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Récits célestes (n°37) - Le patrimoine culturel des musulmans pendant le Ramadan - Épisode 3 : « Mesaharati »



Le mois de Ramadhan occupe une place particulière dans les sociétés musulmanes, alliant dimension spirituelle et traditions culturelles. Aux pays du Maghreb, on l’appelle respectueusement « Sidi ou Sidna Ramadhan », et certaines familles vont jusqu’à prénommer un de leurs fils « Ramadhan ». Ce mois s’accompagne de rites spécifiques et voit apparaître des métiers saisonniers. Des pâtisseries et échoppes de boissons ouvrent spécialement pour répondre à la forte demande, tandis que le métier de « mesaharati », l’homme chargé de réveiller les fidèles pour le Sohor, devient une véritable fonction avec un contrat de travail débutant dès l’annonce officielle du Ramadhan. D’où vient ce personnage, comment est-il apparu et existe-t-il encore aujourd’hui ?

 

Aux origines du mesaharati


Dès les débuts de l’islam, le rôle du mesaharati existait déjà. À l’époque du Prophète (paix et bénédiction sur lui), Bilal et Abdallah Ibn Maktoum se chargeaient de réveiller les fidèles pour le Sohor. Bilal lançait le premier adhan pour signaler qu’il était encore possible de manger, tandis qu’Ibn Maktoum annonçait le début du jeûne avec le deuxième appel.

 

C’est sous le règne du calife fatimide Al-Hakim bi-Amr Allah que cette fonction devient officielle. La mission du mesaharati était d’abord assurée par des soldats. Plus tard, un homme était désigné pour cette tâche, parcourant les quartiers en appelant : « Ô gens de Dieu, levez-vous pour le Sohor », tout en frappant aux portes avec un bâton. Certains ajoutaient des formules comme « Wahhidouh ! » (Proclamez l’unicité de Dieu !) et attendaient que l’habitant réponde « La ilaha Ila Allah » avant de poursuivre leur tournée.

 

Outba Ibn Ishaq, gouverneur d’Égypte en 238 H, est le premier à avoir exercé cette fonction sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Constatant que les habitants ne prenaient pas toujours leur Sohor faute de signal, il s’est porté volontaire pour parcourir les rues du Caire à pied, de la ville d’Al-Askar jusqu’à la mosquée Amr Ibn Al-As, en appelant : « Ô serviteurs d’Allah, prenez votre Sohor, car il porte en lui la bénédiction. »

 

Avec l’expansion de l’empire islamique, les méthodes pour alerter les jeûneurs du temps du Sohor, ont évolué. Les musulmans ont ainsi mis sur pied des moyens adaptés à leurs régions et à leurs besoins, en s’appuyant sur l’idée que l’avertissement pour le Sohor était une forme de coopération dans le bien et la piété, un acte de charité et d’entraide.

 

L’évolution du mesaharati en Égypte


Avec le temps, les Égyptiens ont joué un rôle important dans l’évolution du métier de mesaharati. Ce dernier a commencé à rythmer ses appels en scandant les noms des enfants du quartier y ajoutant des vers populaires.

 

Cette tradition a progressivement pris une dimension plus élaborée. Les Égyptiens ont donc remplacé le simple bâton par un petit tambour appelé « Baza », sur lequel le mesaharati frappait en rythme. Par la suite, le métier s’est enrichi, un tambour plus grand a été adopté, et les mesaharati ont commencé à chanter des vers populaires et du Zajal. À certaines époques, ils étaient même accompagnés de musiciens jouant du tambour et des cymbales, ajoutant à leur passage, une touche festive.

 

Ce rôle a pris une dimension artistique avec le poète Fouad Haddad et le musicien Sayed Mekawy. En 1964, le mesaharati de la radio fait son apparition, et avec l’essor de la télévision, Sayed Mekawy innove en mêlant l’art du Tes ‘Hir (réveil du Sohor) aux chants et aux messages spirituels et patriotiques. « Réveille-toi, dormeur, et proclame l’Unique »

 

La phrase emblématique « Esha Ya nayem wahed el-dayem… Ramadhan Karim » reste associée à la figure du mesaharati, qui sillonne les rues pour réveiller les fidèles à l’approche du Sohor.

 

Si les Égyptiens ont introduit le tambour, d’autres peuples avaient leurs propres traditions. Au Yémen on frappait aux portes avec des bâtons, tandis qu’au Levant (Bilad al-Cham), les mesaharati jouaient du luth et du tanbour tout en chantant des hymnes dédiés à Ramadhan.

 

Une tradition partagée avec des noms différents


Introduite en Afrique du Nord sous la dynastie fatimide, la tradition du mesaharati s’est enracinée dans les pays du Maghreb, conservant son rôle et ses rituels malgré l’évolution des époques. Même après la disparition des Fatimides, cette figure emblématique de Ramadhan a perduré, s’adaptant aux spécificités locales et prenant des noms différents selon les régions.

 

En Algérie, le mesaharati est connu sous le nom de « Bou Tbila » ou « Dendoun », en référence au grand tambour qu’il utilise. Son rôle a peu à peu disparu des grandes villes mais subsiste encore dans certaines zones rurales et sahariennes comme Ouargla, Biskra, Adrar et Oued Souf. Il ponctue ses rondes nocturnes de formules comme « Allahumma salli ala an-nabi » au début du mois, puis « Allahumma salli wa sallim ala Seydina Mohamed » à la moitié, et enfin « Al-wadaa, al-wadaa Ya chahr Ramadhan » à l’approche de l’Aïd. Une fois le mois sacré terminé, il passe de maison en maison pour recevoir des offrandes en guise de reconnaissance.

 

En Tunisie, on retrouve l’appellation « Bou Tbila », principalement dans les villages et les petites villes. Il réveille les fidèles en annonçant : « Ya saï mine, koumu tesahrou ».

 

Au Maroc, le mesaharati prend plusieurs noms : « Tabal », « Naf far » qui utilise une longue trompette et « Ghayyat », qui joue d’un instrument plus petit.

 

En Libye, on l’appelle « mesaharati », mais dans certaines régions du sud-ouest, il est connu sous le nom de « Noubadji », circulant dans les ruelles avec un grand tambour frappé de deux baguettes.

 

Cette tradition du mesaharati, bien que moins présente dans les grandes villes, continue d’exister dans plusieurs pays arabes, de la Palestine à la Syrie, en passant par l’Arabie saoudite et d’autres régions, perpétuant un héritage culturel et spirituel ancré dans le Ramadhan. Parmi les personnages célèbres du mesaharati, on trouve le Zamzami à La Mecque qui était chargé de réveiller les habitants pour le Sohor depuis son minaret, accompagné de ses deux jeunes frères, en lançant l’appel : « Ya niyam, qoumu Lil Sohor » (Ô dormeurs, levez-vous pour le Sohor).



*Article paru dans le n°57 de notre magazine Iqra.



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