Le Coran m’a appris (n°19) - Que la vie est un souffle sacré
- Guillaume Sauloup
- 20 oct.
- 9 min de lecture

Par Cheikh Khaled Larbi
Le Coran m’a appris que la vie est un souffle sacré,
Que le sang versé n’appartient qu’à Celui qui l’a créé.
Que juger un homme, c’est s’approcher du feu ou de la lumière,
Et que la main qui punit doit trembler de prière.
Il m’a appris que la justice sans miséricorde devient pierre,
Et que la miséricorde sans justice devient poussière.
Entre les deux, il m’a montré un chemin de sagesse,
Où l’homme apprend à ressembler à Dieu, non par la force, mais par la tendresse.
La vie : un dépôt sacré entre les mains de Dieu
Dès ses premiers versets révélés à Médine, le Coran place la vie humaine au cœur de la foi.
Il rappelle à l’homme que la vie ne lui appartient pas, qu’elle est un amana, un dépôt confié.
« Ne tuez pas la vie que Dieu a rendue sacrée, sauf en toute justice. »
Sourate el-Isra, 17 :33
Chaque souffle, chaque battement de cœur, chaque larme est un signe de Dieu.
Tuer, dans la logique coranique, ce n’est pas seulement ôter une existence : c’est rompre un pacte avec le Créateur. C’est pourquoi le Coran va plus loin encore :
« Quiconque tue une âme, sans que celle-ci ait tué ou semé la corruption sur terre, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. Et quiconque en sauve une, c’est comme s’il avait sauvé toute l’humanité. »
Sourate al-Maïda, 5 :32
Ce verset ne parle pas seulement de droit pénal. Il parle d’un devoir spirituel universel : celui de protéger la vie, même de celui qui nous a fait du mal.
La justice islamique commence donc par un principe de sacralité : la vie humaine est un reflet du Nom divin El-Hayy (le Vivant). Y porter atteinte, c’est blesser l’ordre cosmique lui-même.
Le Qisas : justice équitable, non vengeance
Le Coran reconnaît la gravité du meurtre, mais il introduit aussi un équilibre subtil entre justice et clémence.
Le système du Qisas, souvent traduit par « loi du talion », est en réalité une régulation de la vengeance tribale, non une incitation à la punition. Avant l’Islam, les tribus arabes pratiquaient la vengeance collective : un homme tué entraînait souvent un massacre.
Le Coran est venu mettre des limites à la colère :
« En matière de meurtre, la loi du talion vous est prescrite : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui qui est pardonné par son frère, qu’il suive la voie de la bienséance et s’acquitte de la compensation selon la convenance. »
Sourate al-Baqara, 2 :178
Ce verset marque une révolution juridique et spirituelle.
Il limite le châtiment à une seule personne (l’auteur du crime).
Il ouvre la porte au pardon et à la compensation (Diya).
Il emploie le mot “frère” pour désigner le meurtrier et la victime : un rappel bouleversant que la fraternité humaine subsiste, même après le crime.
Autrement dit, la justice islamique ne glorifie pas la peine de mort : elle la tolère comme un dernier recours, dans un cadre extrêmement précis, et toujours sous la lumière du pardon possible.
Le pardon : sommet de la justice spirituelle
Le Coran n’impose pas le pardon, mais il l’élève au rang de vertu suprême.
Il ne le commande pas à la place de la justice, mais comme sa perfection.
« Et si vous pardonnez, cela est meilleur pour ceux qui sont justes. »
Sourate En-Nahl, 16 :126
L’un des récits les plus poignants de la tradition musulmane illustre ce principe.
Un homme vint voir le Prophète ﷺ après avoir perdu son fils, assassiné. Il demanda que la loi du talion soit appliquée. Le Prophète le lui accorda. Mais, avant que la sentence soit exécutée, il posa une simple question : « Si tu pardonnes, ton fils reviendra-t-il ? » L’homme baissa la tête. Alors le Prophète ajouta : « Ac-corde-lui la vie, et Dieu t’accordera la paix. »
L’homme pleura, et pardonna.
Ce récit n’est pas une négation du droit à la justice, mais une élévation du droit à la miséricorde. C’est là que se joue la grandeur du Coran : il ne se contente pas de réguler les crimes ; il guérit les cœurs blessés.
La peine de mort : une responsabilité avant d’être une sanction
Contrairement à certaines idées reçues, le Coran n’ordonne pas la peine de mort comme règle générale. Il reconnaît des cas spécifiques (meurtre volontaire, haute trahison, crimes de guerre), mais toujours dans un cadre judiciaire rigoureux, sous la condition que le doute annule la peine. Le Prophète ﷺ a dit : « Écartez la peine capitale autant que vous le pouvez. S’il y a le moindre doute, épargnez la vie. » (Rapporté par el-Tirmidhi)
Ce principe, dar el-hudud bi-shubuhat (« repousser les peines en cas de doute »), est l’un des fondements de la jurisprudence islamique.
Les juristes classiques, comme Abu Hanîfa ou el-Shafi ’i, ont établi que la peine capitale n’est pas une obligation religieuse, mais une option judiciaire encadrée, destinée à protéger la société et dissuader les crimes graves.
En d’autres termes : La peine de mort en Islam n’est pas un droit du pouvoir, mais une charge morale devant Dieu. C’est pourquoi les califes pieux, comme Omar ibn Abd el-Aziz, préféraient gracier que punir. Ils disaient : « Mieux vaut libérer mille coupables que d’exécuter un seul innocent. »
Cette prudence rejoint la vision coranique : la justice humaine est faillible, tandis que la miséricorde divine est infaillible.
La justice du cœur : au-delà des tribunaux
Le Coran rappelle que la justice véritable ne se limite pas aux lois.
Elle commence dans le cœur, là où se décident les intentions.
« Ô vous qui croyez ! Soyez fermes pour Dieu, en témoins équitables. Que la haine pour un peuple ne vous pousse pas à être injustes. Soyez justes : cela est plus proche de la piété. »
Sourate el-Maïda, 5:8
Dans ce verset, Dieu ne parle pas du juge, mais du croyant ordinaire. Il lui ordonne d’être juste, même dans la colère, même dans le chagrin. C’est une justice intérieure, une discipline morale.
Cette justice spirituelle s’étend jusqu’à la manière de penser : juger sans connaître, condamner sans écouter, ou dénigrer sans preuve sont des formes d’injustice que le Coran condamne plus sévèrement que les fautes visibles.
« Et ne poursuis pas ce dont tu n’as aucune connaissance : l’ouïe, la vue et le cœur, tout cela sera interrogé. »
Sourate el-Isra, 17 :36
La véritable justice, enseigne le Coran, ne s’exerce pas seulement dans les palais, mais dans le regard, la parole, et la manière d’aimer ou de haïr.
Une leçon pour notre monde : entre la rigueur du droit et la chaleur du pardon
Dans un monde où la peine de mort demeure une question de politique et de passion, le Coran apporte une voix singulière : celle du cœur équilibré. Il reconnaît le besoin de justice pour préserver la société, mais il rappelle que la vengeance ne guérit rien.
Il autorise la punition, mais il sanctifie le pardon.
Il parle de loi, mais il invite au dépassement.
Le Coran ne cherche pas à abolir la justice humaine ; il la transfigure. Il transforme le glaive en balance, la colère en miséricorde, le châtiment en examen de conscience.
C’est pourquoi les grands réformateurs musulmans, comme Ibn Achour ou Mohammed Abduh, ont vu dans la justice coranique un appel à la réflexion éthique permanente, non un code figé. Ils rappelaient : « Le but des lois en Islam n’est pas la peine, mais la paix. »
Ainsi, parler de la peine de mort à la lumière du Coran, ce n’est pas défendre une sanction, mais réaffirmer la valeur de la vie et la possibilité du pardon, deux piliers d’un humanisme spirituel que la modernité a parfois oublié.
Le témoignage du pardon : quand la foi vainc la haine
Dans plusieurs pays musulmans, des familles de victimes ont choisi de pardonner publiquement aux meurtriers de leurs proches.
Ces gestes bouleversent parce qu’ils incarnent le cœur même du message coranique :
« La récompense du mal est un mal équivalent, mais quiconque pardonne et rétablit la paix verra sa récompense auprès de Dieu. »
Sourate Ach-Chura, 42 :40
Un jour, en Égypte, un père de famille perdit son fils dans un conflit de voisinage. Le coupable fut arrêté, reconnu et jugé.
Au moment où le juge allait prononcer la peine capitale, le père se leva et dit : « Je lui pardonne pour l’amour de Dieu. Que sa vie serve à réparer, non à détruire. » Ce geste fut accueilli par des larmes. Le juge, ému, déclara : « Aujourd’hui, c’est toi qui as rendu justice. »
Ce témoignage, comme tant d’autres, montre que le vrai courage n’est pas de punir, mais de purifier. C’est la justice du cœur, celle que le Coran élève au-dessus de toutes les autres.
Le Coran m’a appris que la vie est lumière,
Que la justice sans Dieu devient poussière.
Il m’a appris que punir peut apaiser,
mais pardonner délivre,
Que la vengeance éteint,
mais que la miséricorde fait revivre.
Il m’a appris que le sang ne lave pas le sang,
Mais que les larmes du pardon
arrosent les champs du temps.
Et qu’à celui qui pardonne,
Dieu promet un royaume,
Car la justice des hommes finit,
mais la justice de Dieu rayonne.
*Article paru dans le n°81 de notre magazine Iqra.
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