacré du Proche-Orient antique (nous reviendrons sur le poème dans une prochaine édition). Cette vision émanant du poème symbolise la vie, car « l’arbre, commencement de la forêt, est un tout. Il appartient à la vie isolée, par la racine, et à la vie en commun, par la sève… ». Djeddah y est décrite comme une ville cosmopolite, connue pour sa tolérance envers les visiteurs. Il précise : « Djeddah est une ville universelle, connue pour sa tolérance… ».
Ainsi, Hugo a choisi de situer le Calife Omar à Djeddah plutôt qu’à La Mecque ou à Médine, car cette ville est considérée comme la ville d’Ève, la mère de l’humanité, à qui il attachait une grande importance. Cette ville évoquait également la légende de « l’existence de son tombeau à Djeddah ». Il a donc composé ce poème pour montrer son originalité humaniste. Il a su avec force greffer une épopée intemporelle sur une actualité sanglante. Son message était de faire du cèdre un trait d’union entre l’Islam et le Christianisme et d’expliquer combien leur opposition est contre-nature.
En situant son poème au cœur de Djeddah, Victor Hugo esquisse une vision plus large d’un dialogue entre civilisations, transcendante des tensions religieuses. Ce dialogue spirituel entre le Calife Omar et Saint Jean l’Évangéliste prépare le terrain à une exploration plus approfondie de la rencontre entre l’Orient et l’Occident, un thème que nous aborderons dans la prochaine édition avec l’analyse complète de Le Cèdre et la place de l’humanisme dans l’œuvre hugolienne.
*Article paru dans le n°33 de notre magazine Iqra.
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