
Dans le firmament des sanctuaires de l’Islam, certains édifices ne sont pas de simples pierres assemblées avec l’ingéniosité des hommes ; ils sont des âmes en suspens, des veilleurs silencieux dont les murailles bruissent des prières du passé. Ainsi est la Mosquée Al-Azhar, perle lumineuse sertie au cœur du Caire, dont le souffle traverse les siècles avec une majesté que le temps ne saurait éroder.
Les Premiers Fondements : Une Étoile Dans le Ciel Fatimide
L’histoire d’Al-Azhar débute sous les auspices du calife fatimide Al-Muizz li-Dîn Allah, lorsque son général, Jawhar al-Siqilli, érigea en l’an 970 une cité promise à la grandeur : Le Caire, al-Qâhira, la victorieuse. Dans son giron devait s’élever un sanctuaire à la hauteur de cette ambition, une demeure de lumière et de science, un Bayt al-hikma où la foi et la connaissance s’étreignaient dans un même souffle.
Al-Azhar ne fut pas seulement la première mosquée de la ville, elle en devint l’âme. Son nom, issu de Az-Zahra, la Resplendissante, évoquait la noble Fatima, fille bien-aimée du Prophète صلى الله عليه وسلم, dont la pureté illuminait le souvenir. Comme un phare surplombant le delta du Nil, Al-Azhar allait non seulement appeler à la prière, mais aussi à la quête du savoir, ouvrant aux générations futures le vaste livre de la connaissance divine et profane.

Une Architecture Comme un Poème de pierre
Dès l’instant où l’on franchit ses portes, AlAzhar s’offre comme un parchemin déployé sous le regard du voyageur. Ses arcades élancées, ses minarets ciselés tels des plumes gravant le ciel, ses cours où résonnent les pas des étudiants en quête de vérité, tout concourt à faire de ce lieu une œuvre où l’architecture et la spiritualité dansent à l’unisson.
Son minaret le plus ancien, érigé sous les Mamelouks, témoigne d’une finesse qui épouse les vents du désert, tandis que les ajouts ottomans, avec leurs dômes épanouis et leurs mosaïques délicates, chuchotent l’écho des sultans. Les colonnes antiques, rescapées d’un temps plus lointain, se dressent en sentinelles du passé, rappelant que l’histoire de l’Orient est un palimpseste où chaque dynastie a laissé son empreinte, avant d’être effacée par la suivante.

Le sol de marbre blanc où se prosternèrent tant de générations, les moucharabiehs filtrant la lumière comme des perles d’or tombant du ciel, tout concourt à faire d’AlAzhar une page vivante du livre de l’Islam. Ce n’est pas un édifice figé, c’est un corps en prière, une vigile éternelle entre terre et firmament.
Al-Azhar, Flambeau des Âmes et Bastion de la Liberté
Mais Al-Azhar ne fut pas qu’une madrasa où l’on débattait des subtilités de la théologie. Elle fut une forteresse où l’esprit de résistance trouva refuge contre les tempêtes de l’histoire. Lorsque Bonaparte fit rouler le tonnerre de ses canons sur les rives du Nil, c’est dans l’enceinte d’Al-Azhar que le feu de la révolte prit naissance. Les sabres ne suffisant pas à museler la parole, les troupes françaises souillèrent la mosquée, y attachant leurs chevaux comme pour étouffer la mémoire de ceux qui s’y agenouillaient. M ais l’étoile ne s’éteignit pas. Plus tard, face à l’ombre pesante de l’occupation britannique, Al-Azhar vit ses savants se dresser aux côtés d’Ahmed Urabi et, plus tard encore, marcher dans les rues enflammées de la Révolution de 1919. Si les balles peuvent transpercer la chair, elles ne sauraient réduire au silence la parole née sous ces dômes, car les cœurs instruits dans cette enceinte portaient en eux l’indomptable flamme de la foi et du savoir.

La Science Comme Héritage : Un Phare Inextinguible
Aujourd’hui encore, Al-Azhar poursuit son œuvre millénaire. Ce n’est plus seulement un lieu de prière, mais une université rayonnant sur l’ensemble du monde islamique. Ses facultés ne se limitent plus aux sciences religieuses ; elles embrassent la médecine, l’ingénierie, les langues, intégrant ainsi la modernité sans renier l’héritage.
Si le monde change, si les empires s’effondrent et que les nations s’élèvent, Al- Azhar demeure un pont suspendu entre les âges, un sanctuaire où l’Orient et son passé chuchotent encore à l’oreille du présent. Ainsi, sous la lumière déclinante du couchant, lorsque le muezzin élève sa voix et que l’appel à la prière emplit la cour, il semble que les siècles se rejoignent en un seul instant. Al- Azhar, telle une lanterne veillant sur les âmes, continue d’illuminer les chemins de ceux qui cherchent la vérité. Car ici, entre ces murs habités par le murmure des anciens, le passé n’est jamais tout à fait passé.

*Article paru dans le n°53 de notre magazine Iqra.
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